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la chasse aux vaincus.

L’air de Rome a sur moi des effets surprenants,
Et la nuit, quand j’y dors, j’y vois des revenants
Tacite a de mes sens dérangé l’équilibre ;
Le spectre de Néron me gêne au bord du Tibre ;
Les Césars m’ont gâté le sol des Scipions ;
Et, pour n’y pas rêver tigres et scorpions,
J’ai besoin de savoir que Rome est baptisée
Et de trouver la croix debout au Colisée.


Donc je suis clérical ! j’ai fait maintes noirceurs.
J’ai bien quelques amis, assez libres penseurs
Et vénérant très peu la déesse Fortune ;
Plus d’une belle idole avec eux m’est commune.
J’ai pu juger de près leur cœur et leur raison ;
Je vais serrer leur main dans l’exil, en prison.
Ces démocrates-là n’ont pas votre courage ;
Aux gens mal vus en cour ils épargnent l’outrage.
Jamais l’autre parti, pour être peu nombreux,
De fourbe et de crétin ne fut traité par eux.
Il est vrai que ceux-là ne sont pas des habiles.
On pourrait les taxer, comme nous, d’immobiles ;
Ils ne sautent pas tous où saute le troupeau ;
Ils ont planté leur vie en plantant leur drapeau.
Dans la faveur des grands leur part est assez mince ;
Ils n’ont pas voltigé, ceux-là, de duc en prince.
Et par les hauts seigneurs, par les gens nés coiffés,
Ils n’étaient pas, ce soir, applaudis et truffés.


S’ils sont peu courtisans, sont-ils très populaires ?
Je n’en jurerais pas : ils font mal leurs affaires.
Heureux cet esprit fort qui chatouille à la fois
Le gros cuir des manants, la fine peau des rois !