Page:Larousse - Grand dictionnaire universel du XIXe siècle - Tome 11, part. 1, Mémoire-Moli.djvu/315

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ou dans une maison de campagne à Argenteuil, aux environs de Paris. Des dissensions domestiques l’avaient séparé de sa femme, qui lui avait donné onze enfants, et contre laquelle il soutint de nombreux procès qui ébruitaient ces scandales d’intérieur. Son antipathie contre son épouse rejaillit sur son fils aîné, sur celui qui devait donner tant d’éclat à son nom. On trouve des traces nombreuses de cette inimitié, accusée dès la naissance de l’enfant, dans les correspondances inédites du marquis avec son frère le bailli. Plus tard, il réprima les écarts du trop fougueux jeune homme avec une impitoyable dureté, obtint contre lui des lettres de cachet, le fît enfermer au fort de Ré, au château d’If, etc.

« Il serait curieux, dit Sainte-Beuve, et je le ferai peut-être un jour, de suivre les variations, les luttes, les contradictions violentes de ce père à la fois irrité, humilié et, à de rares instants, enorgueilli de son fils, durant ces années d’une célébrité si mélangée et encore douteuse, par où celui-ci préludait à la gloire. Pourtant, ce mot de gloire, le père implacable, vaincu dans ses derniers jours, a fini par le proférer de loin sur la tête radieuse de son fils. Lorsque décidément le Mirabeau pamphlétaire eut cessé d’écrire et que l’orateur eut levé la tête, quand il eut pris son grand rôle dans les assemblées des états de Provence et qu’il s’y fut dessiné comme tribun déjà et comme pacificateur tout ensemble, le vieillard, lisant la relation de ces scènes mémorables, s’écria : « Voilà de la gloire, de la vraie gloire ! » Et, vers le même temps (28 janvier 1789), il écrivait à son frère le bailli, parlant de son fils : « De longtemps ils n’auront vu telle tête en Provence... Je l’ai vérifié par moi-même, et, dans quelques conversations et communications, j’ai aperçu vraiment du génie ! » Génie et gloire, voilà le dernier mot de ce père si longtemps impitoyable et inexpugnable ! C’est la bénédiction finale qu’il envoie à son fils... Ne jugeons donc pas ces querelles de races et où, dans le fond, les génies de deux époques étaient aux prises, de notre point de vue domestique et bourgeois d’aujourd’hui. Reconnaissons qu’il y avait dans ces âmes extrêmes une grandeur qui nous étonne, qui nous surpasse et qui a péri :

Grandiaque effossis mirabitur ossa sepulchris.

Quelque opinion qu’on garde sur ces duretés paternelles, il ne faut pas oublier qu’elles étaient un peu dans les mœurs de l’ancien régime. En outre, cet homme si farouche n’était-il pas légèrement fanfaron de rudesse, comme son fils l’était d’immoralité ? C’était le vice de race, le caractère typique de cette famille de glorieux et d’originaux.

D’ailleurs, et comme complément aux contrastes que nous avons signalés, cette espèce de Caton féodal avait mille qualités sensibles, compatissantes ; il s’occupait du sort de ses vassaux tout en les rudoyant ; il avait des accès de morale riante, appelant La Fontaine son vrai Père de l’Église ; il aimait les champs, les travaux de la terre, la vie simple et agreste ; enfin, quoi qu’on ait dit de ses manies d’économiste et quelle que fût la valeur de ses idées, elles n’en sont pas moins un témoignage qu’il rêvait, qu’il cherchait l’amélioration du sort de tous, le développement de la prospérité publique.

Voici la liste de ses principaux écrits : Mémoires sur les états provinciaux (1757) ; Théorie de l’impôt (1760) ; cet ouvrage le fit enfermer quelque temps à Vincennes ; Philosophie rurale ou Économie générale et particulière de l’agriculture (1764, 3 vol. in-12) ; Lettres sur le commerce des grains (1768) ; les Économiques (1769) ; Lettres économiques (1770) ; la Science ou les Droits et les devoirs de l’homme (1774) ; Lettres sur la législation (1775) ; Éducation civile d’un prince (1788), etc. En outre, il fut un des rédacteurs du Journal de l’agriculture et des Éphémérides du citoyen. Sa correspondance avec son frère est pleine de traits originaux ; ce qu’on en connaît fait désirer vivement la publication de ces archives domestiques.


MIRABEAU (Gabriel-Honoré Riquetti, comte de), orateur illustre, fils du précédent, né au château de Bignon (Loiret) le 9 mars 1749, comme l’établit d’une manière définitive son acte de baptême, retrouvé en septembre 1863 au greffe du tribunal de première instance de Montargis, où sont déposés les anciens registres de la commune de Bignon. Il mourut à Paris le 2 avril 1791, âgé seulement de quarante-deux ans moins un mois.

Défiguré dès l’âge de trois ans par la petite vérole, il garda cette laideur puissante qui a tant frappé ses contemporains, ce masque léonin où l’intelligence et l’expression triomphaient de la laideur même. C’est en faisant allusion à cette laideur, aussi bien qu’à sa force, à ses passions violentes et à son caractère indomptable, que son père, qui d’ailleurs ne l’a jamais aimé, disait de lui que c’était un mâle monstrueux ou physique et au moral. Confié successivement à divers maîtres, il apprit avec une facilité surprenante les langues anciennes et modernes, les mathématiques sous Lagrange, le dessin, la musique, les exercices du corps, etc. Ayant de bonne heure révélé son tempérament impétueux, il fut placé par son père à l’École militaire en manière de correction, dévora tous les ouvrages sur l’art de la guerre et sortit officier à l’âge de dix-sept ans. Ici commence le roman de sa vie. Des dettes, une intrigue d’amour le firent enfermer à l’île de Ré, en vertu d’une lettre de cachet obtenue par son père. On sait assez que le terrible Ami des hommes en sollicita et en obtint bien d’autres dans la suite. Ce fut entre lui et son indisciplinable fils une lutte sans merci, un véritable duel.

Envoyé en Corse avec son régiment, Mirabeau fit la guerre quelques années et obtint, à son retour, le grade de capitaine de dragons. Dans les rares loisirs que lui laissaient ses devoirs militaires et ses habitudes de plaisir, il avait composé une histoire de la Corse, que son père détruisit, parce qu’elle était empreinte de vues philosophiques qui ne s’accordaient pas avec ses propres idées. En outre, autant par avarice que pour arrêter les désordres de son fils, il le laissait systématiquement en proie à des embarras pécuniaires. Malgré ses dérèglements, Mirabeau s’annonçait déjà avec des facultés si puissantes, que son oncle le bailli écrivait à son sujet : « Ou c’est le plus habile persifleur de l’univers, ou ce sera le plus grand sujet de l’Europe pour être général de terre ou de mer, ou ministre, ou chancelier, ou pape, ou tout ce qu’il voudra. »

En 1772, il épousa à Aix (Provence) Mlle  Émilie de Marignane, riche héritière, dont il dévora une partie de la fortune en peu de temps. Son père le fit alors interdire, judiciairement et confiner dans la petite ville de Manosque. Il y composa hâtivement son Essai sur le despotisme, livre écrit avec une verve peu réglée, mais qui contient des morceaux pleins d’éclat et des idées justes et hardies sur le gouvernement, les armées permanentes, etc. Ayant rompu son ban pour venger une de ses sœurs outragée, il s’embarrassa dans de nouvelles affaires, fut enfermé au château d’If, séduisit la femme du cantinier et fut transféré (1775) au fort de Joux, toujours par les soins de son père. Pontarlier n’est qu’à une petite distance ; il finit par obtenir d y séjourner. Ce fut là qu’il connut, qu’il aima et qu’il entraîna dans l’adultère Sophie de Ruffey, jeune épouse du vieux marquis de Monnier, ex-président de la chambre des comptes de Dole. Cette liaison, bientôt connue, attira sur lui des rigueurs bien méritées, auxquelles il parvint à échapper en s’enfuyant en Hollande avec la malheureuse Sophie, qu’il avait entièrement subjuguée. Là, pendant que le parlement de Besançon le faisait décapiter en effigie, il s’installait sous le nom de Saint-Mathieu et se mettait aux gages des libraires pour subsister, lui et sa compagne. Outre divers écrits politiques, tels que l’Avis aux Bessois, il fit un certain nombre de traductions de l’anglais et de l’allemand. Mais bientôt le gouvernement français, ayant obtenu son extradition, le fit enlever d’Amsterdam (14 mai 1777), ramener en France et enfermer au donjon de Vincennes (8 juin). Le lieutenant de police Lenoir lui permit de correspondre avec Sophie, à la condition que les lettres reviendraient dans les bureaux de la police. L’intermédiaire de cette correspondance fameuse était un nommé Boucher, secrétaire de Lenoir, et que les deux amants appelaient le Bon ange. On sait que ces Lettres écrites du donjon de Vincennes ont été recueillies par Manuel, procureur de la Commune.de Paris, et publiées en 1792. Elles n’étaient certainement pas destinées à la publicité ; griffonnées au jour le jour, elles contiennent des choses qu’on eût pu supprimer sans inconvénient ; mais, telles qu’elles sont, c’est une œuvre éloquente, pleine de vie, de passion et d’originalité.

« Jamais, dit Laharpe, on n’a mieux fait voir qu’il y a dans l’amour un charme qui n’est qu’à lui : c’est de n’avoir jamais qu’une même chose à dire et de la dire toujours sans s’épuiser ni se lasser jamais, et même sans lasser les autres, quand il a l’éloquence qui lui est propre. »

Dans cette captivité, qui dura quarante-deux mois, Mirabeau composa beaucoup d’ouvrages, dont une dizaine, mentionnés dans ses Lettres, paraissent perdus. Il fit aussi pour Sophie plusieurs traductions, notamment celles de Boccace et des Baisers de Jean Second, collectionna dans la Bible de dom Calmet une foule d’exemples des écarts de l’amour pour en composer son recueil graveleux l’Erotica bibiion ; enfin, il écrivit le roman licencieux Ma conversion. Mais, à côté de ces débauches d’une imagination puissante et déréglée, il faut rappeler des travaux sérieux et dignes de son génie, parmi lesquels : Des lettres de cachet et des prisons d État, qui n’est pas seulement une éloquente protestation contre le despotisme, un plaidoyer chaleureux en faveur de la liberté individuelle, mais encore un véritable travail d’érudition rempli d’exemples historiques, et qui suppose d’immenses lectures.

Sorti de Vincennes le 13 décembre 1780, à la suite de laborieuses négociations, il n’était point pour cela délivré de ses nombreux embarras. Il dut d’abord se constituer prisonnier à Pontarlier pour purger sa contumace, rédigea mémoires sur mémoires, et enfin parvint à obtenir une transaction de M. de Monnier, qui même paya les frais de la procédure. Il se rendit ensuite en Provence pour plaider contre sa femme, qui demandait la séparation de corps. Là encore il accumula les mémoires les plus éloquents, fut lui-même son propre avocat, donna un retentissement énorme à cette affaire, mais ne put empêcher la séparation d’être prononcée (1783). Ce résultat fut doublement fâcheux pour lui, car outre qu’il se fût peut-être assoupli, apaisé, purifié au foyer domestique, la séparation le laissait sans ressource. Dans l’intervalle, il avait fait un voyage en Suisse pour faire imprimer les Lettres de cachet et un autre ouvrage composé à Vincennes, l’Espion dévalisé. En 1784, il partit pour Londres, où il publia un écrit contre l’institution, aux États-Unis, de l’ordre de Cincinnatus, qu’il représentait comme destructif de l’égalité entre les citoyens de la nouvelle république. Dans la question de la liberté de la navigation de l’Escaut, il soutint contre Linguet les droits de la nation hollandaise. De retour à Paris en 1785, cet étonnant esprit se jeta sans transition dans les matières de finances et d’économie politique. Il écrivit contre la caisse d’escompte, la banque de Saint-Charles et contre la compagnie des eaux de Paris. Beaumarchais était administrateur de cette dernière entreprise. Il en résulta une polémique dans laquelle Mirabeau ne parait pas avoir eu l’avantage. Il fut à ce sujet accusé de vénalité et s’en défendit avec véhémence ; la chose est demeurée douteuse. Mais il faut bien dire cependant que le caractère bien connu de Mirabeau ne rend pas l’accusation trop invraisemblable.

Dévoré du désir de jouer un rôle actif, il sollicita et obtint (1786) une mission secrète en Prusse, dont le but était de rendre compte au ministre de l’effet que produirait en Allemagne la mort prévue du grand Frédéric, de sonder les dispositions du jeune prince de Prusse et peut-être aussi de négocier un emprunt pour la France. Ces sortes de missions secrètes, dont le but réel n’était jamais bien défini, étaient dans les usages politiques de l’ancien régime. Mirabeau assista à l’agonie de Frédéric et à l’inauguration de son successeur ; avec son aplomb magistral, il saisit l’occasion pour adresser au nouveau roi des conseils sur la conduite à tenir, les réformes à opérer, etc. La plupart de ces avis officieux étaient excellents ; mais, en de telles circonstances, c’est l’application qui est la grosse affaire. Mirabeau joua d’ailleurs consciencieusement son rôle d’agent ; il adressa au ministre Calonne soixante-six lettres qui ont été publiées en 1789 sous le titre d’Histoire secrète de la cour de Berlin ou Correspondance d’un voyageur français depuis le mois de juillet 1786 jusqu’au 19 janvier 1787, et qui contiennent des observations intéressantes, des portraits satiriques et des vues utiles. Ce livre fit scandale, et le parlement le fit brûler par la main du bourreau. C’est pendant son séjour à Berlin qu’il recueillit les matériaux de sa Monarchie prussienne, publiée en 1788 (4 vol. in-4o ou 8 vol. in-8o), vaste compilation qui attestait du moins sa capacité dans les matières de politique, de législation, d’administration et de finances. De retour en France au moment de l’Assemblée des notables, il se jeta dans la mêlée en publiant un factum intitulé Dénonciation de l’agiotage au roi et aux notables, dans lequel il attaquait vigoureusement Calonne et Necker tout à la fois. C’est au sujet de cet écrit que Rivarol fit l’épigramme connue :

Puisse ton homélie, ô pesant Mirabeau,
Assommer les fripons qui gâtent nos affaires !
Un voleur converti doit se faire bourreau,
Et prêcher sur l’échelle en pendant ses confrères !

Il serait déraisonnable de prendre à la lettre ces injures, venant d’une pareille source ; mais telle était alors la réputation que les scandales éclatants de sa vie et ses aventures de toute nature avaient faite à Mirabeau. Inquiété pour ce pamphlet, obligé de se cacher pendant quelque temps, il fit paraître de nouveaux factums plus virulents encore : Lettres sur l’administration de M. de Necker, Suite de la Dénonciation de l’agiotage, etc., en même temps qu’il lançait une Adresse aux Bataves (avril 1788), dans laquelle on rencontre déjà tous les principes qui servirent de base à la Déclaration des droits de l’homme, ainsi que des Observations sur la prison de Bicêtre et sur les effets de la sévérité des peines, qui étaient comme le complément de ses Lettres de cachet.

Bien qu’il improvisât pour ainsi dire ses écrits et qu’il prît un peu de toutes mains pour les composer, on n’en reste pas moins étonné de son énergie intellectuelle et de sa fécondité au milieu des embarras continuels d’une vie précaire et tourmentée. « Mirabeau, dit M. Nisard, apprend à mesure qu’il écrit, écrit à mesure qu’il apprend. Concevoir et produire sont chez lui deux choses simultanées ; en même temps qu’il lit, il juge ; en même temps qu’il juge, il prend la plume ; sa main court à la suite de son esprit ou son esprit à la suite de sa main ; il pense et écrit à tire d’aile ; mais il n’écrit que parce qu’il ne peut pas parler... C’est l’orateur empêché, comprimé, qui se soulage par la voie de l’écrivain. Son Style est ample, abondant, peu coupé, comme sera quelque jour sa parole ; et il donne sa période pleine et peu variée, comme il donnera sa phrase oratoire, de toute l’haleine d’une vaste poitrine, de la poitrine des Mirabeau. Il semble que tout ce qui a été écrit a été parlé et qu’une main mal cachée sténographiait à son insu ces allocutions solitaires. Mirabeau n’est écrivain qu’en attendant ; vienne une révolution, une Assemblée, une tribune, il jettera la plume pour prendre la parole. »

La convocation des états généraux vint enfin lui ouvrir un théâtre digne de son génie et de son immense ambition. Emporté par l’enthousiasme, purifié par les grandes passions du temps, il sentait que cette ère nouvelle allait être pour lui une renaissance. « ... La tyrannie de ses passions l’avait souvent mené bien bas... Pauvre par la dureté de sa famille, il eut les misères morales, les vices du pauvre, par-dessus les vices du riche. Tyrannie de la famille, tyrannie de l’État, tyrannie morale, intérieure, celle de la passion... Ah ! personne ne devait saluer avec plus d’ardeur cette aurore de la liberté. Il ne désespérait pas d’y trouver le renouvellement de son âme, il le disait à ses amis. Il allait renaître, jeune avec la France, jeter son vieux manteau taché... » (Michelet.)

Peu de temps auparavant, il avait encore publié diverses brochures politiques : Réponse aux alarmes des bons citoyens ; Sur la liberté de la presse, etc. Enfin, au moment de la convocation, il lança ses Lettres à Cerutti, sur le rapport de M. Necker, pour combattre le système de finances qui a pour base le papier-monnaie, et dans lesquelles il annonça son intention de se présenter aux élections. Il partit en effet pour la Provence et arriva à Aix le 13 janvier 1789. Le rude athlète se présenta dans l’assemblée de la noblesse, qui, malgré ses réclamations persistantes, l’écarta comme n’ayant ni propriété, ni possession de fief en Provence. Il se tourna alors du côté du peuple et lança à sa caste la célèbre apostrophe (que d’ailleurs il ne proféra pas dans l’assemblée, comme beaucoup le croient, mais qui se trouve dans une brochure qu’il publia quelques jours après) :

« Dans tous les pays, dans tous les âges, les grands ont implacablement poursuivi les amis du peuple ; et si, par je ne sais quelle combinaison de la fortune, il s’en est élevé quelqu’un dans leur sein, c’est celui-là surtout qu’ils ont frappé, avides qu’ils étaient d’inspirer la terreur par le choix de la victime. Ainsi périt le dernier des Gracques de la main des patriciens ; mais atteint du coup mortel, il lança de la poussière vers le ciel, en attestant les dieux vengeurs, et de cette poussière naquit Marius : Marius, moins grand pour avoir exterminé les Cimbres, que pour avoir abattu dans Rome l’aristocratie de la noblesse ! »

Un peu plus loin, il disait encore :

« Non, les outrages ne lasseront pas ma constance ; j’ai été, je suis, je serai jusqu’au tombeau l’homme de la liberté publique, l’homme de la Constitution. Malheur aux ordres privilégiés, si c’est là plutôt être l’homme du peuple que celui des nobles ; car les privilèges finiront, mais le peuple est éternel ! »

D’autres brochures, ses luttes, son énergie passionnée, ses terribles attaques contre les ordres privilégiés lui donnèrent une popularité inouïe en Provence, où il n’était encore que fameux par les scandales et les malheurs de sa vie, beaucoup plus que par ses innombrables publications. Jusqu’au moment de sa double élection, ses jours et ses nuits ne furent qu’un triomphe continuel. Les cloches sonnaient à son entrée dans les villes, d’un mot il calmait les séditions, le peuple était à ses pieds. L’anecdote si connue qui le représente comme ouvrant une boutique de marchand de drap à Marseille est piquante, si l’on veut, mais n’a aucune réalité. Le puissant tribun n’avait pas besoin de recourir à ces petits artifices pour conquérir les hommes et soulever l’enthousiasme sur ses pas. Le tiers état de Provence l’avait adopté d’acclamation sans lui demander de fausses lettres de roture ni aucune comédie de popularité.

Proclamé député à Marseille et à Aix, il opta pour cette dernière ville et accourut à Versailles, sur le terrain du combat, pour commencer une vie nouvelle. Jusqu’alors nous n’avons eu que le célèbre Mirabeau, célébrité trop mélangée, comme on le sait ; maintenant nous allons voir sur la scène le grand Mirabeau, l’homme de l’histoire, qui malheureusement n’a pas entièrement dépouillé le vieil homme...

Son entrée dans la vie publique fut un véritable avénement ; c’était la Révolution qui montait avec lui sur la scène. Sans doute cette grande rénovation se fût faite sans lui, il faut l’espérer ; mais son rôle n’en fut pas moins formidable et décisif. « Mirabeau, ce n’est pas un homme, ce n’est pas un peuple, c’est un événement qui parle. Un immense événement ! la chute de la forme monarchique en France. » (Victor Hugo.)

Deux jours avant l’ouverture de l’Assemblée, il commença hardiment la publication du Journal des états généraux, avec le concours de publicistes qui déjà l’avaient aidé dans ses travaux, Duroveray, Clavière et autres ; cette feuille ayant été supprimée après le deuxième numéro, il la continua sous le titre de Lettres à mes commettants, et plus tard sous celui de Courrier de Provence. V. dans ce Dictionnaire la partie consacrée à ces publications, sous le titre Courrier de Provence.

Pendant les premiers travaux de l’Assemblée, il prit plusieurs fois la parole, à propos de la vérification des pouvoirs, de la réunion des trois ordres, etc., et il se fit écouter avec