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^ue la religion partage la déchéance de la nature. Son influence baisse à mesure que l’homme s’élève, et les mœurs, qui, chez les peuples anciens, portaient l’empreinte religieuse en presque toutes leurs parties, n’en offrent plus aujourd’hui que des vestiges sans cohérence. C’est le gouvernement, la forme politique, qui semble hériter de la nature et de la religion ; c’est à lui qu’appartient maintenant, non sans doute la toute-puissance, heureusement, mais l’influence principale sur les mœurs. Cependant ; on peut entrevoir déjà une époque où les changements les plus considérables dans les habitudes générales seront accomplis’par des causes étrangères à la politique, et même des changements tels qu’aucune révolution politique n’en aura produit de semblables. Ils seront dus à la science, qui, renouvelant les conditions matérielles de l’existence privée, se trouvera avoir en môme temps renouvelé l’esprit et la conscience de tous.

Une histoire des mœurs, entreprise avec détails, serait l’ouvrage tout à la fois le plus utile, le plus considérable, le plus difficile et le plus délicat. Il faut nous contenter ici d’une esquisse, ou plutôt d’un simple croquis. Quand les hommes n’ont d’autre industrie que la chasse et la pêche, d’uutre agriculture !que l’élève du bétail, qu’ils vivent dispersés dans de vastes campagnes ou à peine réunis dans de misérables bourgades, qu’ils forment.des tribus, des clans, et ne s’élèvent pas encore à l’unité supérieure de la nation, ils sont ce que nous appelons des sauvages, si nous les considérons dans les temps modernes, et si nous les regardons dans l’antiquité, des pasteurs, des hyksos, des barbares. On peut rapprocher en effet, malgré l’intervalle qui les sépare dans le temps, les sauvages contemporains et les barbares d’autrefois, comme se trouvant à peu prés an même degré de la civilisation. Ces peuples, si éloignés matériellement entre eux, ont jusqu à Un certain point les mêmes mœurs. Ils ont de la superstition, et pas encore de religion proprement dite. Comme la nature se fait sentir à eux par ses accidents, par ses rudesses, par ses colères plutôt que par ses phénomènes tranquilles et réguliers, et que c’est d’elle qu’ils tirent l’idée d’un être supérieur, ils conforment sur elle l’idée môme de cet être. Leur Dieu a surtout des passions violentes, et, en conséquence, les sentiments qu’ils lui offrent sont des sentiments de crainte, de terreur, d’obséquiosité. Obligés de se donner beaucoup de mal pour se procurer une subsistance précaire, ils estiment par-dessus tout, dans eux-mêmes et dans les autres, ce qui leur est nécessaire ayant tout : le courage, le sang-froid, la patience, l’opiniâtreté, parmi les qualités de l’âme ; la ruse, l’observation, la dissimulation parmi les qualités de l’esprit ; car là où les ressources manquent, il se rencontre toujours pour un même objet plusieurs compétiteurs, et le compétiteur, c’est l’ennemi qu’il faut tromper, déjouer ; parmi les qualités du corps, l’adresse des mains, l’agilité et la force, car il faut de tout cela pour atteindre et terrasser le bison, l’auroch. l’antilope, le cerf, le sanglier, etc. Ces hommes sont divisés en tribus, en clans, qui représentent chacun une ancienne famille fort agrandie. On sait vaguement dans chaque tribu qu’on est parent sans pouvoir dire à quel degré. On se sent lié par un sentiment de famille, non par une solidarité politique dont l’idée n’est pas encore née. Des chasseurs, des pasteurs de tribus différentes se rencontrent à la poursuite d’un même animal ou encore aux mêmes sources, dans les mêmes pâturages ; on se dispute la possession d’un do ces objets nécessaires ; on se bat ; voilà la guerre allumée entre les tribus. L’une détruira l’autre si elle le peut. Ou fait, on soutient la guerre pour garder son existence, celle de sa femme et de ses enfants. Aussi les qualités militaires sont-elles estimées comme quelque chose qu’il faut avoir nécessairement ; mais il ne s’y mêle aucune idée

esthétique. Ce n’est pas là qu’on se pique de chevalerie ; on prend tous ses avantages contre l’ennemi sans en rougir, et s’il est possible d’employer la ruse au lieu du courage, on le fera sans honte ; car ici on est courageux pour se défendre, non pour être

courageux. Chaque guerrier, au reste, est lier, orgueilleux ; c’est le trait dominant du caractère ; cela tient à ce que chacun doit compter absolument sur soi, n’a ni supérieur ni maître, et trouve instinctivement un aliment pour son énergie dans cette haute satisfaction de soi. Généralement, ces guerriers n’ont qu’une femme, car chacun a assez d’en entretenir une, quand il faut aller chercher la nourriture de la famille au milieu des forêts ou dans les montagnes, au hasard de la chasse. Dans les pays chauds, où le corps a besoin de peu, où les fruits naturels abondent, où te tempérament est exigeant, les sauvages ont souvent plusieurs femmes. Pourquoi s’en priveraient-ils ? Ils ne sont pas assez raffinés pour inventer une religion mortifiante, et l’idée que la femme est leur égale ne peut pas les arrêter non plus, puisqu’ils ont Vidée contraire ; cette idée règne naturellement dans toutes les sociétés où la force et le courage jouent le principal rôle ; car, à cet égard, la femme est inférieure. Aussi, parmi les sauvages d’Amérique et d’Afrique, comme parmi les barbares de Germanie, la femme est-elle une esclave, ou peu s’en faut,

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vouée à l’obéissance, nu respect et aux travaux les plus pénibles. Il se peut que cette femme, asservie dans la maison, le maître la traite au dehors et devant ses compagnons avec quelques égards ; car alors il la présente comme son bien, comme sa chose, et un instinct secret l’avertit de la respecter, pour que les autres la respectent, ou plutôt le respectent en elle. N’en déplaise à Tacite, là est l’origine de cette déférence que les Germains témoignaient publiquement à leurs femmes ; ils avaient, sous ce rapport, une fierté mieux entendue que nos ancêtres, les barbares gaulois. La femme a l’imagination vive, prompte, aisément exaltée ; elle est sujette aux hallucinations, aux visions, aux songes et aux

transports prophétiques. Ce pouvoir inconnu, cet esprit qui semble descendre tout à coup en elle, étonne, effraye son maître grossier et lourd ; et voilà l’occasion de respects particuliers-envers certaines femmes, d’une certaine terreur superstitieuse qui entoure certaines prêtresses, quelques pythonisses, mais qui ne profite pas beaucoup à la considération du sexe en général.

Comme la femme, l’enfant est surtout une propriété ; le père le possède et, en conséquence, en dispose. On ne voit pas bien la limite de ses droits sur lui ; il peut le tuer au moment de sa naissance ou 1 exposer ; heureusement, l’affection naturelle pour les enfants, qui se trouve en tous les hommes et surtout chez toutes les femmes, forme bientôt une opinion publique qui s’oppose à ces meurtres ; en revanche, quand l’enfant est un homme et que le père redevient enfant, au moins par la faiblesse, c’est l’enfant qui est le maître, puisque c’est lui qui a la force, qui nourrit et protège ; n’a-t-il pas aussi le droit ? Ce droit le poussera-t-il jusqu’à assommer son père inutile ou infirme ? Cela arrivera si la forêt, le pâturage sont peu abondants, si la famine se fait sentir ; car alors, exactement comme dans une ville assiégée, on se débarrasse dos bouches inutiles. Certaines peuplades pourraient être comparées à des villes que la famine assiège continuellement.

Voici les hommes assemblés, formant des empires étendus, habitant de vastes cités. Ils cultivent la terre, commercent, naviguent. Les arts et les industries commencent. La science n’est pas née, mais les éléments des sciences sont connus empiriquement. Nous sommes en Égypte, en Perse, dans l’Inde ou dans la Chine. Pour avoir formé des corps si considérables, faut-il que plusieurs peuplades primitives aient été réunies, fondues par le consentement de chacune ? Non ; cela eut lieu par la conquête, par la force. Aussi voyonsnous que le peuple est divisé en castes, par où la diversité ancienne des origines se perpétue en s’altérant. Les castes inférieures représentent les peuples vaincus. Ceux - ci étaient-ils do même race que les vainqueurs, avaient-ils la même langue, les mêmes dieux, l’inégalité ne durera pas si longtemps ; les barrières qui séparent les castes s’abaisseront plus vite. S’il y a une différence djî nature très-marquée, la fusion des castes sera, au contraire, l’œuvre d’un grand nombre de siècles. En attendant, la société est fondée sur la hiérarchie, c’est-à-dire sur l’inégalité ; partant, l’idée et le sentiment de la justice sont faibles, car il n’y a de justice, qu’entre égaux. L’égalité, la justice sont, pour ainsi dire, bornées aux hommes de la caste ; entre hommes de castes différentes, il n’y a que des rapports de déférence et de soumission d’un côté, de mépris et de commandement da l’autre ; et, comme chaque homme a moins d’égaux, en somme, que de supérieurs ou d’inférieurs, il a moins souvent occasion d’observer la justice que d’y manquer. D’autre part, les rapports deviennent compliqués dès que chacun ne peut pas les tirer de la simple notion d’égalité déposée dans sa conscience. Il faut des lois, et des lois minutieuses, qui règlent les relations respectives des classes entre elles, leurs prérogatives, leurs devoirs réciproques ; qui assignent précisément à chacun sa place, ses fonctions, ses mœurs, ses manières, jusqu’à ses vêtements ; car, sans les signes extérieurs qui le classent aux yeux, l’individu pourrait transgresser aisément l’inégalité, qui est là ce que la justice est ailleurs, le principe fondamental et sacré. Il en résulte, par exemple, le code chinois, qui tout le monde le sait, réglemente jusqu’à la manière de saluer. Les divers rangs, en Chine, sont établis aujourd’hui, au moins convenlionnellemet, sur les divers degrés de savoir ou de vertu de la personne ; mais on sent que ce n’est pas là la forme originelle de la société, et qu’il a fallu du temps pour transporter sur le mérite intellectuel ou moral une hiérarchie qui d’abord s’est établie nécessairement sur des différences de races ou de tribus. Cette constitution de la société est peu favorable à la moralité. L’homme la meilleur, le plus juste dans sa caste, n’échappe ni à l’orgueil ni à la bassesse ; il est superbe d’un côté, obséquieux de l’autre, selon qu’on le regarde de la classe supérieure ou de la classe inférieure, et toujours servile à l’égard du souverain. Un pareil peuple, en effet, réuni d’abord et maintenu nécessairement par la force, ne peut avoir qu’un souverain absolu. C’est un empire, et non une patrie. Cependant la religion est sortie de la superstition, au moins pour quelques esprits plus subtils. L’Être suprême, la divinité, n’est

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plus un simple objet de sentiment de la part de l’homme. Grâce à une plus grande capacité d’abstraction, on a conçu dans la divinité certains attributs, certaines formes, et aussitôt on a symbolisé ces conceptions pour pouvoir les rendre sensibles à tous et pour former un culte. Mais tout aussitôt la plupart des hommes, perdant de vue le sens du symbole et ne voyant que les signes, sont retombés dans la superstition. D’autre part, invoquer Dieu est devenu une fonction particulière dévolue à certains hommes ; on a constitué une caste de prêtres. Ceux-ci, munis de privilèges, d’honneurs, comme il convenait à des hommes qui approchent Dieu de plus près, se trouvent avoir un intérêt personnel très-grand à maintenir la société telle quelle, à appuyer le pouvoir souverain. Ils donnent aux lois civiles le caractère de commandements divins ; grâce à eux, ce qui était obligatoire devient sacré, et la crainte des peines-temporelles s’augmente de la terreur religieuse. C’est ce qui maintient ces sociétés dans un exact statu guo pendant des durées de temps incroyables, ce qui les pétrifie pour ainsi dire. Au reste, ces empires immuables, où régnent invinciblement la superstition, l’inégalité, le despotisme, sont peut-être le milieu le plus favorable que l’erreur humaine ait jamais préparé pour les mauvaises mœurs. L’homme adonné à des pratiques bizarres, qu’il prend pour une religion, est d’autant plus fanatique et intolérant ; prosterné devant des idoles absurdes et cruelles, abîmé devant son souverain, autre idole ; tout à la fois servile et arrogant envers les autres nommes ; parqué dans une caste, dans une fonction, dans un état, sans espoir de changement ni de progrès ; reproduisant presque absolument dans son caractère et ses mœurs son père et ses ancêtres, par l’influence toutepuissante des habitudes séculaires imposées à sa race, par conséquent privé de la liberté, même intérieure ; garrotté dans l’âme, tel est l’être que ces sociétés nous semblent avoir formé, du moins autant qu’on peut en juger à travers la distança et 1 obscurité des-temps. Les momies d’Égypte, que tout le monda a vues, en disent plus qu’on ne croirait. Elles sont un symbole terriblement significatif.

Rentrons dans le monde de la spontanéité, de l’individualité libre. La petite Grèce efface les vastes empires dont nous venons de parler autant par la supériorité relative de ses mœurs que par celle de son génie. Soit qu’on attribue les conceptions religieuses et politiques de ce peuple illustre entre tous au climat, comme fait Montesquieu, soit qu’on les attribue, comme il semble plus raisonnable, à des facultés particulières et supérieures dontl’homme aurait été doué dans ce pays, toujours est-il que les Grecs ne connurent jamais, au moins pendant longtemps, ni la tyrannie des dieux, ni celle des hommes. lamais Jupiter, ni même le Destin maître des dieux, ne pesa sur leur esprit à l’égal d’un Jéhovah ou d’un Ahrimane ; et, d’autre part, ils ne supportaient pas longtemps le despotisme d’un Pisistrate. Libres et ne concevant d’autre idéal politique que le gouvernement du peuple par lui-même, ils devaient se considérer et ils se considéraient en effet comme égaux, dans le sein de la cité ; car celui qui ne veut pas de maître est nécessairement obligé de se supposer des égaux, pour avoir des aides contre la tyrannie. L’égalité ne fut pas entière néanmoins. La Grèce se divisait en petits peuples, en petites nations, et, pour chacun de ces peuples, l’individu appartenant au groupe voisin était l’étranger, l’inégal. On n admettait pas pour lui le même droit que pour soi ; de là des lois justes, en tant qu’elles concernaient le concitoyen, et des lois injustes, cruelles même parfois, en ce qui regardait l’étranger. Mais, ce préjugé, avec le temps et la circulation croissante, perdit beaucoup de sa force. La guerre que les Perses firent aux Grecs eut cet effet de les réunir un moment. Devant Xerxès, les citoyens d’Athènes, de Sparte, de Corinthe sentirent la solidarité do race ; ils se retrouvèrent Grecs et, en cette qualité, égaux jusqu’à un i ertain point. L’égalité étendit son cercle, au dehors duquel cependant restait toujours le Perse, l’Asiatique, qui était le barbare. Puis celui-ci à son tour y entra comme homme, et Alexandre, qui, il est vrai, avait été élevé par Aristote, tout en étendant ses conquêtes sur les Perses, les Égyptiens, les Indiens, montra qu’il avait dessein, non de les asservir à la Grèce, mais de les y incorporer. Tel fut donc le progrès du sentiment moral. On commença par le patriotisme local ; on conçut ensuite l’idée de la nation, enfin celle de l’humanité. On ne saurait trop appuyer sur le développement du sens de l’égalité, car c’est le fond même de la conscience. L’esclavage, commun à toute l’antiquité, demeure cependant en Grèce ainsi qu’ailleurs, comme un perpétuel outrage à l’égalité ; mais du moins la condition des esclaves profita de l’adoucissement des mœurs, opérée par cette même égalité dans tout le reste. L’opinion publique en vint à les considérer comme des membres de la famille et à exiger du maître qu’il les traitât à peu près sur ce pied. L’esclavage enfin fut condamné en principe dans l’esprit de tous les hommes éclairés. C’est dans cet état moral que l’invasion de la barbarie surprit ta Grèce. Une évolution analogue s’était accomplie dans les idées et les procédés des hommes à l’égard

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des femmes. L’égalité au début n’était commune qu’aux hommes. La femme, considérée, non comme une esclave, mais comme un être inférieur, était renfermée, assez peu étroitement du reste, dans le gynécée, et il en résultait les mœurs qui partout et toujours suivent cette injuste réclusion : le mariage, asservissant pour la femme, à charge au mari, sans compensations pour l’un ni pour l’autre ; les enfants très-peu chers aux deux époux ; la fidélité gardée par la femme à son corps défendant, le mari cherchant au dehors des distractions ou de l’amour chez les courtisanes, vivant d’ailleurs dans la rue ou à l’agora, tandis que la femme, à demi prisonnière dans sa maison, remplit son existence vide et ennuyée par la médisance, le commérage, le sommeil ou même l’ivrognerie, vices d’esclave. Ces mœurs domestiques étaient trop basses pour des hommes aussi bien doués, ils ne pouvaient pas les garder jusqu’à la fin. Déjà, du temps d’Homère, ils étaient dignes d’entrevoir un autre idéal : Homère le leur offrit dans sa Pénélope, qui est réellement la femme, la compagne de son mari, assez avisée, assez prudente pour être écoutée dans l’intérêt du ménage, même par un Ulysse. Le mariage se releva donc peu à peu, en même temps que l’épouse, et dans ces temps qu’on appelle de décadence littéraire, qui n’étaient point tels pour les mœurs, à l’époque de Plutarque, par exemple, les pa’iens grecs n’avaient rien à apprendre, mémo des chrétiens, en fait de mœurs domestiques. L’amour et le soin des enfants, l’affection mutuelle entre époux, la fidélité éternelle, les égards, la patience et la douceur réciproques étaient, sinon dans tous les ménages comme une réalité, du moins dans tous les esprits, comme l’idéal des rapports sexuels et comme la source du bonheur privé : la religion du foyer était complète, elle possédait tous ses dogmes.

Est-il nécessaire de peindre les mœurs de Rome dans ses commencements ? C’est un tableau qui a été fait souvent et par de grands maîtres. Balzac, Saint-Evremont, Bossuet, Montesquieu, etc., s’y sont essayés à l’envi. Montesquieu l’a dit : « Les institutions et les mœurs, tout fut combiné à Rome en vue do la guerre et de la conquête ; car chaque Romain croyait fermement que sa patrie était destinée à l’empire du monde. » 11 est aisé, d’après cela, de comprendre quels devaient ■ être les défauts et les qualités de ce peuple. Tout ce qui passait pour énerver, affaiblir le courage, le luxe, le goût des aises et des commodités, l’intempérance, la luxure, devait être méprisé par les Romains ; tout ce qui va avec le courage et s’accommode avec lui, la dureté, l’inhumanité, l’orgueil, l’ambition, devait être ou loué commo une vertu, ou complaisamment supporté. Si on ne savait d’ailleurs que la femme, en ce temps-là, n’était pas une personne, ni l’enfant ; que le père seul avait une existence juridique, qu’il était clfcz lut le roi et le maître à peu près absolu, on le devinerait facilement. L’idée sans cesse présente d’une grande destinée nationale à accomplir nourrissait en chaque homme le patriotisme, l’orgueil collectif, et faisait taire ou suspendait l’ambition privée. Chacun d’ailleurs avait plus ou moins de part aux affaires publiques, part inégale, il est vrai, selon les classes diverses qui, à Rome comme ailleurs, rappelaient la diversité d’origine. Mais à Rome l’énergie, le courage étaient trop communs parmi les classes inférieures pour que l’inégalité se soutint longtemps dans un degré choquant. Des gens qui battent tous leurs ennemis au dehors né se laissent pas opprimer chez eux. L’égalité politique s établit donc

Fièce à pièce, assez rapidement. Cependant empire de Rome s’étendait au dehors. Le trésor public, les particuliers s’enrichissaient également des dépouilles des vaincus. Les mœurs changeaient nécessairement avec la fortune. Il ne se peut pas qu’on fasse, toujours Ut guerre pour l’honneur do vaincre ou pour avoir le plaisir de jeter à l’eau les richesses des vaincus, qu on leur ôte comme des armes dangereuses. On s’est beaucoup trop récrié sur ce changement inévitable. 11 était forcé aussi que les Romains, après des excès d’austérité, en fissent de tout contraires. Mais on s’humanisait pourtant ; la douceur, la sociabilité entraient dans Rome ; la barbarie, l’injustice des mœurs domestiques allaient se mitigeant, et le droit, moins rigoureux pour 1 étranger, pour la femme,

pour l’enfant, suivait Te progrès des mœurs. L’adultère, le divorce, qui n’étaient pas connus, à ce qu’on dit, dans la, Rome des premiers temps, devinrent beaucoup plus îïéquents..On abusa notamment du divorce, cela est certain ; mais du moins, à la même époque, il y avait entre l’homme et la femme quelque société, an lieu qu’entre l’esclave épouse et le maître des anciens temps il n y en avait aucune. Le mariage véritable n’existait pas, ce qui est un malheur bien autre que la fréquence même de l’adultère. On peut dire que la décadence des vertus négatives ou militaires marcha jusqu’à latin avec le progrès des vertus positives ou domestiques. Le droit romain en est un témoignage irrécusable. Jusqu’à la fin il alla se rapprochant toujours plus près de la justico et do l’humanité. La femme, l’enfant, à peu près émancipés du mari et du père, l’étranger admis dans la cité comme un égal, l’esclave protégé et l’esclavage mieux noté comme