Page:Larousse - Grand dictionnaire universel du XIXe siècle - Tome 11, part. 1, Mémoire-Moli.djvu/375

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

372

MŒUR

contraire à l’égalité originelle, ce fut là à . coup sûr un progrès immense, uno magnifi— que évolution. Ce qui, en revanche, mérite tons les regrets et toutes les sévérités des historiens, c’est la perte des vertus politiques. Quand Rome eut à peu près accompli sa destinée, quand on n’eut plus rien de grand à attendre et à tenter pour sa patrie, on tenta pour soi-même, avec cette ambition toute roinaine que la grandeur des objets n’étonnait pas. César put méditer d’asservir ses éoncitoyens et réaliser son projet, au milieu, d’un

Ïieuple où chacun voulait pour soi, et nu) pour a république. La servilité, la platitude, qui ’ de plus en plus régnèrent Sous les successeurs de César, devaient s’ensuivre, ainsi que ^ les révolutions militaires. D’abord il n’y a rien .. d-’étonnant à ce que des soldats, maîtres de ..■J’empire et en pusse de le vendra, le donnent au plus offrant ; le courage est la seule morale des armées, dans leurs meilleursemps. Le peuple aussi se vendit pour ’des jeux et . pour des distributions de vivres ; cela devait arriver encore parce que les richesses acquises par la guerre ne se renouvelant pas par rindustriééi le travail, le monde romain tomba à là fin dans la gène, dans la pauvreté, ■’ Et l’industrie et le travail ne firent pas leur

■ office ordinaire, parce qu’ils étaient méprisés, notés comme œuvres serviles. On l’a dit, avec une raison profonde, C’est le mépris du travail qui tua l’empire romain*. Les barbares

■ -ne firent que l’achever. Le christianisme y contribua aussi beaucoup.

Quand le christianisme sortit des catacombes et parut au grand jour, quand on connut les dogmes et les mœurs qu’il prétendait introduire, les païens élevèrent contre lui ce réproche général, d’enseigner la haine du genre humain, odium humani generis, La reproche était juste ; car JéChristianisme professe le mépris de l’homme et prêche le renoncement à la famille, à la société, à la

; science, à toute activité proprement humaine.

L’expansion de cette doctrine dut rendre les masses indifférentes au sort de l’empire et par là faciliter l’invasion des barbares. Quant a la barbarie elle-même, à cette nuit qui saisit le monde ancien et qui devait l’envelopper si longtemps, elle trouva aussi nécessairement un auxiliaire dans une doctrine qui repoussait toute culture. Quoi qu’il en soit, avec rétablissement des barbares, les mœurs politiques et sociales disparaissent tout à fait,

’ les mœurs domestiques se dépravent singulièrement. La polygamie, le viol, l’assassinat, le vol, le rapt abondent partout ; et ce qui est plus frappant encore, on les commet avec une sorte d’inconscience naïve, parmi les bom. mes mêmes à qui la garde des mœurs a été confiée- On commence à voir paraître cette

— erreur si funeste qui confond la.morale avec la foi catholique. (Jlovis, plusieurs fois meurtrier, déprédateur, sanguinaire, professe la pure doctrine de l’Église : il combat les hérétiques ariens, cela suffit. Charlemagne est polygame, probablement incestueux, mais il est le champion de la papauté. Le seul crime dont on ne puisse pas se racheter, c’est l’hérésie. D’autre part, entre la masse, des hommes et ceux qui ont usurpa la place de l’ancien pouvoir public, sans remplir aucune de ses fonctions, toute notion de droit est perdue. On a recule à. ce point, que l’idée de propriété à’ remplacé l’idée de gouvernement et que l’administré est tombé au rang de l’animal domestique. Autre idée aussi funeste, on imagine des nijbies et des roturiers, et on crée, ■entre ces deux classes presque une différence d’espèces. Cependant, peu à peu la nature humaine, qui n’avait gardé que ses mauvais penchants, reprend ses bons ; l’étude, la culture, la sociabilité recommencent. Les mœurs domestiques s’améliorent lentement à mesure .’que l’esprit progresse ;. mais il ne va pas vite, empêché qu’il est de toutes parts. L’histoire de ces temps est une longue, une interminable démonstration de cette vérité : que les mœurs suivent les destinées de l’intelligence. Avec la Renaissance, avec l’étudo de l’antiquité, certaines vertus reparaissent. La justice n’a encore qu’une bien petite part dons les lois, dans la politique ; mais, enfin, l’homme n’est plus si dur, il s’amollit peu à peu, il redevient sensible et compatissant Au commencement du xvme siècle, la chute des Stuarts et l’instauration d’une nouvelle monarchie préparent en Angleterre-un milieu ’ libre, favorable au développement de la philosophie. Montesquieu, Voltaire viennent se former ù cette école. Voltaire ouvre la voie à une vaillante cohorte d’esprits qui, dans des chemins divers, visent tous le même but : la justice, c’est-à-dire la moralité véritable. Tous les abus sont décriés, déshonorés en attendant d’être abattus, lïnlin les peuples à bout se lèvent, et la Révolution française, le plus magnifique effort qu’on ait fait vers la justice idéale, jette bas tout l’ancien édifice des lois et des coutumes. L’immense domaine des rapports civils est rendu à l’égalité ; c’est un progrès prodigieux, ce n’est pas le dernier : les suites de la Révolution sont loin d’être épuisées, elles s’annoncent déjà comme nécessaires, inévitables, on les entrevoit clairement presque partout, et dans certains pays elles sont presque réalisées. La justice doit régir les rapports économiques et, chose bien plus importante encore, régir, sous lp nom de liberté, les rapports des gouvernés aux gouvernants. Alors la morale sera solidement fondée. Eu attendant, l’é MŒUR

quifé en partie reconquise fait sentir partout ses influences bienfaisantes ; et quoi qu’en disent certains esprits prévenus qui ne sont pas même toujours de bonne foi, le patriotisme, le respect de l’intérêt général, la modération, la tempérance, le souci de sa dignité, la charité, le soin des enfants, sans être parfaits, tant s’en faut, distinguent néanmoins notre siècle parmi les siècles précédents qui ne connurent ces vertus qu’à un degré très-inférieur.

Un puissant écrivain de notre siècle, M. Taine, a appliqué à l’étude des mœurs les procédés des sciences naturelles. ■ Il y a cent ans environ, dit-il, que les sciences naturelles ont découvert la règle d’évaluation que nous allons leur emprunter : c’est le principe de subordination des caractères ; toutes les classifications de la botanique et de là zoologie ont été construites d’après lui, et son importance a été prouvée par des découvertes aussi inattendues que profondes. Dans une plante et dans un animal, certains caractères ont été reconnus comme plus importants que les autres : ce sont les moins variables ; à ce titre, ils possèdent une force plus grande que celle des autres, car ils résistent mieux à l’attaque de toutes les circonstances intérieures ou extérieures qui peuvent les défaire ou les altérer. On peut appliquer ce principe à l’homme moral et considérer les mœurs au point de vue de l’importance ; on peut en quelque sorte en constater les degrés de variabilité. L’histoire nous fournit un moyen très-sûr et très-simple, car les événements, en travaillant sur lhomme, altèrent en des proportions diverses les diverses couches d’idées et de sentiments qu’on remarque en lui. Le temps gratte et creuse sur nous, comme un piocheur sur le sol, et manifeste ainsi notre géologie morale ; sous son effort, nos terrains superposés s’en vont tour a tour, les uns plus vite, les autres plus lentement. Les premiers coups de bêche raclent facilement un terrain meuble, une sorte d’alluvion molle et tout extérieure ; viennent ensuite des geavois mieux collés, des Bables plus épais, qui, pour disparaître, exigent un travail plus long. Plus bas s’étendent des calcaires, des marbres, des scjiistes étages par assises, tous résistants et compactes ; il faut des âges entiers de labeur continu, de tranchées profondes, d’explosions multiples pour en venir à bout. Plus bas encore s’enfonce en des lointains indéfinis le granit primitif, support du reste, et si puissante que soit l’attaque des siècles, elle ne parvient pas à l’enlever tout entier. »

Ainsi, à la surface, on trouve un terrain meuble : ce sont des mœurs qui dérivent de la mode et qui ne durent que trois ou quatre ans. Allez en Amérique, et vous ne trouverez pas Paris à votre retour tel que vous l’aviez laissé.

Au-dessous de cette première couche morale, il en est une autre plus solide, plus durable et qui dure parfois un demi-siècle. Ainsi, à partir de 1830, à l’époque des triomphes du romantisme, le personnage régnant, le type sur lequel chacun cherche à modeler ses mœurs, c’est • l’homme a grandes passions et à rêves sombres, enthousiaste et lyrique, politique et révolté, humanitaire et rénovateur, volontiers poitrinaire, d’apparence fatale, avec ces gilets tragiques et cette chevelure à grand effet que montrent les estampes de Deveria. »

Nous trouvons ensuite une troisième couche plus épaisse, plus solide et partant plus longue à faire disparaître ; les mœurs qui la constituent durent pendant une période historique, comme le moyen âge, la Renaissance de 1 époque classique. ■ Une même forme d’esprit règne alors pendant un ou plusieurs siècles et résiste aux frottements sourds, aux destructions violentes, à tous les coups de sape et do mine qui, pendant tout l’intervalle, l’attaquent incessamment. Nos grandspères en ont vu disparaître une : c’est la période classique, qui a fini en politique avec la révolution de 17S9, en littérature avec Defille et Fontanes, en religion avec les écrits de Joseph de Maistre et la chute du gallicanisme. Elle avait commencé en politique avec Richelieu, en littérature avec Maiherbe, eu religion par cette réforme pacifique et spontanée qui, au commencement du xvn<= siècle, renouvela le catholicisme français. Elle a subsisté près de deux siècles, et on peut la reconnaître à des signes sensibles. Au costume de cavalier et de bravache, que portaient les raffinés de la Renaissance, succède le véritable habit de représentation, tel qu’il le faut pour des salons et pour une cour, la perruque, les canons, la rhingrave, le vêtement aisé qui s’accommode aux gestes mesurés et variés de l’homme du monde, les étoffes de soie brodées, dorées, ornées de dentelles, la parure agréable et majestueuse, faite pour des seigneurs qui veulent briller et cependant garder leur rang. À travers des variations continues et secondaires, ce costume dure jusqu’au moment où le pantalon, la botte républicaine et le sérieux habit noir utilitaire viennent remplacer les souliers à boucle, les bas de soie bien tirés, les jabots de dentelle, les gilets à fleurs et l’habit rose, bleu tendre ou vert-pomme de l’ancienne cour. Dans tout cet intervalle domino un caractère que l’Europe nous attribue encore : celui du Français poli, galant, expert dans l’art de ménager autrui, beau diseur, modelé,

MŒUR

à distance plus ou moins grande, sur le courtisan de Versailles, fidèle au style noble et à toutes les convenances monarchiques de langage et de façons. Un groupe de doctrines et de sentiments s’y adjoint ou en dérive ; la religion, l’État, la philosophie, l’amour, la famille, reçoivent 1 empreinte du caractère régnant, et cet ensemble de dispositions morales constitue un des grands types que conservera toujours la mémoire humaine, parce qu’ils manifestent une des formes priucipales du développement humain.

« Mais ces caractères et les mœurs qui en dérivent, si stables qu’ils soient, finissent par disparaître. Aujourd’hui, nous n’avons plus rien.de l’âge classique ; en politique, à la monarchie absolue a succédé le régime démocratique. Ce régime nous a fait perdre une portion de notre politesse, de notro galanterie, et entendre autrement que nos pères les intérêts de l’individu et de la société. Mais notre caractère actuel et nos mœurs démocratiques finiront peut-être par disparaître un jour, à inoins que les mœurs démocratiques ne soient, ce qui me semble fort probable, le fond même du caractère humain, la couche de granit solide que la pioche du temps ne saurait entamer et qui est mise à nu par l’enlèvement successif des couches superficielles. ■

Sous foutes ces couches superficielles, il est une assise inébranlable, un caractère stable, fixe, dominateur d’où dérivent certaines coutumes, certaines mœurs propres à une nation, à une race. Si l’on prend les grandes nations depuis leur apparition jusqu’à nos jours, on trouve en elles un groupe d’instincts, d’aptitudes qui n’ont pas varié. Pour ne citer qu’un exemple entre mille, considérez les Gaulois, nos pères. Les Romains disaient qu’ils se piquaient de deux choses : bien combattre et parler avec esprit. Le courage militaire et les agréments de l’esprit et du style, voilà les deux traits essentiels du caractère français qui persistent sous toutes les modifications superficielles. « Sitôt que notre langue est formée, au xiie siècle, le Français, gai, malin, qui veut -s’amuser et amuser autrui, qui parle aisément et trop, qui sait parler aux femmes, qui aime à briller, qui s’expose par bravade et aussi par élan, très-sensible à l’idée de l’honneur, moins sensible à l’idée du devoir, apparaît dans la littérature et dans les mœurs. Les chansons do geste et les fabliaux, le Itoman de la Rose, Charles d’Orléans, Joinville et Froissart vous le montrent tel que vous le verrez plus tard dans Villon, Brantôme et Rabelais, tel qu’il sera au temps de son plus grand éclat, au temps de La Fontaine, Molière et Voltaire, dans les charmants salons du xvme siècle et jusqu’au siècle de Béranger. Il en est ainsi pour chaque peuple ; il suffit de comparer une époque dans une histoire à l’époque contemporaine d’une autre histoire, pour retrouver, sous des altérations secondaires, le fonds national toujours intact et persistant. Voilà le granit primitif ; il dure une vie de peuple et sert d’assise aux couches que les périodes successives viennent déposer à la surface. »

— Rhét. Mœurs oratoires. Les mœurs oratoires sont une partie de la rhétorique et, à ce titre, elles tiennent une grande place dans tous les traités ex professa. Les anciens, qui ont étudié par le menu toutes les ressources de l’art, qui les ont définies, classées, étiquetées avec un soin minutieux, ne pouvaient passer sous silence la principale des sources de conviction où peut puiser l’orateur, pour gagner l’assentiment de l’auditoire et des juges ; cette source est en lui-même, dans son passé, qui parle pour lui, dans son honnêteté, qui répond de celle de son client. C’est là ce qu’ils ont appelé les mœurs oratoires. Cicéron et Quintilien ont disserté longuement là-dessus et prouvé par raisons convaincantes qu’un honnête homme, estimé de ses concitoyens et n’ayant jamais failli, a moins de

Îieine à convaincre un tribunal que l’orateur o plus disert, mais mal famé et méprisé de tout le monde. C’est tellement vrai et cela tombe si bien sous le sens, que Cicéron et Quintilien nous paraissent bien bons d’avoir tant insisté à ce sujet et retourné ce thème de tant de manières.

— Mus. Les mœurs étaient une partie très-importante de la musique des Grecs. Elles

consistaient à choisir ce qui était bien en chaque genre et ne permettaient pas de donner à chaque sentiment, u chaque objet, à chaque caractère toutes les formes qu’il était susceptible de recevoir ; mais elles faisaient une loi de se borner à ce qui était convenable au sujet, aux personnes, aux circonstances, à la situation.

Les mœurs consistaient, en outre, à accorder dans une pièce toutes les parties de la musique, le mode, le temps, le rhythme, la mélodie et même les changements, pour qu’on sentit dans le tout une conformité qui n’y laissât-point de disparité et le rendît parfaitement un.

— Zool. Mœurs des animaux. Tous les animaux, à quelque degré de l’échelle zoologique qu’ils se trouvent placés, manifestent leur activité, ou tout au moins leur existence, par diverses habitudes, par des actes plus ou moins variés, dans leurs relations avec les autres animaux ou avec les milieux ambiants. Ces habitudes, ces actes, qui constituent ce qu’on a nommé leurs mœurs, résultent

MŒUR

de leur organisation et se modifient eu même temps que celle-ci ; les mœurs changent encore avec le climat et les circonstances dans lesquelles l’animal est appelé à vivre. La privation de la liberté et surtout la domestication amènent les modifications les plus profondes. L’homme imprime ici son cachet, et lui-même est soumis à cette loi. L’étude des mœurs des animaux constitue une des parties de la zoologie les plus intéressantes et les plus riches en applications. Mais nous devons nous borner ici à ce simple aperçu, renvoyant, pour les détails, aux nombreux articles spéciaux qui traitent des différents groupes aoologiques.

Mœurs dos Israélites et Mcevrs de* chrétiens, par l’abbé Fleury (1631-1032, 2 vol. in-&«). Ces deux ouvrages, publiés d’abord séparément, puis réunis, sont devenus classiques. Dans la partie consacrée aux Israélites, l’auteur offre le tableau de la vie des patriarches, de tous les personnages de l’Ancien Testament et résume l’histoire de3 mœurs juives depuis Moïse jusqu’à Jésus-Christ. C’est un résumé, plein d’onction, de toutes les notions éparses dans le Pentateuque et dans la suite des livres sacrés d’Israël. On ne peut que louer le talent d’exposition dont fait preuve l’écrivain et le discernement de l’ôrudit. Le second’ouvrage est un discours divisé en quatre parties ; la première retrace les mœurs des chrétiens de Jérusalem, jusqu’à la ruine de la ville ; la seconde embrasse toute la période des persécutions, c’est-à-dire les trois premiers siècles ; la troisième partie décrit l’état de l’Église depuis Constantin ; la quatrième partie expose les causes des changements survenus pendant la période moderne.

Mœurs et l’esprit des nattons (ESSAI SUR

lbs), l’un des ouvrages les ptus importants de Voltaire et le plus grand travail historique et critique du xvme siècle (1756, 7 vol. in-8°). « L’Essai sur les mœurs, dit M. Villemain, en faisant lire ce qui était illisible sous la plume des compilateurs, et ce que lo xvme siècle ne cherchait pas dans les chroniques, créa l’étude de l’histoire moderne. >

Peut-être n’est-ce point assez dire encore. Voltaire a fait plus, en ce beau livre, que du faire oublier les récits de Mézeray et du Père Daniel.

« Longtemps, dit Condorcet, Voltaire s’était plaint que, chez les modernes surtout, l’histoire d’un pays fût celle de ses rois ou de ses chefs ; qu’elle ne parlât que des guerres, des traités ou des troubles civils ; que l’histoire des mœurs, des arts, des sciences, celle des lois, de l’administration publique, eût été presque oubliée. Les anciens mêmes, où l’on trouve plus de détails sur les mœurs, sur la politique intérieure, n’ont fait, en général, que joindre à l’histoire des guerres celle des factions populaires. On croirait, en lisant ces histoires, que le genre humain n’a été créé que pour servir à faire briller les talents politiques ou militaires de quelques individus, et que la société a pour objet, non le bonheur do l’espèce entière, mais le plaisir d’avoir des révolutions à lira ou à raconter. Voltaire forma lo plan d’une histoire où l’on trouverait ce qu’il importe le plus aux hommes de connaître, c’est-à-dire les effets qu’ont produits sur le repos ou le bonheur des nations les préjugés, les lumières, les vertus ou les vices, les usages ou les arts des différents siècles. !

Bossuet, dans son Discours sur l’histoire universelle, avait approprié l’histoire aux doctrines de son Église et aux besoins comme aux idées de la société dans laquelle il vivait ; il avait confisqué pour ainsi dire l’humanité au profit d’une secte et rapporté à l’établissement du mosaïsme, puis de l’Église chrétienne, comme à leur unique fin, tous les événements qui se sont succédé dans l’histoire du monde.

C’est cette théorie, qui pesait sur les esprits, quo Voltaire entreprit, non de réfuter, mais de remplacer, en édifiant à côté une œuvre de critique et de raison. ■ C’était faire en histoire ce que Galilée, Kepler, Newton avaient fait en astronomie. Il ne s’agissait plu ; d’un ciel pivotant autour d’une terre unique ; de même il ne s’agira plus d’une humanité nulle n’existant que pour un peuple, une ville, un être. On avait constaté l’existence propre de tous les globes, et l’on venait de découvrir la loi unique qui les régit tous ; on va, grâce à Voltaire, reconnaître le droit à la vie de toutes les nations, et signaler, dans la variété même de leurs moeurs, de leur esprit et de leur développement, la loi commune qui fait d’elles toutes une humanité. Telle est la grande leçon morale et sociale que le philosophe tire simplement des faits. ■ (Georges Avenel.)

Voltaire commence son récit & l’époque précisément où Bossuet termine le sien, c’est-à-dire à l’époque de Charlemagne. S’il se présente comme son continuateur pour les faits, on pense bien qu’il ne l’est pas pour la manière de les envisager. Loin de rapporter tout au christianisme, il s’est pas éloigné d’attribuer à son établissement tous les maux qui ont affligé l’humanité depuis la fondation de l’empire d’Occident. À ses yeux, le moyen âge est un ennemi, dont il lui semble que la société nouvelle n’est pas encore assez débarrassée. La pensée capitale de l’ouvrage, c’est l’idée du progrès social par la diffusion