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Rafraîchir la mémoire, Rappeler le souvenir : Si vous avez oublié ce que vous m’avez promis, je vous rafraîchirai la mémoire. || Se rafraîchir la mémoire, Repasser, relire ce qu’on savait autrefois, ce qu’on avait déjà lu.

— Fam. Avoir une mémoire de lièvre, Perdre la mémoire en courant, Se dit de quelqu’un qui a peu de mémoire, qui oublie très-vite.

— Prov. Mémoire du mal a longue trace, mémoire du bien tantôt passe, On se souvient longtemps du mal, on oublie vite le bien ; le ressentiment est plus durable que la reconnaissance.

— Hist. rom. Maître de la mémoire, Chef des secrétaires chargés de noter tous les faits et dits mémorables de l’empereur.

— Liturg. Commémoration : L’Église fera dimanche mémoire de ce saint. Le jour de la Toussaint, l’Église fait mémoire de tous ceux qui ont mérité le ciel. (Fleury.) || Invocation : Autel privilégié sous la mémoire de la Vierge.

— Jurispr. Réhabiliter la mémoire de quelqu’un, Annuler un jugement infamant prononcé contre lui : Le 9 mars 1765, un arrêt définitif réhabilite la mémoire. du malheureux Calas. (Grimm.) || Curateur à la mémoire, Personne chargée de défendre la mémoire d’un défunt.

— Fin. Pour mémoire, Terme de comptabilité usité pour indiquer qu’un article mentionné, à titre de renseignement, n’est pas porté en ligne de compte.

— Syn. Mémoire, réminiscence, ressouvenir, souvenance, souvenir. Mémoire et souvenir expriment l’un et l’autre l’action de notre esprit qui se reporte en arrière et qui rappelle à son attention des personnes ou des choses dont il s’est déjà occupé dans le passé. Mais le mot mémoire suppose un objet plus important, plus étendu, plus vague quelquefois ; souvenir est plus restreint ou plus précis. Le ressouvenir est le souvenir d’une chose qu’on avait complètement perdue de vue et qu’une circonstance fortuite présente de nouveau à notre pensée. La réminiscence n’est qu’un ressouvenir incomplet, une trace confuse laissée dans notre esprit, et que nous prenons quelquefois pour une de nos pensées propres : Platon prétendait que les connaissances que nous acquérons sont moins de nouvelles connaissances que des réminiscences de ce que nous avons su autrefois. Enfin, souvenance diffère de souvenir d’abord en ce qu’il appartient plutôt au vieux langage qu’au langage moderne, puis en ce qu’il exprime un souvenir ancien, qui dure depuis longtemps.

— Encycl. Linguist. Chez les hommes des premiers âges, ainsi que l’observe Pictet, la mémoire a joué un rôle beaucoup plus important qu’aux époques postérieures. Avant l’invention de l’écriture, c’est à la mémoire uniquement qu’étaient confiées toutes les traditions nationales et religieuses, toutes les lois et coutumes, toute la poésie. Aussi cette faculté, que nous plaçons maintenant à un rang inférieur, était-elle assimilée par les anciens Aryas à la pensée même.

La grande racine man, en effet, signifie se souvenir aussi bien que penser, et le dérivé sanscrit mali désigne à la fois la mémoire et l’intelligence. La forme secondaire mnâ, comme gnâ de gan, dhmâ de dham, prend un sens en quelque sorte intensitif ou itératif, et s’appliqua plus tard à l’étude mnémonique des livres sacrés. C’est là exactement le grec mna, dans mnaomai, mnêsko, memnémai, d’où mnémé, mnésis, mémoire, souvenir, mnéma, monument, mnémosuné, souvenir, personnifié dans Mnémosyne, comme la mère des Muses. Le latin moneo, rappeler à la mémoire, d’où monitum, monumentum, etc., est proprement un verbe causatif, faire penser, et la forme redoublée memini, meminisse, d’un présent inusité memino, exprime d’une autre manière le renouvellement de la pensée. Comparez reminiscor.

La racine qui exprime directement l’activité de la mémoire est, en sanscrit, smar, se souvenir, puis secondairement désirer. De là 'mara, smarana, mémoire, smarti, même sens st loi traditionnelle, code de lois confié à la mémoire.

La zend, qui ne connaît pas le groupe initial sm, offre cette racine sous la forme mere, se souvenir, d’où mereta, marethra, commémoration, meretar, celui qui se souvient de la loi. En grec, où le groupe smest usité, le s initial a cependant disparu, sans doute par suite de la réduplication dans mermerô, mermairô, avoir souci, être inquiet, délibérer, merméra, inquiétude, anxiété, etc. Le sens primitif semble conservé dans les mermera erga d’Homère, que l’on traduirait mieux par exploits mémorables que par ardua facinora, exploits difficiles et pénibles. L’épithète de mermeron que donne Oppian au chien de chasse ne peut guère désigner que l’animal qui se souvient bien. Benfey rapporte également ici merimna, souci, réflexion, ainsi que martus ou martur, le témoin qui se souvient. Le latin, qui n’a pas le sm initial, a redoublé aussi la racine dans memoro, mentor, memoria.

— Philos. C’est une question importante et fort débattue, mais d’une solution douteuse, si la mémoire est réellement une faculté à part, ou si la mémoire appartient comme un mode à chacune de nos facultés, autrement dit si chaque faculté a sa mémoire. La plupart des philosophes et des psychologues penchent plutôt pour la première opinion. La seconde semble rendre raison des diversités étonnantes qu’il y a entre les hommes à cet égard, et de celles encore plus singulières qu’on peut constater dans la mémoire du même homme, selon les objets qu’il s’agit de se rappeler.

Réminiscence et ressouvenir désignent les deux actes constitutifs de cette faculté mystérieuse : réminiscence exprime l’acte involontaire et inconscient de la mémoire, qui reproduit un sentiment ou une notion ancienne sans que l’individu soit averti de cette ancienneté, en sorte qu’il prend la réminiscence pour une création* personnelle. Ressouvenir, au contraire, implique volonté de la part de l’individu d’évoquer un fait passé, et reconnaissance du fait, en tant qu’ancien et re- ’ llOuvelé.

Exposons brièvement les vérités d’observation qui sont aujourd’hui généralement admises, au sujet de la mémoire ou des mémoires, comme on voudra. La mémoire des odeurs et des saveurs est plus faible que celle des phénomènes perçus par les autres sens, c’est-à-dire qu’on se souvient moins longtemps et surtout avec moins de clarté et de distinction des saveurs et des odeurs diverses dont on a été affecté à un moment donné. Celle de la vue est plus nette et. plus durable, surtout quand celle du toucher vient s’y ajouter. Mais le sens dont la mémoire est incomparablement la plus étendue, c’est l’ouïe. Quand on songe au nombre infini de mois qu’un homme bien doué peut retenir, aux inflexions, aux accents, aux intonations diverses dont chaque mot peut être accompagné dans sa mémoire, si l’on songe qu’il peut encore y ajouter les bruits infiniment variés de la nature et, enfin, un vaste répertoire d’airs de musique, on sera étonné, confondu. En certains hommes, cette mémoire semble n’avoir pas réellement de bornes ; on a très judicieusement observé que l’étendue extraordinaire de cette mémoire tient à ce que la plupart des sons et des bruits sont d’une imitation facile et prompte ; ou sent bien qu’un son qu’on peut reproduire plusieurs fois se grave mieux dans l’esprit qu une image, qu’on voit, mais qu’on ne reproduit pas, parce que ce serait trop long et que cela demanderait une étude spéciale.

Les sens et la conscience nous fournissent également la notion du nombre ; mais on a remarqué que la mémoire du nombre est fort courte, qu’il s’agisse d’images, de sons, ou de tout autre objet. Un polygone de dix côtés, une série de dix points ne se présentent, à notre esprit qu’avec confusion et incertitude. Il est difficile de compter dix notes égales ; il faut les diviser en deux groupes au moins.

Le phénomène par lequel s’opère la réminiscence est la liaison ou l’association des idées. Aucune réminiscence ne naît dans l’esprit d’elle-même et spontanément, c’est toujours une perception nouvelle ou une autre réminiscence produite elle-même par une perception qui en est la cause occasionnelle. Il faut s’expliquer par des exemples. « S’il se présente tout à coup à notre esprit le souvenir d’un chant que nous avons entendu autrefois, cela vient de ce que le murmure du vent ou quelque autre son actuellement perçu nous a donné deux ou trois notes de ce chant, ou que nous avons vu la personne à qui nous l’avons entendu chanter ou que nous nous trouvons dans le lieu où il a frappé notre oreille. » Au contraire « lorsqu’on nous éveille au moment d’un rêve, si nous n’en retrouvons d’abord aucun souvenir, c’est que, parmi les objets qui, frappent alors notre vue, aucun ne présente avec ceux de notre rêve la liaison que nous avons indiquée. Souvent au milieu de la journée, le souvenir de ce rêve nous revient tout à coup ; c’est que notre perception est tombée sur un des objets qui nous ont occupé en songe. » (A. Garnier). Ainsi les idées s’appellent l’une l’autre, non pas arbitrairement, mais par l’effet nécessaire de leurs rapports. Deux idées peuvent avoir entre elles un certain nombre limité de rapports ; et c’est ici le lieu de se rappeler les catégories d’Aristote, rapports de simultanéité, de juxtaposition ou de contiguïté, de cause ou d’effet, de qualité, de substance, etc. Chacun a son genre de mémoire ; ce genre se constitue d’abord de l’espèce particulière des notions que l’individu a acquises, car on ne se rappelle évidemment que ce qu’on a su ou vu une fois, et puis en second lieu de l’espèce de rapports dont son esprit est frappé plus particulièrement. Ainsi, l’enfant ou l’homme primitif est surtout frappé des rapports de simultanéité, de contiguïté, des rapports de couleur, de nom, en un mot des rapports extérieurs. Aussi un premier objet lui vient-il à l’esprit ; cet objet le conduira aussitôt à se rappeler un autre objet qui était à côté, et qui n’a avec le premier que ce lien fragile. Les esprits brillants sont précisément ceux qui sont surtout sensibles aux rapports superficiels ; car il est prouvé que la liaison des idées se fait d’autant plus vivement que, le lien de l’une à l’autre est plus léger. Dans les couches profondes de l’esprit, le mouvement se transmet, se propage avec une lenteur et une difficulté singulières. Un homme qui perçoit les rapports extérieurs et qui se préoccupe de les percevoir, un artiste bien doué présente quelquefois un spectacle étourdissant. Dès qu’il a entamé un sujet, le voilà lancé, il ne peut plus s’arrêter ; ce sujet le mène à un autre, et celui-ci à un troisième avec une rapidité, une force insurmontable. Il n’est plus Je maître de son esprit ; toutes ses facultés s’agitent à la fois, s’empressent pour ainsi dire, et lui offrent de tous côtés des mots, des images, des faits, évoqués par le rapport le plus léger, le plus lointain. Jamais pareille chose n’arrivera à un Kant ou à un Spinoza.

C’est donc par l’association des idées qu’on se rend le mieux compte du mécanisme de la mémoire ; mais les idées, pour être associées, ont besoin du secours de la mémoire et l’explication n’explique rien. Il restera toujours dans ce rouage essentiel de l’intelligence quelque chose de tout à fait mystérieux. Quelle qu’elle soit, la mémoire joue un grand rôle dans le développement de l’esprit humain ; sans elle tout demeure stérile, puisque, servant à perpétuer les idées déjà émises, elle est ainsi le meilleur moyen d’en acquérir de nouvelles. Son fonctionnement est soumis à des lois aussi mal connues que son essence même : la volonté n’a qu’une prise très-médiocre sur une faculté capricieuse qui tantôt se voile, tantôt se manifeste avec une lumière irrésistible, et au moment le plus imprévu. Qui n’a éprouvé cette difficulté de se ressouvenir qu’on éprouve à certains moments, quelle que soit là concentration énergique de la volonté, tandis que, dans d’autres, l’objet, le mot ou la note cherchés en vain se présentent spontanément et sans qu’il y ait trace chez nous d’activité cérébrale ? Non-seulement la mémoire diffère d’un individu à un autre, mais elle n’est pas la même à tous moments chez un seul individu. Sans parler des cas où une lésion organique peut l'affaiblir, des circonstances bien moindres, comme de simples embarras gastriques, la pesanteur d’une digestion, une migraine, 1 allèrent sensiblement. La constitution et l’état du cerveau exercent sur elle une influence manifeste. Pline raconte qu’un homme oublia jusqu’à ses lettres. à la suite d’un coup reçu à la tète ; Clément VI, au contraire, avait une mémoire prodigieuse et prétendait que cette faculté s’était développée chez lui après une forte contusion du crâne. L’exercice localise la mémoire d’une manière très-sensible ; ainsi les acteurs acquièrent ou développent cette mémoire verbale qui est nécessaire à leur profession ; les agents de police acquièrent souvent une mémoire des physionomies dont les résultats sont surprenants. Cette localisation de la mémoire est un phénomène très-singulier.

Tous les hommes n’ont pas la même aptitude aux diverses espèces de réminiscences : les uns se rappellent de préférence les figures géométriques, ce sont les individus nés mathématiciens ; les autres les mélodies, ce sont les musiciens ; d’autres encore ont plus de mémoire pour les nombres, etc. Il en est qui se souviennent des mots avec une facilité incroyable. Nous avons vu des enfants auxquels il suffisait de lire à haute voix plusieurs pages d’un texte français, pour qu’ils le récitassent ensuite sans aucune hésitation. Cette facilité à se rappeler les noms, les mots, est ce qu’on appelle mémoire verbale. Ce genre de mémoire se rencontre chez presque tous les enfants ; à l’âge où la réflexion n’est pas encore éveillée en eux, ils retiennent facilement les mots qu’ils entendent, souvent sans les comprendre. La raison de cette facilité est l’absence même de réflexion. Quand la réflexion commence, chez la plupart la mémoire verbale s’affaiblit et disparaît même chez quelques-uns. Alors, en effet, on intercale ses propres réflexions, ses propres remarques, ses propres idées au milieu des idées qu’expriment les mots qu’on entend ou qu’on lit ; le fil de ces idées étrangères est brisé, et la reproduction en devient moins aisée. On a perdu ; on a gagné aussi : la mémoire verbale est un défaut quand elle est exclusive ; l’homme doué de cette mémoire à un haut degré est la plupart du temps incapable de penser par lui-même ; ou, s’il pense, il est incapable d’exprimer ses idées d’une manière originale ; il a toujours un moule tout prêt où couler sa pensée. Si donc on perd cette mémoire verbale, sans perdre la mémoire plus précieuse des idées, on s’est débarrassé d’un ôte incommode.

— Anecdotes. Parmi les grands hommes, on en cite beaucoup qui ont été doués d’une mémoire prodigieuse.

Mithridate, qui comptait sous sa domination vingt-deux nations différentes, les haranguait chacune dans sa langue, et appelait tous ses soldats chacun par son nom.

On raconte la même chose de Cyrus, roi de Perse, de Thémistocle, de Scipion l’Asiatique, de l’empereur Adrien et de plusieurs autres grands hommes ; et l’on dit qu’un pareil avantage éleva Othon à l’empire.

Thémistocle avait une mémoire si heureuse, qu’il apprit parfaitement, dans l’espace d’une année, la langue persane, quoique très-difficile. Un homme vint un jour lui proposer un secret pour aider la mémoire et y fixer les objets : « J’aimerais mieux, lui dit Thémistocle, un secret pour oublier ce que je voudrais. »

Hortensius, l’un des plus célèbres orateurs de l’ancienne Rome, avait une mémoire si sûre, qu’après avoir médité en lui-même un discours, sans écrire un seul mot, il le rendait dans les mêmes termes dans lesquels il l’avait préparé. Rien ne lui échappait : ce qu’il avait arrangé dans son esprit, ce qu’il avait écrit, ce qu’avaient dit les adversaires, tout lui était présent. Cette faculté allait en lui jusqu’au prodige ; et l’on rapporte qu’en conséquence d’une gageure faite avec un do ses concitoyens appelé Sisenna, il passa un jour entier à une vente, et lorsqu’elle fut finie, il rendit compte de toutes les choses qui avaient été vendues, du prix de chacune, du nom des acheteurs, et cela par ordre, sans se tromper dans la moindre circonstance, comme il fut vérifié par l’huissier-priseur, qui le suivait sur son livre à mesure qu’il parlait.

Lipse, si connu par son érudition, savait toute l’Histoire de Tacite, il offrait de réciter mot pour mot tous les endroits de cet ouvrage qu’on lui marquerait, consentant qu’on se tint auprès de lui avec un poignard à la main et qu’on l’enfonçât dans son corps, en cas qu’il ne rapportât pas fidèlement les paroles de l’auteur.

Renaud de Beaune avait une mémoire si heureuse, que, dans un âge très-avancé, il se souvenait de tous les vers grecs et latins qu’il avait lus dans sa jeunesse, et il récitait des pages entières d’Homère, quoiqu’il y eût plus de quarante ans qu’il n’eût jeté les yeux sur les ouvrages de ce poète.

Hugues Doneau, jurisconsulte de Chalon-sur-Saône, au xvie siècle, avait une si belle mémoire, qu’il savait par cœur tout le Corps du droit.

Joseph Scaliger apprit en vingt et un jours l’Iliade et l’Odyssée.

Le Père Ménestrier, jésuite, avait une mémoire si heureuse, que, dans une épreuve publique devant la reine de Suède, on fit écrire et prononcer devant lui trois cents mots de3 plus bizarres, sans aucun sens, et qu’il les répéta dans le même ordre. Sénèque dit de lui-même que, par un effet singulier de mémoire, il répétait deux mille mois détachés, dans le même ordre qu’on les avait prononcés.

Louis III avait une mémoire admirable. L’armée française avait eu ordre de se rassembler dans la plaine de Saint-Maurice, voisine de Piquevos : quoiqu’on y eût campé l’année précédente, on ne se souvenait plus de sa situation, ni des chemins qu’il fallait prendre pour y arriver. Le roi prit une plume et traça lui-même une carte du pays avec tant d’exactitude, que l’on y trouvait jusqu’aux moindres particularités ; aucun des noms n’était sorti de sa mémoire.

Louis XIV, ayant rencontré un homme dans les appartements, lui dit : « N’êtes-vous pas au duc de *** ? Je le reconnais, ajouta-t-il, aux boucles d’or de vos souliers, qui lui appartiennent.

En faisant faire l’exercice à ses mousquetaires, il dit à l’un d’eux que son cheval avait été volé cinq ans auparavant à l’un de ses camarades.

On avait fait au Père Hardouin, célèbre jésuite doué de plus de mémoire que de sens commun, l’épitaphe suivante : « Ci-git le Père Hardouin, d’heureuse mémoire, en attendant le jugement. »

Un Breton, étant venu à Paris, alla voir un de ses compatriotes, auquel il réclama, par occasion, une pièce de cinq francs qu’il lui avait prêtée il y avait une quinzaine d’années. Le débiteur le quitte et lui rapporte un livre qu’il lui donne avec son argent, en lui disant : « Prenez, monsieur, c’est un prix de mémoire que j’ai remporté dans ma jeunesse ; vous le méritez assurément mieux que moi. »

Un vieux comédien de province, enfant de la balle, comme on dit au théâtre, et habitué dès l’enfance à faire sonner la rime et à cadencer le vers, était tellement possédé de cette habitude qu’un soir qu’il jouait Mithridate, arrivé à ce passage :

Quand le sort ennemi m’aurait jeté plus bas,
Vaincu, persécuté...

et ne pouvant se rappeler le dernier hémistiche du second vers, il continua machinalement et acheva celui-ci de cette façon burlesque : tati, tatou, tata.

Dans une tragédie du répertoire, un acteur de la Comédie-Française s’arrête net, un jour, à ce passage :

J’étais dans Rome alors...

Après avoir répété deux ou trois fois cet hémistiche, dont il ne trouvait pas la suite, voyant que le souffleur s’inquiétait peu de le tirer d’embarras, il l’interpelle en lui disant