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intérêt. Mais la première fois qu’il apparut avec éclat comme orateur, ce fut dans la mémorable sénnce royale du 23 juin, h l’issue de laquelle le maître des cérémonies, M. de Dreux-Brézé vint réitérer les ordres du roi, dont lu volonté expresse était que l’ancienne distinction des trois ordres fût conservée et que les députés formassent trois chambres. La noblesse et le clergé avaient obéi ; mais les communes étaient restées assises, immobiles et impassibles. On connaît assez cette incomparable scène. Sans doute les députés avaient juré de donner une constitution à la France ; mais il était a redouter que ce mot, tout-puissant dans l’ancienne France : Ordre du roi, ne brisât toute velléité de résistance de la part d’une assemblée qui était entièrement monarchique, il est a peine nécessaire de le rappeler. Dans tous les cas, la moindre hésitation eût été funeste. Mirabeau, qui après le départ du roi avait déjà prononcé un discours énergique et concis pour rappeler à l’Assemblée son serment, se leva une nouvelle fois pour répondre à M. de Dreux-Brézé, et de sa voix tonnante, avec une majesté terrible, il proféra la magnifique apostrophe qui est dans toutes les mémoires :

« Oui, monsieur, nous avons entendu les intentions qu’on a suggérées au roi ; et vous qui ne sauriez être son organe auprès des états généraux, vous qui n’avez ici ni place, ni droit de parler, vous n’êtes pas fait pour nous rappeler son discours. Cependant, pour éviter toute équivoque, je déclare que, si l’on vous a chargé de nous faire sortir d’ici, vous devez demander des ordres pour employer la force ; car nous ne quitterons nos places que par la puissance des baïonnettes 1 ■

Telle est la version du Moniteur. La phrase populaire est celle-ci : « Allez dire à votre maître que nous sommes ici par la volonté du peuple, et qu’on ne nous en arrachera que par la puissance des baïonnettes I >

Dans ses Lettres à mes commettants, Mirabeau lui-même donne la version que nous rapportons ci-dessus et d’après te Moniteur,

Quoi qu’il en soit, ces variantes n’ont que peu d’importance ; le fond est le même ; la Révolution, la France nouvelle ne pouvait parler un plus noble langage. L’effet fut décisif et foudroyant ; l’Assemblée se souleva dans une acclamation passionnée. M. de Dreux-Brézé, déconcerté, sortit involontairement à reculons, comme un faisait devant le roi ; il se sentait en présence d’une majesté nouvelle : la nation, la loi. Quarante-quatre ans plus tard, le fils de M. de Dreux-Brézé, pair de France, s’estavisé de contester les détails de cette scène ; mais ils sont attestés par des témoins oculaires, notamment M. Frochot, qui les a rapportés au fils adoptif de Mirabeau. (V. les Mémoires, t. VI, p. 39.)

L’Assemblée resta en séance et, sur la proportion de Mirabeau, décréta l’inviolabilité de ses membres et persista dans ses précédents arrêtés.

Désormais la place du grand orateur était marquée, et son influence sur l’Assemblée ne ht plus que grandir de jour en jour, en même temps que sa popularité.

Le 8 juillet, il demanda le renvoi des troupes qui menaçaient Paris et Versailles, ainsi que la création d’une garde nationale, et fut chargé de rédiger à ce sujet une adresse au roi, dont il fit un chef-d’œuvre de mesure, de tact et de fermeté. Le lendemain de la prise de la Bastille, la nouvelle que le roi allait se rendre au sein de l’Assemblée ayant excité un vif enthousiasme, il le réprima en s’éeriant : • Qu’un morne respect soit le premier accueil fait au monarque dans ce moment de douleur... Le silence du peuple est la leçon des rois. > C’est dans cette même séance et peu d’instants auparavant que, s adressant a une nouvelle députation qu’on envoyait au monarque, il prononça la véhémente apostrophe : « Dites-lui bien que les hordes étrangères dont nous sommes investis ont reçu hier la visite des princes, des princesses, des favoris, des favorites, et leurs caresses, et leurs exhortations et leurs présents ; dites-lui que, toute la nuit, ces satellites étrangers, gorgés d’or et de vin, ont prédit dans leurs chante impies l’asservissement de la France, et que leurs vœux brutaux invoquaient la destruction de l’Assemblée nationale ; "dites-lui que, dans son palais même, les courtisans ont mêlé leurs danses aux sons de cette musique barbare, et que telle fut l’avantscène de la Saint-Barthélémy I... ■

Le 83 juillet, il demanda l’organisation des municipalités, s’éleva avec force, deux jours plus tard, contre la violation du secret des lettres et parla en faveur du système de la majorité simple, dans les délibérations. 11 n’assistait pas k ta grande séance nocturne du 4 août, mais il en donna dans son Courrier de Provence un récit fort animé. Le 10, il parla en faveur du projet de rachat des dîmes ecclésiastiques, et des murmures s’étant élevés k droite quand on l’entendit qualifier de salaire les émoluments du clergé, il fit cette rude réplique, qu’il ne connaissait que trois manières d exister dans la société : qu’il fallait y être voleur, mendiant ou salarié. Il parut dévier en voulant faire ajourner la rédaction de la déclaration des droits jusqu’après l’achèvement de la Constitution ; il fut assez vivement attaqué à ce sujet, et plusieurs de ses collègues de la gauche lui reprochèrent d’avoir précédemment plaidé la

thèse contraire et de chercher a entraîner

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l’Assemblée vers des partis opposes. Il répondit avec plus de hautéUr que de logique que c’était là un trait lancé de tas en haut.

Cette contradiction n’est pas un détail indifférent à noter, car k cette époque déjà le puissant tribun avait fait plusieurs tentatives pour entrer en relation avec la cour ; la Correspondance entre Mirabeau et le comte de La Marck nous en fournit les preuves irrécusables, et l’on sait que c’est principalement dans ces documents originaux que cette grande question doit être étudiée.

En mai, il.avait fait quelques ouvertures à Malouet. À la fin de juin, il s’adressa au comte de La Marck, qui bientôt allait devenir l’intermédiaire de ces relations. Pour atténuer ses éclats de tribune aux yeux de son ami, qui était un des familiers du château, il protestait de ses opinions monarchiques et se représentait comme entravé dans ses légitimes ambitions. « Ce n’était pas sa faute si on le repoussait et si on le forçait, pour sa sûreté personnelle, à se faire le chef du parti populaire... » l’infin il lui dit, quelques jours après, ces mots significatifs : • Faites donc qu’au château on me sache plus disposé pour eux que contre eux. »

M. de La Marck, admirant en Mirabeau un homme de la plus haute capacité et dont la royauté pourrait tirer un grand parti quand on l’aurait affranchi de ses embarras subalternes (ses embarras d’argent), se décida h faire quelques ouvertures. En attendant, il lui prêta 50 louis et lui fit facilement accepter la même somme pour chaque mois.

La négociation était difficile. L’impétueux orateur était l’épouvantail de la cour. Aux premières paroles, Marie-Antoinette répondit : « Nous ne serons jamais assez malheureux, je pense, pour être réduits à la pénible extrémité de recourir à Mirabeau. •

Ces résistances irritaient et désespéraient le tribun. « À quoi pensent donc ces gens-là ? disait-il k son ami ; ne voient-ils pas les abîmes qui se creusent sous leurs pas ? »

Puis, entraîné plus encore peut-être par son impétuosité naturelle et par son tempérament révolutionnaire que par ses dépits d’ambitieux déçu, il se rejetait dans ses luttes oratoires, il effrayait de nouveau la cour, il travaillait lui-même k creuser cet abîme qu’il signalait en s’offrattt pour le combler. Il soutint le principe de la responsabilité de tous les agents du pouvoir, parla en faveur de la complète liberté des cultes, contre les parlements, mais, par un revirement qui parut inexplicable, défendit énergiquement le veto royal.

Mirabeau resta étranger, du inoins maternellement, aux journées des 5 et S octobre. On l’accusa, il est vrai, avec le duc d’Orléans, d’avoir été un des instigateurs de l’émeute, et la procédure du Châtelèt mentionne quelques dépositions contre lui ; mais il fournit a 1 Assemblée des explications qui parurent concluantes.

Peu de jours après l’installation de la famille royale à Paris, il jugea l’occasion favorable à son ambition et fit remettre au roi (15 octobre) un mémoire dans lequel il conseillait à Louis XVI de se retirer en Normandie, d’y appeler l’Assemblé% nationale, de sanctionner les bases constitutionnelles, mais d’ajourner la sanction des décrets contraires à 1 autorité royale. Ce plan n’était pas précisément contre-révolutionnaire comme ceux du parti de la cour ; mais on conviendra que ce n’était qu’une question de nuance et de degré. Il rêvait alors le ministère, il voulait se faire accepter ou s’imposer, et son désir, aiguillonné par ses besoins, était si vif, qu’il s’en ouvrit à La Fayette, qu’il détestait en le jalousant. Il parait que le général le leurra de l’espoir d’un secours de 50,000 livres sur la liste civile et d’une ambassade. Mais rien de tout cela ne se réalisa, et, quant au ministère,

rielles. Il fut atterré de cette décision, qui avait été proposée et soutenue par ses ennemis, et certainement pour le frapper dans ses ambitions.

Un peu découragé, M. de La Marck s’était pour la moment retiré dans ses terres de Belgique. Mirabeau avait’ en vain tenté do retenir cet utile intermédiaire par ces étranges paroles : • Si la guerre civile vient à notre secours, nous pourrons servir la cause royale, vous militairement, moi politiquement. • 11 no resta pas d’ailleurs inactif après le départ de son ami et tenta notamment de se rapprocher de La Fayette, à qui il s’offrit pour conseiller. = Soyez Richelieu ; lui écrivit-il... Richelieu avait son capucin Joseph ; ayez donc aussi votre éminence grise, ou vous vous perdrez en ne nous sauvant pas. Vos grandes qualités ont besoin de mon impulsion... >

Mais l’honnête La Fayette, un peu effrayé par l’immoralité proverbiale de Mirabeau, et d’ailleurs fort indécis de caractère, éluda ces propositions. Le tribun en conserva un amer ressentiment, et il ne laissa, depuis, échapper aucune occasion de manifester ses antipathies pour le général,

Cependant Marie-Antoinette, obsédée sans doute de divers côtés, avait fini par être ébranlée et, malgré se3 répugnances, elle se résigna, au commencement de 1790, k subir les services de celui qu’elle appelait dans ses lettres le monstre. Eu mars, on fit revenir La Marck de Bruxelles pour poursuivre la négociation. Il fut convenu que les ministres

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ne seraient point mis dans le secret de ces relations et que Mirabeau développerait d’abord ses vues dans une note qui serait remise à ia reine et au roi,

Enapprenantcettesolution, le tribun tomba dans un ravissement enfantin. Quelques jours après (10 mai), il remit la note qu’on lui avait demandée et qui produisitsur le roi et la reine une impression assez favorable. Enfin le marché fut conclu, car c’était un véritable marché. Toujours.par l’intermédiaire do La Marck, il fut arrêté d’abord que la roi payerait les dettes de Mirabeau, qui en fournit lui-même la note (200,000 fr.). Parmi ces dettes, il en était qui attestaient les vicissitudes d’une vie tristement agitée, par exemple celle des habits de noces, qui depuis dix-sept ans étaient encore à payer. Louis XVI s’engagea en outre à fournir k son nouvel auxiliaire une pension de 6j000 livres par mois ; de plus, ’il remit en dépôt entre les mains de La Marck un million pour être remis h Mirabeau k la fin de la session s’il servait fidèlement la cause royale, comme il le promettait. Il ajouta encore 300 francs par mois pour un copiste . chargé de transcrire les notes à la cour, les originaux devant rester entre les main&’de Mirabeau. 4

À dater de ce moment, les actes et les discours de l’orateur ne furent plus la plupart du temps qu’un jeu concerté avec la cour ! Ses notes se succédèrent rapidement. Il en fit passer aux Tuileries plusieurâ par-semaine. La matière et les pièces de cette corresponc dance" politique sont désormais entièrement sous nos yeux. Elles consistent en cinquante notes écrites de juin 1790 jusqu’en avril 1791 ; plus, quantité de lettres et billets échungés soit entre Mirabeau et La Marck, soit entré l’un des deux et quelque autre correspondant intime. L’existence de ces pièces était connue depuis longtemps, et Droz, entre autres, avait été admis à les consulter pour ses Considérations sur le règne de Louis XVI. Les minutes originales, léguées par Mirabeau à La Marck, ont été publiées en 1851 par M. deBacourt, chargé de ce soin par le légataire, et çJii s’en est acquitté pieusement et consciencieusement. Ces documents sont accompagnés d’éclaircissements et d’un récit complet de cette

grave affaire par M. de La Marck. Comme nous l’avons dit plus haut ; notre narration résumée s’appuie principalement sur ces témoignages irréfragables, ainsi que sur divers passages de la correspondance de la reine.

Il résulte de tout cela, de la manière la plus certaine, que Mirabeau s’est bien réellement vendu. Quelque brutale que soit cette expression, quelque pénible qu’il soit de l’employer en parlant d’un tel homme, on ne peut rieu contre l’évidence des faits.

Des critiques complaisants ont cherché k atténuer’la défection et les défaillances du grand orateur, en disant qu’il avait, il est vrai, reçu de l’argent, qu’il avait entretenu un commerce secret avec la cour, mais qu’en définitive il n’avait pas positivement trahi la cause de la liberté. Ces distinctions subtiles, ces équivoques d’une moralité douteuse ne supportent d’ailleurs pas l’examen ; il est avéré que Mirabeau s’est offert, qu’il a été payé et qu’il a modifié sa politique dans un sens rétrograde. Que veut-on de plus ?

M. Sainte-Beuve dit k ce sujet :

« Non, Mirabeau ne s’est pas vendu, mais il s’est laissé payer : là est la nuance. »

Ou conviendra que la nuance n’est pas fort tranchée. En sollicitant un tel rôle, dans sa position de tribun révolutionnaire, Mirabeau savait bien qu’on attendait de lui une besogne de réaction ; et, d’autre part, la cour savait bien que lui-même attendait un salaire. Ces deux conditions du marché étaient si bien comprises des deux côtés, que, dès la première note, la question d’argent fut réglée et sans qu’il fût besoin d’employer aucun ménagement. Les conditions présentes, l’éblouissante perspective d’un million dans un avenir rapproché, inspirèrent subitement à Mirabeau un enthousiasme que dépeint son admirateur et ami, le comte de La Marck. «il laissa, dit-il, éclater une ivresse de bonheur dont l’excès, je l’avoue, m’étonna un peu, et qui s’expliquait cependant assez naturellement, d’abord par la satisfaction de sortir de la vio gênée et aventureuse qu’il avait menée jusque-là, et aussi par le juste orgueil de penser que l’on comptait enfin avec lui. Sa joie ne connut plus do bornes, et il trouvait au roi toutes les hautes qualités qui doivent distinguer un souverain... »

C’est surtout avec la reine que Mirabeau allait travailler à sauver la monarchie. 11 se trouva ainsi comme enrôlé dans ce fameux comité autrichien dont l’existence était beaucoup plus réelle que ne l’ont cru certains historiens. Ainsi La Marck, l’homme de la reine, était sujet autrichien ; le comte de Mercy, ambassadeur de la cour de Vienne et le mentor de Marie-Antoinette, avait également travaillé k l’embauchage du tribun populaire, ainsi que deux autres personnages auliques, le baron Flachslanden et le diplomate baron de Thugut.

Parmi les notes de Mirabeau, il en est un bon nombre destinées spécialement k Marie-Antoinette et qui, sans aucun doute, n’étaient communiquées au roi qu’après avoir été amendées par une espèce de censure préalable. On en trouve la preuve notamment dans le passage suivant d’une lettre de Mirabeau à La Marck ; 1 La vérité m’a tellement frappé et

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les accessoires se sont présentés si en foule, que j’ai répondu peut-être plus de choses que 1 espritauquel cetécrit est destiné (Louis XVI) n’en peut digérer. C’est k la reine k lire attentivement, k indiquer ce qu’il pourrait y

avoir de trop ou de trop peu, ce qu’il faudrait omettre ou développer, d

Ce qu’il voulait, cela n’est pas douteux, c’était le pouvoir, et si dans cette poursuite fiévreuse il s’attachait surtout k la faction la plus rétrograde, la plus inconciliable avec la France nouvelle, c est qu’il rêvait de gouverner de concert avec la reine, .d’être pour elle comme un nouveau Mazarin, — une.sorte d’époux politique, comme l’a dit un historien, un directeur effectif, et peij^-être quelque chose de plus ; car qui peut savoir tout ce qur bouillonnait dans cette tête incandescente, dans ce volcan do passions ?

Bientôt, écrire k Marie-Antoinette-ne lui suffit plus, il voulut la voir, fit solliciter et enfin obtint une entrevue secrète, qui eut lieuau château de Saint-Cloud le 3 juillet 1790. lien revint enthousiasmé au delk de toute expression. De leur côté, le roi et la reine crurent tout sauvé dès qu’on avait Mirabeau. Il leur semblait que le Samson qui avait tan ? contribué k ébranler la monarchie aurait également la puissance de relever l’édifice.

Cependant, le secret de cette entrevue avait transpiré dans le public ; les journaux s’en occupèrent, et même on en imprima une rerlation plus ou moins exacte, sous ce titre significatif : la Grande trahison de Mirabeau. Celui-ci eut l’audace de feindre un commencement de procès en calomnie ; mais il se laissa^facilement’dissuader.

Toutefois, la cour ne se hâtait point de se placer sous’sa direction absolue ; on voulait bien accepter un conseiller, mais non subir un maître. En outre, les indécisions do Louis XVL le secret gardé vis-k-vis des ministres compliquaient cette situation déjà si étrangement fausse et difficile. Toutes ces entrevues donnaient k Mirabeau des mouvements d’humeur et d’orgueil blessé. Ces yenslà, disait-il, ne le comprenaient pas ou le dédaignaient stupidement. De là de nouveaux

emportements de tribune, comme dans l’affaire du pavillon tricolore k arborer sur In flotte, où il prononça un discours révolutionnaire et fit adopter la motion que, non-seulement le pavillon blanc céderait la place aux couleurs de la Révolution, mais encore que les matelots substitueraient k l’antique cri de Vive le roi celui de Vivent la nation, la loi et le roi !

On comprend facilement la stupéfaction de Louis XVI et du comité autrichien. Ce n’était certes pas pour jouer cette partie que l’on payait le tribun. La Marck, ne sachant comment excuser son ami, lui écrivit une lettre de reproches. Il y avait dans cette incartade, qui ne fut pas la seule de ce genre, une question de tempérament, le besoin de retremper de temps a autre une popularité chancelante, une haine réelle de la contre-révolution (car Mirabeau voulait arrêter le mouvement, mais non retourner à la monarchio absolue, k l’ancien régime pur), enfin le dépit de voir la cour écouter d’autres conseils que les siens. Quoi qu’il en soit, le coup était rude, et Marie-Antoinette, ainsi que le roi, vivemeut irritée, ne voulait plus entendre parler du décevant tribun.

Il reprit faveur en signalant (novembre 1790) la présence k Paris de l’héroïne du collier, M’a« de La Motte, et en affectant un grand zèle pour l’en chasser, car il affirmait qu’elle était accourue de Londres pour demander U l’Assemblée la révision de son procès. À Ta fin de l’année précédente, cette femme avait en effet paru un instant dans la capitale, au grand effroi de la reine ; mais cette fois, la’ police de la cour ne put découvrir ses traces, et il est probable que ce n’était lk qu’une fable inventée par Mirabeau pour reconquérir la confiance de Marie-Antoinette, qui se montra en effet reconnaissante du dévouement qu’il avait affiché. Satisfait d’avoir ressaisi son ascendant, il attendit avec plus de patience l’occasion favorable k ses desseins. Il se livra dès lors avec plus d’abandon k la cour. À la fin de cette année 1790, il conçut un vaste plan de police secrète et de direction de l’esprit public, dont il se réservait la haute direction (La Marck, t. 1er, p. 220-223 ; t. II, f). 414-504). Ce projet, habilement conçu et onguement détaillé, ne fut mis k exécution qu’un au après, ainsi que nous l’apprend Bertrand de Molleville dans ses mémoires. En janvier 1791, Mirabeau parvint k déterminer Louis XVI k se retirer dans une ville frontière pour dicter de lk ses conditions, demander notamment la modification de certains articles constitutionnels dans un sens monarchique. La Marck fut chargé par le roi d’aller k Meta prendre les arrangements nécessaires avec Bouille. Le plan concerté étuit k peu

Ïirès le même, sauf quelques détails, que ceiii qui fut exécuté lors de la fuite de Varennes. Mais Mirabeau n’en vit pas l’avorte ment, car k cette époque il était mort. Si nous rappelons ces faits, ce n’est pas pour la cruelle satisfaction d’amoindrir encore le grand tribun, mais simplement pour réponure k certaines réhabilitations trop complaisantes qui le réprésentent comme étant demeuré fidèle k ses principes, tout en acceptant un salaire de la contre-révolution. Certainement, répétons-le, il ne songeait pask rétrograder jusqu’au delk de 1789 ; il avait une intelligence

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