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Las animaux qui ne sont vas des misanturotbs sont des sols ou des tâches, il Homme qui hait ses semblables : Le vrai misanthrope est un monstre : s’il pouvait exister, il ferait horreur. (J.-J. Rouss.) Il n’y a pas de misanthropies, il y a des âmes qui aiment mieux fuir que feindre. (De (Justine.)

— Par est. Homme bourru, d’une humeur sauvage, qui fuit la société des autres hommes : Dans Molière, au fond du comique il y a un honnête homme qui n’est indifférent ni au bien ni un mal, ni au vice ni à la vertu, il y a même quelque peu un misanthrope. (SteBeuve.)

Plaignez ce misanthrope aux yeux tristes et sombres.

Boileau.

— Sorte de voiture, appelée aussi diïsobmgeante, qui était usitée auxvircsiècle, ot dans laquelle il n’y avait place que pour une personne.

— Jeux. Sorte de jeu, plus souvent appelé

SOLITAIRE.

— Adjectiv. Qui hait les hommes ou fuit leur société : On devient misanthrope autant par honte de soi-même que par haine des autres. (A. d’Hoùdçtot.) Il Qui convient aux misanthropes : Ihimeur misanthrope. L’esprit misanthrope est un vice de conformation morale. (Iîonnin.) Ou dit mieux misanthropiqub dans co dernier sens.

Mi»nuiijroPe (lb), comédie en cinq actes et en vers, de Molière ; théâtre du Palais-Royal, 4 juin 1556. La date de cette comédie, comme celle du Cid, marque une phase nouvelle et glorieuse de notre théâtre ; la comédie de caractère, l’écude des mœurs réelles remplacent les imbroglios empruntés à la scène espagnole. Le Misanthrope olfre une peinture vraie et durabie du cœur humain, tandis.que le Menteur ne présentait qu’un travers de l’esprit.

Molière n’a pas voulu peindre dans Alceste un philosophe atrabilaire, haïssant en masse tout le genre humain, niais un homme que sa droiture, sa probité et sa franchise dégoûtent du commerce des autres hommes, parce qu’il s’aperçoit qu’il fait un marché de dupe et que la sociélé ne lui rend pas ce qu’il donne ; il n’a exagéré ce caractère que juste ce qu’il fallait pour le relief de la scène, le présentuiH sous toutes ses laces, dans une série de petits et de grands événements, et avec les contrastes propres à le faire valoir. C’est bien là l’idéal de la comédie classique et Molière est arrivé, sans modèle, à la perfection. Noua analyserons en détail ce chefd’œuvre, très-simple dans ses combinaisons dramatiques et dont l’intrigue n’a d’intérêt que par le jeu des caractères. En voici le canevas :

Acte 7«r. Alceste entre en scène, rudoyant un courtisan, son ami Philiute, coupable de démonstrations amicales envers un indifférent ; cette altercation met en saillie l’opposition de deux caractères principaux, lun intolérant par excès de franchise, 1 autre plein d’indulgence par compassion pour les faiblesses et les travers de l’humaine nature.

Tous deux exposent leurs principes, et Philinte profite de ses avantages pour montrer à son ami qu’il se contredit en aimant la coquette Célimène, et qu’il a tort de compromettre le gain d un procès où il est engagé en négligeant d’éclairer la conscience de ses juges. Alceste ne tient nul compte de ces sages avis : il continuera de plus belle k aimer Célimène et il se gardera bien de solliciter. La visite d’un courtisan înétroinane, et de plus son rival en amour, va mettre sa franchise à une rude épreuve. Oronte débute en lui proposant son amitié, dont Alceste décline l’honneur avant un plus ample informé ; puis, il le consulte, malgré qu’il en ait, sur un sonnet de sa composition. Le sonnet est écrit dans le style prétentieux et faux des Benserade et des Cotin :.

Belle Philia, on désespère Alors qu’on espère toujours ! Philiute, en bon courtisan, s’extasie : La chute ea est jolie, amoureuse, admirable ;

et Alceste grommelle entre ses dents î La peste de ta chute, empoisonneur au diable ! En eusses-tu fait une à te casser le nez 1

Cependant, il faut qu’il dise tout haut son avis. Sommé de s’expliquer, il essaye d’abord d’échapper par des détours, jusqu’à ce que, pousssé à bout, il déclare nettement à Oronte que son sonnet ne vaut rien. ■ franchement, il est bon a, mettre au cabinet.

C’est son dernier mot. Le poëte éclate alors et menace Alceste d’une fâcheuse affaire en retour de sa franchise.

Acte II. Alceste, qui s’est éloigné de Philinte avec humeur et qui a rompu en visière à Oronte, vient gronder sa maîtresse et la presser de meure un terme aux manèges de sa coquetterie ; mais, pendant qu’il lui reproche d’ouvrir son cœur et sa maison à tout le genre humain, arrivent deux marquis, Acaste et Clitandre, tous deux épris de (jelimone, et sa cousine Eliame, aussi sincère que Célimène est artificieuse. Alceste, qui voulait se retirer, demeure quand on cesse de l’en prier, et la conversation s’engage iux dépens du prochain ; Célimène y fuit briller l’enjouement et la malice de son esprit. Dans le salon de cette impitoyable co MISA

quette, Molière ouvre le champ à une de ces conversations des gens du monde dont la médisance fait tous les frais (scène v, dite communément la Scène assise ou la Scène des portraits). On y voit passés en revue et livrés au ridicule la foule des originaux qu’il n’a pu mettre au théâtre : le bavard, Qui trouve toujours

L’art de ne vous rien dire avec tic grands discours ;

le mystérieux, Qui vous jette en passant un coup d’œil égara, Et, sans aucune affaire, est toujours affairé ;

De la moindre vétille il fait une merveille. Et, jusques au bonjour, il dît tout à l’oreille ;

le contour ennuyeux, Dont tous les entretiens

Ne sont que de chevaux, d’équipage et de chiens ;

la femme stupide, qui ne sait rien dire dans les longues visites qu’elle fait,

Et l’on demande l’heure, et l’on baille vingt fois, Qu’elle grouille aussi peu qu’une pièce de bois ;

l’important vaniteux, toujours gonflé de l’amour de lui-même ; le sot enrichi, qui donne à dîner et qui ne s’aperçoit pas que c’est à sa table que 1 on rend visite ; et le dédaigneux connaisseur, Qui veut voir des défauts à tout ce qu’on écrit. Et pense que louer n’est pas d’un bel esprit.

Le misanthrope, après un long silence, intervient brusquement : ’, Allons, ferme, poussez, mes bons amis de cour ! Vous n’en épargnez point, et chacun a son tour ;

et il rejette les torts de Célimène sur ses approbateurs. Il insiste toujours pour obtenir des éclaircissements, quand un mandat du conseil des maréchaux, au sujet de l’affaire d’honneur qu’il s’est mise sur les bias par suite de son altercation avec Oronte, l’invite à comparaître devant leur tribunal.

Acte III. Les deux marquis, Acaste et Clitandre, qui ont chacun leur raison de se croire nu mieux dans l’esprit de Célimène, tombent d’accord pour demander à la coquette un aveu précis, qu’elle éloigne avec adresse, lorsqu’on annonce la visite de la prude Arsinoé. Les marquis font retraite devant elle, et celle-ci, en amie charitable, avertit Célimène des méchants bruits qui courent sur son compte : elle n’y croit pas, dit-elle, mais ii serait prudent de faire taire la calomnie. Célimène lui donne la réplique avec un sangfroid de malice qui la déconcerte et l’irrite. La prude Arsinoé, coquette émérite, a des vues sur Alceste, qui survient à propos, et qu’elle emmène pour lui mettre sous les yeux des preuves convaincantes de la perfidie de Célimène.

Acte IV. L’affaire d’Alceste et d’Oronte s’est terminée par un accommodement devant le tribunal des maréchaux dé France ; mais Alceste n’est pas hors de peine : il tient en ses mains la preuve écrite de la trahison de Célimène. Il est outré et désespéré au point de s’offrir à Eliante, si elle consent à accepter sa main ; mais Célimène parait, et les éclats de la fureur d’Alceste se tempèrent sous les caresses et les railleries de sa maîtresse ; elle joue si adroitement l’innocence et la sécurité, que le misanthrope, sans être convaincu, reste engagé dans ses liens. La lettre qu’il tient, et qu’Arsinoé lui a donnée comme s’adressant à Oronte, est-elle écrite à une femme, comme l’insinue Célimène ? Le doute esc permis, et cela suffit à la crédulité d’un amant. Sans doute Alceste demanderait de plus sûrs gages de sa fidélité, si son valet ne venait l’avertir de la fâcheuse visite de quelque homme de loi envoyé chez lui par sa partie adverse.

Acte V. Alceste a perdu son procès, mais il n’essayera pas de faire casser l’arrêt ; il veut conserver, au prix des 20,000 francs qu’il perd, le droit de pester. Cette iniquité n’est pas de nature à le réconcilier avec le genre humain, et ce qui va suivre va alimenter encore sa haine vigoureuse. Célimène a écrit aux deux marquis des lettres dans lesquelles elle laisse croire à chacun d’eux qu’elle le préfère à l’autre ; ils se sont communiqué leurs lettres, et ils viennent en faire la lecture dans le salon même de Célimène, en présence de toutes les victimes de sa coquetterie et de ses médisances. Tous, en la quittant, lui marquent leur dépit par un outrage, auquel elle ne répond rien, parce qu’elle les méprise. Alceste, qui n’a rien dit en leur présence, et qui plus que tout autre a droit de se plaindre, puisqu’il a été lui-même en butte à ses moqueries, Alceste, avec qn elle convient de ses torts et que cet aveu désarme, lui annonce sa résolution de se retirer du monde, et, pour éprouver le cœur de celle qu’il aime si tendrement, il l’engage à le suivre dans le désert où il veut vivre désormais. Célimène consent bien à l’épouser, mais non à s’enfuir loin du monde. Alceste, que ce refus éclaire sur les véritables sentiments de cette coquette incorrigible, répond à. l’offre qu’elle lui fait de sa main :

.. Non. Mon cœur a présent vous déleste, Et ce refus lui seul fait plus que tout le reste. Puisque vous n’êtes point, en des liens si doux, Pour trouver tout en moi, comme moi tout en vous, Allez, je vous refuse...

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Il triomphe cette fois, mais son cœur est brisé, et il s’écrie, les larmes aux yeux : Trahi de toutes parts, accablé d’injustices, Je vais sortir d’un gouffre où triomphent les vices, Et chercher sur la terre un endroit écarté, Où d’être homme d’honneur on ait la liberté.

C’est ainsi que devait finir le Misanthrope ; seulement, comme il faut qu’un mariage se conclue au dénoûment d’une comédie, Molière marié Philinte avec Eliante, dont le caractère aimable et bon forme un heureux contraste avec ceux de la prude et de la coquette.

« Le principal intérêt du Misanthrope, dit Géruzez, est dans le développement, la vérité, l’opposition et les nuances des caractères. La misanthropie d’Alceste est relevée par l’indulgence de Philinte, et la coquetterie de Célimène par la sincérité d’Eliunte. Acaste et Clitandre n’ont pas le même genre de fatuité, et Oronte ajoute aux travers de l’homme de cour la manie des petits vers. Arsinoé, par désespoir de coquetterie, s’est retranchée dans la pruderie, qui est une curieuse-variété de l’hypocrisie. » Alceste, Philinte et Célimène sont trois types ^i.vrais, si vivants, que leurs noms sont devenus des noms communs. On dit au duc de Montausier que Molière avait voulu le peindre dans Alceste ; le duc alla voir la pièce et dit en sortant : « Je voudrais ressembler au misanthrope de Molière ! • Il se trompait fort s’il a cru que le poste avait voulu incarner la vertu dans Alceste, et elle ne l’est pas davantage dans Philinte. « Au reste, dit encore Géruzez, ceux qui ont cru voir dans Alceste le duo de Montausier ou Molière lui-même, Chapelle dans "Philinte, la femme de Molière dans Célimène, se font une idée bien imparfaite de l’art du poSte, qui forme ses figures d’après une conception générale réalisée à l’aide de traits particuliers pris de différents côtés, et non parlareproductiond’un visage unique. Molière ne fait pas de portraits, il crée des types. Alceste n’est pas un misanthrope, mais le misanthrope, c est-adire la’misanthropie exprimée par un personnnage tout ensemble idéal et réel. >

La belle comédie du Misanthrope est une source inépuisable de citations, d’allusions, la plupart très-heureuses. En voici quelquesunes que les lecteurs trouveront dans ce Dictionnaire à l’ordre alphabétique :

1° Je ne di> pas cola.

2° Laml du genre humain n est point da tout mon Tait.

3° Le temps ne fait rien à, I affaire.

40 Franchement, il est bon h mettre au cabiuet.

Minimiiirope (le), essai dramatique de Schiller (1S00). On serait tenté de croire, sur le titre, que le célèbre tragique allemand a voulu lutter avec Molière ; il n’en est rien ; cette pièce n’est qu’une ébauche et n’a aucun rapport avec notre chef-d’œuvre comique. Hutten, le misanthrope, est peut-être plus complet qu’Alceste dans sa haine pour les hommes ; mais comme cette haine provient d’une infortune, sur laquelle l’auteur n’a pas donné le moindre renseignement, on s’y intéresse peu. Il imagine de tirer de ce monde qu’il déleste une vengeance singulière, dont sa fille Angélique sera la première victime. Elle aime le comte deRosemberg, et Hutten lui fait jurer de ne se marier jamais, il en a fait une femme accomplie, non par amour paternel, mais dans un but de vengeance ; il la produit dans la société, lui laisse enchaîner tous les cœurs, puis l’en retire subitement pour désespérer tous ses amoureux. C’tie idée satanique n’inspire guère de sympathie ; ce misanthrope n’est qu’un maniaque, et, sans divers morceaux de poésie fort brillants, la pièce de Schiller mériterait k peine une meutiou.

MISANTHROPERIE s. f. {mi-zan-tro-pe-rî — rad. misanthrope). Misanthropie. Inusité depuis l’emploi, devenu générai, du mot misanthbopie. M"» de Sévignô s’est servie de l’ancienne forme.

MISANTHROPIE s. f. (mi-zan-tro-pîrad. misanthrope). Haine des hommes, caractère dé misanthrope : Si la misanthropie existait, elle serait une vraie folie.

— Caractère d’une personne bourrue, qui fuit la société des hommes : Tous ceux qui sont affectés de misanthropie ont quelque chose de faux dans l’esprit et dans le cœur. {L’abbé Bautain.) La misanthropie qui part de l’orgueil produit l’endurcissement du cœur. {L’abbé Bautaiu.) La misanthropie est faite des larmes qui sont restées dans le fond du cœur. (Alex. Dum.)

Mon idéal trompé fait ma misanthropie.

La Cauësadb,

— En bonne part. Haine des vices de l’homme : La misanthropie est un sentiment calomnié : c’est la haine du mensonge, (De Custine.)

— Encycl. La misanthropie est un sentiment très-naturel et qu’on serait même contraint de trouver raisonnable s’il n’était destructif de la société : étant donnés les vices et les faiblesses de l’humanité, les spectacles écœurants qu’elle présente sans cesse, la bassesse des uns, l’orgueil des autres, la duplicité de ceux-ci, les folies et les crimes de ceux-là, la sottise du plus grand nombre, le I

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misanthrope déclare qu’il aime mieux vivre au fond des bois et que les bêtes valent mieux que les hommes. Cette résolution, qui dicte sa conduite et le fait vivre dans 1 isolement, quoique mauvaise en soi, ne part pas d’un mauvais naturel. Ce que l’on n’a pus assez remarqué, c’est que ce mécontentement contre lus hommes, mécontentement qui peut aller jusqu’à l’irritation et jusqu’à la haine, est le produit d’une sensibilité vive, blessée dans ses atfeetioiis, et que ceux-là seuls sont misanthropes qui né demandaient pas mieux que d’aimer et d’estimer sincèrement les hommes. Pour -haïr, il faut avoir voulu aimer et être capable d’aimer. Le misanthrope est inférieur à l’homme généreux qui se voile volontairement les muuvvùs côtés de ses semblables, a des trésors d’indulgence et de pitié pour ceux qui fléchissent, et se dévoue au besoin pour l’amélioration de cette société au milieu de laquelle il sait qu’il lui faut vivre ; mais il est bien supérieur au sceptique qui déclare que Ié3 vices ou les travers de l’humanité lui sont bien indifférents, qu’il ne s’agit que de s’arranger de façon à n’en pas SOuflrir, de calculer seulement son propre intérêt et de. se confiner dans l’égoïsme. Ce qui distingue le sceptique du misanthrope, c’est que l’un prend son parti du mal qu’il constate, et que l’uutre gronde et proteste jusqu’à la mort. Celui des deux qui méprise le plus les hommes, ce n’est pas le misanthrope.

Pour s’en convaincre, il suffit de voir ce scepticisme érigé en vertu, sous le nom de patience chrétienne, par une religion qui pourtant condamne la misanthropie comme . peu charitable. Nicole a écrit, sur les Moyens de conseruer la paix avec les hommes, un iruité complet sur cette matière : rien de plus méprisant pour la ruce humaine. Il y enseigne que, pour conserver sa paix, c’est-a-’dire pour vivre en bonne ime.ligence aveu ses semblables, il ne faut jamais songer à les corriger, soit en contredisant leurs opinions, soit en s opposant à leurs passions ; qu’il est injuste de vouloir être aimé des hommes ; qu’il est injuste d’exiger la confiance des autres, sot d’y compter, ei que c’est un grand bien qu’on n’en ait pas pour nous ; que i’iudifférence des autres envers nous nous est plus —utile que leur amitié, etc. Le haine vigoureuse d’Alceste n’est-elle pas ceut fois préférable à cette sécheresse de cœur ? À côté d’une si dédaigneuse résignation, qui ne veut compter ni sur le désintéressement ni sur aucun sentiment généreux, la misanthropie n’apparaît plus que comme une des formes que peut revêtir l’amour de l’humanité.

L’antiquité a connu le désespoir et le scepticisme ; elle-n’a jamais connu la misanthropie. Le vieux Théoguis s’écriait : « Pour éviter la misère et la fuir, précipitez-vous dans la mer du haut des rochers I • Heraclite a été tourné en ridicule par le poëie comique Epicharme, qui vengeait son maître Pyinagore. On a cru que Théoguis, Heraclite, Timon d’Athènes, étaient des misanthropes ; on s’est trompé : il leur manquait à eux, comme aux autres anciens, la notion sur laquelle repose a.misanthropie, la notion toute moderne de l’humanité. Ils pouvaient être sceptiques, comme Pyrrhon ; absolument sans espoir, comme Hégésias, l’apdire du suicide, indifférents à la façon d’Epieure ou à la manière des stoïques. Une civilisation basée sur la guerre et l’esclavage ignore la philanthropie et par suite la misanthropie.

Do misanthropes, il n’a pu en naître qu’à la veille et au lendemain de ces grandes révolutions par lesquelles l’homme a tenté de s’affirmer : au iemiemain de lu Réforme, Cervantes et Shakspeare ; à la veille de la Révolution, Molière et Rousseau.

Un Komain, Lucilius, en définissant la vertu, a deviné lu misanthropie : « La vertu, dit-il en un langage dont on ne peut traduire l’àpreté, c’est d eue l’ennemi public et privé des mauvaises gens et des mauvaises moeurs, et en revanche le défenseur des honnêtes gens, comme des mœurs honnêtes ; c’est de les glorifier, de leur vouloir du bien, de vivre leur ami ; enfin, c’est de placer au premier rang dans nos affections les intérêts ne la patrie, au second ceux de nos parents, au troisième et dernier les nôtres. > L’homme qui a suivi avec enthousiasme le précepte de Lucilius, s’il ne veut pas tomber dans 1 indifférence ou le scepticisme, doit, pour pouvoir continuer son œuvre, se cuirasser de misanthropie. On a dit qu’il faut haïr le vice, et non le vicieux. Un ancien a été plus loin eu soutenant qu’il faut se garder de haïr trop le vice de peur de haïr les hommes. Celui qui connaît la suite de fausses idées et de sentiments tronqués qui poussent l’homme au mal ne peut avoir que de la pitié et point de haine. D’ailleurs, un retour sur lui-même ne peut-il pas le rendre indulgent ? Avec Ovide, il dira un jour : • Une force inconnue m’entraîne malgré moi ; la passion ine conseille une chose et la raisou une autre ; je vois le bien et je l’approuve ; c’est au mal que je cède. • Scrutant plus profondément les contradictionsquiexistentdans l’homme, il verra comme Hamlet • les couleurs natives de la résolution blêmir sous les pâles reflets de la pensée, et ainsi les entreprises les plus énergiques et les plus importantes se détourner de leur cours et perdre le nom d’action. «S’il compte avec Clèanthé’le nombre de criminels auxquels seulement l’occasion et le cou-