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let 1793). On sait qu’il corrigeait les épreuves de son dernier numéro lorsqu’il fut frappé par Charlotte Corday ; son sang rejaillit sur ces épreuves, qui existent encore et ont fait partie de la riche collection du colonel Maurin. On en a imprimé un fac-simile.

Comme nous l’avons indiqué à l’article Ami du peuple, les collections complètes du journal de Marat sont excessivement rares. Il y a d’ailleurs des lacunes causées soit par les saisies, soit par les interruptions involontaires, les fuites du publiciste, en l’absence duquel son journal était contrefait par de nombreux faussaires, et qui a comblé lui-même quelques-unes de ces lacunes après coup, par la publication de numéros dont la date était reportée en arrière, pour assortir les collections de ses souscripteurs, car une de ses grandes préoccupations était la fidélité à ses engagements.

En résumé, les exemplaires complets de ce que les bibliographes nomment le vrai Marat, augmentés des journaux qui forment la suite et purgés des continuations apocryphes, sont véritablement introuvables. On ne connaît guère que celui qui faisait partie de la magnifique collection Labédoyère, acquise par la Bibliothèque nationale, et celui qui est à Berlin, dans la bibliothèque particulière du roi de Prusse.

Une chose qu’on ne peut se lasser de répéter, c’est qu’on reproche à Marat et autres journalistes révolutionnaires leur violence de langage, que nous sommes bien loin de vouloir justifier, et qu’on ne met jamais ou trop rarement en regard les écrivains et hommes politiques du parti contraire. Violent ! tout le monde l’était alors, et non-seulement }es énergumènes de la cour et ceux de la Révolution, mais ceux même qui passent pour des modérés ; seulement ils l’étaient dans un autre sens.

La presse royaliste comptait un grand nombre de feuilles d’une violence excessive, souvent ordurières et d’une obscénité immonde, qui ne parlaient que de pendre, de rouer, de noyer, de décapiter leurs adversaires, de régénérer la France dans un bain de sang, qui menaçaient les députés, même les plus pâles d’entre les constitutionnels, de la corde et des galères, appelaient l’invasion étrangère, indiquaient les points par lesquels nos frontières étaient vulnérables, et poussaient à l’avance des cris de triomphe en songeant aux milliers de potences qu’on dresserait bientôt pour guérir la France plébéienne de sa folie de constitution, de liberté et d’égalité.

Qu’on lise les Actes des apôtres, le Journal de la cour et de la ville, l’Ami du roi, le journal de Suleau et vingt autres, ainsi qu’une multitude de libelles diffamatoires et de pamphlets également frénétiques, gonflés de haine et de venin, noirs de calomnies, et qui ne contribuèrent pas peu à envenimer les passions et à précipiter les catastrophes.

Que l’histoire compare et qu’elle juge.

Quoi qu’on en ait dit, l’Ami du peuple n’a pas dépassé en violence les feuilles que nous indiquons ici ; mais il ne les a que trop souvent égalées. Cependant il est resté au-dessous pour le cynisme du langage ; rarement il se laisse aller à cette grossièreté que les royalistes ont exploitée avant le père Duchesne.

Dès ses premiers numéros, il se jeta à l’avant-garde de son parti par l’audace de ses attaques contre le roi, la reine, la cour, les ministres, une grande partie de l’assemblée, la municipalité, Necker, Bailly, La Fayette, la garde nationale, etc. Outre les excitations journalières, cette polémique à outrance était d’ailleurs dans son tempérament ; il y était rompu par toutes les luttes de sa vie, et il traitait alors les hommes et les pouvoirs publics comme il avait traité les académies.

Poursuivi, réduit à se cacher, pendant que le Châtelet faisait saisir ses presses, il trouve cependant le moyen de poursuivre la publication de sa feuille, à travers plusieurs interruptions et au milieu de tribulations sans nombre. Forcé de fuir en Angleterre, il revient quelques mois après, reprend son journal avec un redoublement d’énergie (juillet 1790), et dans un écrit séparé, C’en est fait de nous ! dénonce une conspiration peut-être imaginaire et appelle le peuple à l’insurrection.

C’est dans ce factum que se trouve la phrase connue : « Cinq à six cents têtes abattues vous eussent assuré le repos, la liberté, le bonheur ; une fausse sécurité a retenu vos bras et suspendu vos coups ; elle va coûter la vie à un million de vos frères. »

Tout le monde s’émut de telles prédications. Desmoulins crut devoir faire quelques observations à son « cher » Marat. « Vous êtes, dit-il, le dramaturge des journalistes. Les Danaïdes, les Barmécides ne sont rien en comparaison de vos tragédies. Vous égorgeriez tous les personnages de la pièce, et jusqu’au souffleur. Vous ignorez donc que le tragique outré devient froid. »

Mais [’opiniâtre publiciste demeura inflexible dans sa voie, exalté d’ailleurs par les poursuites et les attaques dont il était l’objet (souvent obligé de se cacher dans les caves), par sa vie fiévreuse, son tempérament maladif et irritable, sa pitié farouche et passionnée pour les pauvres et les opprimés ; enfin par ses haines, son orgueil de tribun et ses prétentions de politique profond et d’homme à grandes vues.

Il faut ajouter le milieu et les circonstances, l’exaltation universelle des esprits, les complots réels dont on était enveloppé, les périls publics, enfin (à ce qu’il semble) cette manie bizarre des disciples de Rousseau de s’assimiler la maladie noire de leur maître et de ne voir autour d’eux que des traîtres, des ennemis, des embûches et des complots.

Le malheureux, si visiblement sincère en ses passions, mais plein de l’esprit implacable du moyen âge alors qu’il se croyait le législateur des temps nouveaux, en arriva à l’idée des anciens orthodoxes et des ultra-royalistes de son temps (qui restent les maîtres en furie sanguinaire), à la théorie de l’épuration du corps social, de la suppression des membres gangrenés et pourris, comme disaient les chrétiens, du sacrifice des ennemis pour le salut public, érigea enfin le châtiment en doctrine politique, en moyen de gouvernement.

C’était la pure théorie de l’ancien régime, et l’on sait trop avec quelle cruauté les hommes du passé l’ont toujours appliquée chaque fois qu’ils ont été les maîtres. Est-ce que, depuis 1789, chaque réaction n’a pas été marquée par des supplices et des proscriptions, et dans des proportions qui laissent bien loin les violences populaires ? En vérité, ceux qui ont constamment ensanglanté leur triomphe n’ont rien à reprocher à Marat et à ses excès de parole, bien qu’eux-mêmes soient toujours couverts par les complaisances de l’histoire, qui, généralement, n’a d’indulgence que pour les ennemis du peuple et de la liberté.

Nous n’avons certes point l’intention de justifier les violences qui échappaient à Marat dans la rédaction hâtive et fiévreuse de son journal ; mais, tout en condamnant ce qui doit être éternellement condamné, il est d’une critiqué équitable, croyons-nous, de tenir compte de tous les éléments de la cause.

Si ses accusations continuelles contre les fonctionnaires et un peu contre tout le monde, si ses dénonciations, ses menaces, ses invectives, ses excitations à la violence lui avaient fait un grand nombre d’ennemis, il avait aussi des partisans dont l’enthousiasme tourna de plus en plus au fanatisme, et non-seulement dans le peuple, qui le regardait comme son tribun, comme l’avocat de ses misères, mais encore parmi les classes bourgeoises, chose qu’on a trop oubliée.

Certains hommes politiques, sans partager son exaltation, le regardaient comme un agitateur utile au milieu de la lutte terrible engagée contre l’ancienne société. Peut-être même quelques-uns de ceux qui s’indignaient bruyamment ne dédaignaient-ils pas d’attiser la colère de ce dogue de combat, toujours prêt à tout dire et à tout oser, quelle que fût la puissance de l’ennemi auquel il s’attaquait.

Sa feuille était le tocsin de la Révolution. Mais on se tromperait étrangement si l’on imaginait qu’elle ne contient que des déclamations convulsives, ces accès de fureur tant de fois cités, et qui inspirent une si légitime répulsion. Un grand nombre de morceaux, il en faut loyalement convenir, sont remplis de bon sens, de perspicacité, d’intelligence politique et de vigueur. N’oublions pas que des hommes d’une intelligence très-distinguée ont été de l’opinion que nous émettons ici et qui pourra sembler paradoxale aux esprits étroits et exclusifs. S’il fallait citer des exemples, nous rappellerions Victor Cousin, le célèbre philosophe, qui, suivant une assertion d’un autre philosophe éminent, Pierre Leroux, assertion qui n’a jamais été démentie que nous sachions, à l’époque la plus éclatante de son professorat, sous la Restauration, lisait en petit comité à ses disciples des fragments détachés du journal de Marat.

On peut encore juger de l’importance de cette feuille par les nombreuses contrefaçons et imitations qui en furent faites du vivant même de l’auteur. Est-il nécessaire de rappeler que l’engouement du peuple alla jusqu’au fétichisme et survécut même à la Terreur ? Ce fut en effet après le 9 thermidor que Marat fut panthéonisé, et la réaction contre sa mémoire ne commença à se manifester que vers le milieu de l’an III.

Assurément cette puissance inouïe d’une feuille et d’un journaliste, cette popularité exclusive et qui s’imposait à tous n’est pas due uniquement à des prédications sanguinaires qui avaient peut-être aussi pour but d’effrayer l’ennemi, et que sans doute on ne prenait pas toujours au sérieux, enfin dont tous les partis se sont d’ailleurs souillés à cette époque, on ne peut se lasser de le répéter.

M, Michelet, qu’on n’accusera pas de tendresse pour Marat, a dit de lui : « … Je savais, par beaucoup d’exemples, combien le sentiment du droit, l’indignation, la pitié pour l’opprimé peuvent devenir des passions violentes et parfois cruelles. Qui n’a vu cent fois les femmes, à la vue d’un enfant battu, d’un animal brutalement maltraité, s’emporter aux dernières fureurs ?… Marat n’a-t-il été furieux que par sensibilité, comme plusieurs semblent le croire ? Telle est la première question. »

Il faut ajouter que ces effervescences étaient entretenues, avivées par les complots continuels de la cour et de l’aristocratie. On a dit que Marat en voyait partout et que cette monomanie était une des causes de sa fureur. Il y a certainement du vrai dans cette assertion. Cependant il n’est pas moins certain qu’il a souvent deviné juste. Le 6 juillet 1790, il dénonçait la démarche de Mirabeau à Saint-Cloud, et nous savons aujourd’hui que rien n’était plus vrai. À ceux qui se récriaient, il faisait remarquer que c’était au célèbre tribun qu’on devait le veto, la loi martiale, l’initiative de la guerre donnée au roi, etc. Un peu plus tard, il affirmait la vénalité de l’orateur et calculait même le prix approximatif de la corruption, en se basant sur les achats de maisons ou de terre, le nouveau train de vie, les dettes payées, etc. Il a pu se tromper sur les chiffres qu’il donnait au hasard de ses renseignements, mais le fait était de la plus rigoureuse exactitude.

Huit mois avant la fuite de Varennes, il écrivait dans son numéro 314 : « La fuite de la famille royale est concertée de nouveau ; c’est toujours à Metz, et sous la protection de l’antirévolutionnaire Bouillé, que le monarque doit se mettre à la tête des ennemis de la liberté pour tenter une contre-révolution. »

Or, nous savons par les mémoires de Bouillé que rien n’était plus vrai.

On pourrait encore rappeler qu’il annonça à l’avance, avec une étonnante justesse, la défection de La Fayette, puis celle de Dumouriez.

Quelques jours avant le massacre du Champ de Mars, il avait prédit que, pour restaurer la royauté, réhabiliter un roi couvert d’opprobre, on emploierait la force ouverte : « C’est leur plan, disait-il, n’en doutez pas. Tout s’apprête dans le mystère pour la fatale explosion. »

Après la catastrophe, abrité dans ses caves, il continua son journal pendant quelques jours avec un redoublement d’énergie et de colère ; mais bientôt tout lui manqua, imprimeur, distributeurs, et jusqu’à l’éditeur, qui était une femme, Mlle Colombe, laquelle fut arrêtée et traînée de prison en prison.

Mais dès le mois suivant il trouvera le moyen de ressusciter sa feuille et de recommencer sa lutte acharnée, mêlant souvent à ses violences de parole, aux effervescences d’un tempérament excessif et nerveux, des idées d’une incontestable justesse sur les hommes et sur les choses ; le tout pêle-mêle, sans ménagements, sans mesure et dans le ton d’une polémique à outrance. Le public parisien, faisant sans doute la séparation, s’en étonnait peu, car l’hyperbole était alors la note de tous les partis. Il accueillait ces feuilles enflammées avec une passion dont, à notre époque, la vogue des écrits de Rochefort ne peut nous donner qu’une faible idée.

Cependant, malgré sa popularité, il ne fut pas même porté comme candidat à l’Assemblée législative, ce qui paraît lui avoir été fort sensible. Il songea un moment à quitter son terrible combat, qui lui attirait des haines implacables autant qu’il lui donnait d’enthousiastes partisans, et même il eut l’idée d’abandonner la France, comme s’il eût désespéré de la liberté.

Il fit un numéro d’adieu (21 sept. 1791), qui ne manqua ni d’éloquence ni de dignité, puis quitta Paris avec l’intention de se rendre en Angleterre. Mais, chose curieuse, il ne put s’arracher de sa patrie d’adoption ni des périls et des amertumes de cette lutte qui le forçait à vivre comme à l’état d’outlaw et de proscrit. Sur sa route, à Clermont-en-Beauvoisis, il écrivit un numéro de son journal, puis un autre à Breteuil, un autre à Amiens, enfin revint dans la capitale pour continuer son labeur de publiciste, de plus en plus aigri et surexcité. Il trouve la seconde législature aussi pourrie- que la première, et il ne voit de remède que dans un soulèvement général de la nation. Bientôt son exaltation et sa misanthropie le plongèrent encore une fois dans le découragement, et il partit à la fin de décembre pour Londres, où il s’occupa de la composition d’un livre, l’École du citoyen, dans lequel il se proposait de refondre les principaux morceaux de l’Ami du peuple.

Il revint quatre mois plus tard, au commencement d’avril 1792, et reprit la publication de son journal. Il se prononça contre la guerre, et, quand elle fut commencée, attaqua les généraux avec le même emportement qu’il avait attaqué les ministres et les législateurs. 11 fut l’objet de nouvelles poursuites, réduit encore à se cacher, pendant qu’on brisait ses presses et qu’on imprimait de faux numéros de son journal pour le compromettre davantage. Dans cette période, il ne pouvait le publier d’ailleurs que par intervalles, comme cela lui était déjà arrivé. C’est à cette époque aussi que commence sa grande lutte contre les girondins, qu’il surnommait avec ironie les hommes d’État, et qui le traitaient lui-même avec une extrême violence, soit à l’Assemblée, soit dans leurs journaux. Forcé de se cacher (Legendre l’abrita souvent dans ses caves), il ne joua aucun rôle au 20 juin, non plus qu’au 10 août ; mais dans cette dernière journée, au bruit du canon, il rédige et fait afficher dans Paris un placard d’une énergie délirante, dans lequel il recommandait au peuple de décimer les contre-révolutionnaires, ministres, généraux, députés, etc.

Évidemment le malheureux homme, exaspéré par les luttes, les souffrances, les persécutions qu’il avait subies, a contribué par ses violences de langage à surexciter les passions qui se déchaînèrent dans les journées de septembre. Cela n’est pas contestable.

Après le 10 août, il put continuer son journal en toute liberté. On lit partout, même dans les écrivains révolutionnaires, que de son autorité privée il fit alors enlever à l’imprimerie ci-devant royale quatre presses qu’il s’appropria pour son usage particulier. Son biographe, l’estimable M. Bougeart, n’a fait qu’effleurer cette question, n’ayant point en main les éléments nécessaires pour la résoudre. Mais M. Louis Combes a fait justice de cette légende dans ses Épisodes et curiosités révolutionnaires (1872, 1 vol.). Il a prouvé d’une manière péremptoire que l’enlèvement des presses, caractères et ustensiles avait sans doute été opéré, après le 10 août, par Marat, mais légalement, régulièrement, et en vertu d’un arrêté du comité de surveillance de la Commune de Paris. C’était une sorte de prêt national. Ce matériel fut installé dans l’ancienne maison des Cordeliers, où se tenait le club du même nom, et qui était devenue un domaine national.

Après la mort de l’Ami du peuple, ce matériel fut laissé à la disposition de sa compagne, Simonne Evrard, afin de lui permettre d’achever l’impression des œuvres de Marat ; elle en fit la restitution en ventôse de l’an III, en vertu d’un décret de la Convention nationale.

Tous ces faits sont établis avec la dernière évidence par un dossier de pièces officielles dont l’auteur que nous venons de citer a donné une analyse. Ce curieux dossier, qui se compose de procès-verbaux de la Commune et de la Convention, de reçus, de certificats, etc., a fait autrefois partie de la riche collection du baron de Laroche-Lacarelle, et il subsiste encore dans un cabinet de Paris. Il résulte de toutes ces pièces authentiques, originales, émanant des pouvoirs publics, que cette opération fut un dépôt sérieux, légal, régulièrement fait, et non pas, comme on le prétend, une prise de possession violente, une usurpation individuelle de la propriété publique. On ne pourrait désirer un ensemble de preuves plus concluantes et plus limpides. Ajoutons que ce prêt était une sorte de restitution, car plusieurs fois les presses de Marat avaient été brisées.

Quant à son rôle dans les affreuses journées de septembre, il n’est que trop vrai qu’il avait excité le peuple, dans son journal, à faire justice des officiers suisses renfermés à l’Abbaye, mais en recommandant d’épargner les soldats. Il fut appelé comme l’un des membres adjoints au fameux comité de surveillance de la Commune, sur lequel beaucoup d’historiens font retomber la responsabilité des massacres. Nous examinons cette question à l’article Massacres de septembre, et pour éviter les redites nous y renvoyons le lecteur. Ce que nous devons dire ici, c’est que Marat, quels qu’aient été précédemment ses déplorables excès de langage, ne paraît pas avoir eu sur les massacres l’action directe qu’on a supposée. Lui-même les a qualifiés, dans son Journal de la République (n° 12), d’événement désastreux ; il a repoussé, sans être démenti, « l’insinuation perfide de rejeter ces exécutions sur le comité de surveillance. » Mais il n’en est pas moins incontestable que par les violences de son journal il avait largement contribué à surexciter les passions populaires ; on ne pourra jamais l’en justifier. En outre, il fut l’un des signataires et probablement le rédacteur de la trop fameuse circulaire du comité de surveillance qui contenait l’apologie des exécutions et l’invitation aux provinces de suivre l’exemple de Paris. Au reste, on connaît assez sa théorie ; suivant lui, le peuple, en ce péril suprême, ne pouvait se sauver, sauver la patrie, qu’en terrifiant ses ennemis.

Marat fut élu par le corps électoral de Paris député à la Convention nationale. Il y prit place au sommet de la Montagne, bien qu’en réalité, par sa personnalité fortement accusée et son orgueil, il ne fût guère d’humeur à se soumettre à la discipline d’un parti, accoutumé qu’il était à marcher seul dans sa voie. Les plus ardents d’entre les montagnards, de leur côté, n’osaient trop l’avouer pour un des leurs, bien que quelques-uns ne fussent point fâchés de le voir escarmoucher à l’avant-garde, comme une sorte de tête de Méduse, pour épouvanter les aristocrates.

Quant à lui, sincère en ses emportements comme dans son imperturbable orgueil, convaincu qu’il était le grand homme d’État de la Révolution, il supportait toutes les attaques avec le sang-froid le plus méprisant. Accusé par les girondins, dès les premiers jours de l’Assemblée, d’avoir demandé l’établissement d’une dictature pour sauver la patrie, désavoué sur cette question par Danton et Robespierre (enveloppés eux aussi dans cette accusation), il déclara hardiment que c’était lui qui avait jeté dans le public cette idée romaine d’un tribun ou d’un dictateur dans un moment où la cause populaire semblait désespérée. C’est à la fin de cette discussion passionnée qu’il appliqua un pistolet sur son front en disant aux représentants : « Je ne crains rien sous le soleil, et je dois déclarer que si le décret d’accusation eût été lancé contre moi, je me brûlais la cervelle au pied de cette tribune… Voilà donc le fruit de trois années de cachot et de tourments essuyés pour sauver la patrie ! Voilà le fruit de mes veilles, de mes travaux, de ma misère, de mes souffrances, des dangers que j’ai courus, etc. »