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Page:Larivière - L'associée silencieuse, 1925.djvu/61

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L’ASSOCIÉE SILENCIEUSE

avait suggérées lui étaient tellement apparues lumineuses qu’il l’avait priée de s’associer à lui pour compléter son travail.

Grâce à cette collaboration, sa conférence offrait des aspects nouveaux, elle sortait du cadre de ce que l’on est habitué d’entendre sur le sujet et il en espérait un grand succès. Son impatience semblait certes partagée par sa nouvelle collaboratrice.

Aussi fut il grandement désappointé lorsque, rentrant du journal, le soir où il devait donner sa conférence, il ne fut pas salué à son retour par Alberte.

— Madame est-elle sortie ?

— Non, Madame est dans sa chambre.

— Est-elle malade ?

— Une légère indisposition. Elle m’a priée de la prévenir quand vous rentreriez.

Anxieux, le journaliste voulut monter vers sa femme, mais celle-ci descendait à sa rencontre.

— Qu’est-ce que j’apprends, tu es malade ?

— Mais non, un peu de lassitude, seulement

— Tant mieux, alors… Me vois-tu aller pérorer devant une foule d’indifférents… aller donner « notre » conférence… alors que toi, tu serais retenue à la maison… Il me semble que je ne serais pas le même lorsque je parle, si je n’avais la certitude de rencontrer ton cher regard.

Le souper fut rapide. Étienne avait trop de préoccupations en tête. Il parlait de choses et autres ; mais son esprit ne pouvait se détacher du sujet qu’il devait traiter durant la veillée. S’il eût été plus calme, il n’eût pas manqué de remarquer la pâleur de sa femme ; mais l’homme est égoïste de nature, et quand il a en partage la force, la santé et le bonheur, il ne sait pas deviner les souffrances des autres ; de par instinct, il semble même s’appliquer à les ignorer.

— Tu te prépares ? demanda-t-il à sa femme en sortant de table, je veux que tu sois plus jolie encore que d’habitude,… si possible.

— Ce ne sera pas long. À tout à l’heure, mon ami.

Mais une demi-heure plus tard, Alberte faisait prévenir Étienne qu’elle ne pouvait l’accompagner.

— Tu es donc réellement malade ? s’enquit ce dernier, incapable de maîtriser un premier mouvement d’humeur.

— Un peu…

— Et si tu faisais un petit effort, ne pourrais-tu pas venir ? Il me semble que je vais manquer d’inspiration si tu n’es pas là…

— Non, c’est impossible…

— Tout à fait ?  ?

— Tout à fait, mon chéri et tu dois comprendre comme je suis peinée…

— Ce n’est pas un caprice de femme nerveuse ?

— Oh ! Étienne…

— Veux-tu que je fasse appeler le médecin ?

— C’est inutile, ce n’est rien de grave… et puis, je ne suis peut-être que nerveuse, comme tu dis…

C’était la première fois que le journaliste voyait Alberte refuser de se rendre à un de ses désirs. Instinctivement, il eut un nouveau geste où se trahissait sa contrariété. « Caprice de femme ! se dit-il en lui-même. C’est embêtant, mais en somme, pour une fois, je puis bien le lui passer ». Toutefois, le baiser qu’il déposa sur les lèvres de sa jeune épouse en fut moins vibrant.

— Tu persistes à ne point venir ? lui demanda-t-il avant de quitter la maison.

— Je ne puis…et Alberte éclata en sanglots.

Des larmes ! C’était si nouveau chez son épouse et en son égoïsme de mâle dominateur, Étienne était si peu préparé à cette éclosion d’un chagrin qu’il attribuait à un simple caprice. Cependant, comme elle pleurait toujours, il se pencha vers elle et de sa bonne voix caressante :

— Qu’y a-t-il, ma chérie ?

— Va, ne te préoccupe pas de moi… À ton retour, je te communiquerai un grand secret.

— Un secret ! Et tu ne peux me le dire immédiatement ?…

— Va, plus tard, quand tu reviendras…

Le conférencier fut loin de répondre à l’expectative de ses auditeurs et ceux-ci, habitués au feu de son débit, ne purent s’empêcher de remarquer le trouble intérieur auquel il était en proie.

— Encore un dont on peut dire que personne ne sait ce qui mijote dans sa marmite ! dit en souriant niaisement un snob en mal d’esprit.

Quant à Étienne, aussitôt libéré, plus inquiet encore qu’à son départ, il sauta dans son auto et fila vers sa maison où, anxieuse, Alberte guettait son retour.

— Et maintenant, peut-on savoir le grand secret dont le poids pèse si fort au cœur de ma petite femme ?

— Oui, mon cher mari… viens ici, tout près de moi.

Elle se pressa sur la poitrine du journaliste, laissa ses bras nerveux l’enlacer avec tendresse, colla ses lèvres à son oreille et tout bas, mais avec cette ivresse radieuse qui devait enflammer les âmes des vierges antiques à l’annonce de leur martyre prochain, elle lui chuchota : « Étienne, mon mari bien-aimé, je vais être mère ! »


CHAPITRE XX

LA FLAMME QUI VACILLE


Les semaines qui suivirent cet aveu furent pour Étienne fiévreuses et exaltées. L’annonce du grand mystère qui, insensiblement s’opérait dans le sein de sa douce compagne, le rendait heureux et rêveur. Pour la première fois peut-être, il devina ce que signifiait la grandeur de la paternité et la force incommensurable du lien qui rattache les générations les unes aux autres.

Et au milieu de son bonheur nouveau, il sentait monter en son cœur une ineffable reconnaissance envers la frêle créature qui allait souffrir avec une si admirable résignation la série de tortures qui est la rançon de la vie nouvelle qui éclot.

Il résolut donc de se montrer envers sa femme plus affectueux encore, si possible et, de la combler de prévenances. Il décommanderait tout les travaux promis, il cesserait de fréquenter les cercles, confinerait