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de leur maison bien fermée, verraient piller, voler, égorger, massacrer tout le genre humain sans se plaindre, attendu que Dieu les a doués d’une douceur très-méritoire à supporter les malheurs d’autrui. » Ce type d’égoïste raffiné, si vigoureusement esquissé par J.-J. Rousseau, existe, à n’en pas douter, et il était intéressant de le produire sur la scène, comme a fait Fabre d’Églantine ; mais ce n’est pas là le Philinte de Molière. Alceste, retiré dans ses terres depuis sa rupture avec le genre humain, se rencontre avec Philinte, devenu comte de Valencey, dans un hôtel garni de Paris. Il y est venu pour sauver un malheureux menacé par un fripon ; mais il ne sait point le nom de celui qu’il importe de prévenir. Où le trouver ? Philinte, dont un oncle est devenu ministre, peut le servir ; il s’adresse à lui et l’engage à participer à sa bonne action ; mais Philinte a d’autres soins ; il pense à sa fortune et se soucie fort peu d’obliger un inconnu ; il raille Alceste de ses sentiments chevaleresques et l’engage à s’occuper plutôt de ses affaires. Plus Philinte montre d’égoïsme et de sécheresse, plus Alceste prend en pitié le malheureux inconnu ; mais soudain, par une péripétie très-naturelle et très-vraisemblable, la scène change. Ce Philinte si calme, si tranquille sur le malheur d’autrui, le voilà qui sort de son repos, il éclate, il est hors de lui-même. Qu’est-il donc arrivé ? Il vient de découvrir que cet homme dont la ruine le faisait rire, cet homme volé que défendait Alceste et qu’il refusait de secourir, c’est lui, Philinte, comte de Valencey. Le caractère d’Alceste ne se dément pas ; Philinte est malheureux ; il oublie sa colère pour le secourir, et une fois vainqueur, quand son ami est tiré du danger, il accable de reproches l’indigne mari de la sensible Éliante et le laisse écrasé de remords et murmurant : « J’ai tort. » Il eût mieux valu peut-être intituler cette pièce l’Égoïste que de faire du Philinte de Molière un homme dénué de toute morale et de toute humanité, outre que le voisinage du Misanthrope était écrasant ; mais, à part ce défaut, la pièce est fort remarquable ; le caractère de Philinte est bien tracé, et c’est une idée vraiment heureuse et dramatique d’avoir fait trouver à l’égoïste sa punition dans son égoïsme-même et fait retomber sur lui la conséquence de ses principes. Enfin la préface de cette comédie, dirigée contre l’Optimiste de Colin d’Harleville, passe à bon droit pour une œuvre littéraire très-remarquable. Cette pièce est le chef-d’œuvre de son auteur.


PHILIPEAUX (Raymond), médecin français, né à Bordeaux en 1822. Il s’est fait recevoir docteur à Paris, puis est allé se fixer à Lyon. M. Philipeaux a publié quelques ouvrages estimés : Traité de la cautérisation (1856, in-8o) ; Études sur l’électricité appliquée au diagnostic et au traitement des maladies (1857, in-8o) ; Études sur la surdité (1863, in-8o) ; Recherches nouvelles sur l’appareil auditif (1870, in-8o), etc.


PHILIPEAUX (Pierre), conventionnel. V. Philippeaux.


PHILIPON (Charles), dessinateur et journaliste français, né à Lyon en 1800, mort à Paris en 1862. Son père, Étienne Philipon, marchand de papiers peints, était parent de la célèbre Mme Roland, du général Philipon et de Philipon de La Madelaine. D’un premier mariage, il n’avait eu qu’un enfant, Mme Aubert ; de son second mariage avec Mlle Fleurie Lisfranc, tante du célèbre chirurgien Lisfranc, il eut six enfants, dont l’aîné fut Charles Philipon. Après avoir fait d’assez mauvaises études à Lyon et à Villefranche, Charles Philipon apprit le dessin à l’école Saint-Pierre dans sa ville natale, puis se rendit à Paris en 1819 et entra dans l’atelier de Gros, où il eut pour condisciples Decamps et Bonnington. Pendant l’année qu’il passa sous la direction de ce grand artiste, Philipon s’occupa beaucoup moins d’étudier le grand art que de faire des charges. En 1821, son père, qui le destinait au commerce, le rappela à Lyon. Il s’occupa alors du dessin de fabrique ; mais ce genre de travail ne pouvait convenir à sa nature ardente, exubérante, à l’allure satirique de son esprit. En 1823, il quitta Lyon et revint à Paris. Pour vivre, il fit des dessins pour les imagiers, des étiquettes, des rébus, des vignettes, des éventails, des aquarelles, des planches pour les journaux de modes. C’est vers cette époque qu’il dessina l’histoire de Polichinelle, enfant prodigue, l’Histoire de Touche-à-tout, le mauvais sujet et un grand nombre d’autres histoires à deux sous. Peu après, il s’occupa de lithographie et eut l’idée d’appliquer cet art aux devants de cheminée. Cette invention lui rapporta 200 francs, prix convenu pour deux énormes dessins sur pierre. Quant au fabricant, il y gagna une grosse somme et s’adressa immédiatement à des artistes qu’il payait moins cher.

Philipon s’était lié avec les écrivains libéraux et satiriques de l’époque, lorsqu’il fit venir à Paris son beau-frère, M. Aubert, ancien notaire, et fonda avec lui, en 1830, la maison depuis si connue sous ce nom. Après la révolution de Juillet 1830, il fit paraître les premières caricatures politiques et mit au jour un journal hebdomadaire d’images, la Caricature, qui, après avoir été pendant quelque temps un gai recueil dans lequel on se moquait des vices et des ridicules du moment, devint un véritable pamphlet contre les hommes au pouvoir.

Philipon, Juvénal de la caricature,

comme l’appelait Barthélémy dans sa Némésis, vit son journal succomber sous les procès de presse (1834). Le 1er novembre 1832, il avait fondé le Charivari, dont il fut six ans directeur et qu’il vendit, en 1842, à une société d’actionnaires. D’une activité infatigable, sans cesse à la recherche d’idées nouvelles, Charles Philipon créa le Robert Macaire, en collaboration avec Daumier ; le Musée pour rire (1839-1840), avec Louis Huart, Maurice Alhoy, etc. ; les Physiologies (1840), qu’il mit à la mode ; le Journal pour rire (1849), qui devint, en 1857, le Journal amusant ; le Musée anglo-français (1854), avec Doré. Outre les articles et les dessins de lui répandus dans ses journaux, dans les Cent et un Macaire, dans l’Almanach prophétique, on lui doit des brochures politiques, entre autres : Aux prolétaires (1838) : enfin la Physiologie du flâneur (1842, in-32), la Parodie du Juif errant (1844, in-18), complainte constitutionnelle en 10 parties, avec Louis Huart. « Doué d’une nature énergique, dit M. B. de La Chavignerie, Philipon, rieur en apparence, était en réalité un penseur et un philosophe. Il ne s’est jamais fait que des ennemis politiques, ne s’étant jamais attaqué, proclamons-le à sa louange, à la personnalité. » Il a été à la tête de tout ce qui, à notre-époque, a tenu la plume ou le crayon de la satire et il a indiqué leur voie ou donné leur formule à presque tous les artistes en ce genre. — Son fils, Eugène Philipon, mort en janvier 1874, devint, en 1862, directeur du Journal amusant et de deux autres journaux illustrés. C’était un homme d’un sens droit, d’un esprit sûr, d’une grande générosité. Pendant le siège de Paris, il n’avait reculé devant aucun sacrifice pour dérober à la misère le nombreux personnel placé sous sa direction.


PHILIPON DE LA MADELAINE (Louis), littérateur français, né à Lyon en 1734, mort à Paris en 1818. Il étudia le droit à Besançon, où il se fixa après y avoir fait un mariage avantageux, devint avocat du roi près du bureau des finances et obtint, en 1786, l’intendance des finances du comte d’Artois. Au commencement de la Révolution, il perdit son emploi, fut décrété d’arrestation après le 10 août, se tint à partir de ce moment à l’écart des agitations politiques, reçut de la Convention, comme homme de lettres, un secours de 2,000 livres en 1795 et obtint la place de bibliothécaire au ministère de l’intérieur. En 1814, le comte d’Artois lui accorda avec une pension le titre d’intendant honoraire de ses finances. C’était un homme d’un caractère gai, obligeant, aimable, qui conserva jusqu’à ses derniers moments tout le charme de l’ancienne urbanité française. On a de lui plusieurs comédies, en collaboration avec Thérigny, le vicomte de Ségur, Le Prévost d’Iray, etc., entre autres : le Dédit mal gardé, Catinat à Saint-Gratien, Maître Adam ou le Menuisier de Nevers, Gentil-Bernard, les Troubadours, Chaulieu à Fontenay, etc. ; des chansons, remarquables par la grâce, la correction, la gaieté décente et qui parurent pour la première fois en recueil sous le titre de : les Jeux d’un enfant du Vaudeville. Parmi ses autres ouvrages, nous citerons : l’Art de traduire le latin en français (Lyon, 1762) ; Discours sur la nécessité et les moyens de supprimer les peines capitales (1770) ; Mémoire sur les moyens d’indemniser un accusé reconnu innocent (1782, in-8o) ; Vues patriotiques sur l’éducation du peuple (Lyon, 1783) ; De l’éducation des collèges (1784) ; Géographie de la France (1796) ; Dictionnaire des homonymes (1799) ; Manuel épistolaire (1804) ; Choix de chansons (1810) ; Dictionnaire des poètes français (1805) ; Dictionnaire des rimes (Lyon, 1805) ; Grammaire des gens du monde (1807) ; Dictionnaire de la langue française (1809), etc. On lui doit une édition de la Petite encyclopédie poétique (1804-1809, 15 vol. in-18) et une édition des Lettres de la duchesse du Maine,


PHILIPPAR (François-Aken), agronome français, né à Peuving (Autriche) en 1801, d’un père français. Il s’occupa de bonne heure d’agronomie et alla visiter en 1829 l’Angleterre, pour y étudier les méthodes employées. M. Philippar est devenu successivement, depuis lors, professeur de botanique et d’art forestier à l’école de Grignon, puis à l’école normale de Versailles et directeur du jardin des plantes de cette dernière ville (1841). M. Philippar est secrétaire perpétuel de la Société agricole de Seine-et-Oise, dont il est un des fondateurs. Indépendamment d’un grand nombre d’articles, de notices et de mémoires publiés dans le Cultivateur, les Annales de la Société d’horticulture, les Annales de Grignon, etc., on lui doit : Voyage agronomique en Angleterre (1830, in-8o) ; Catalogue des végétaux ligneux et herbacés cultivés à Grignon (1837, in-8o) ; Traité organographique sur les maladies des céréales (1838, in-8o) ; Catalogue des végétaux du jardin de Versailles (1841, in-8o) ; Programme raisonné d’un cours de culture (1840, in-8o) ; Études forestières (1843, in-8o), etc.


PHILIPPE s. m. (fi-li-pe). Numism. Monnaie frappée par Philippe, roi de Macédoine, père d’Alexandre le Grand. || Nom donné anciennement à toutes les pièces d’or. || Ancienne monnaie d’Espagne.

— Encycl. Numism. Le philippe avait pour types : à l’avers, tantôt une tête d’Apollon ou de Jupiter laurée ; tantôt une tête imberbe nue ou laurée ; tantôt, enfin, une tête de Proserpine accompagnée de deux poissons ; au revers, une figure dans un bige ou un cavalier tenant une palme, avec la légende philippou, de Philippe, sous-entendu nomisma, monnaie. Il y avait des philippes d’argent et des philippes d’or ; mais ceux de ce dernier métal furent frappés en si grande quantité et jouirent d’une vogue si considérable que, pendant longtemps, on se servit du mot philippos, en latin philippus, pour désigner une pièce d’or, quel que fût le peuple ou le souverain qui l’eût émise. On en fit aussi de nombreuses imitations dans plusieurs pays, notamment dans la Gaule.


PHILIPPE (SAINT-), en esp. San-Felipe, ville d’Espagne. V. Jativa.


PHILIPPE (SAINT-), une des îles du Cap-Vert. V. FOGO.


PHILIPPE Ier, roi de Macédoine. Il vivait au IXe siècle av. J.-C. Ce prince, fils d’Argée, est regardé par Hérodote comme le fondateur de la monarchie macédonienne. D’après Eusèbe, il régna trente-huit ans ; mais rien n’est moins certain, l’existence de ce roi appartenant à la période antéhistorique. Il eut pour successeur son fils Æropus.


PHILIPPE II, roi de Macédoine, père d’Alexandre le Grand, né l’an 382 av. J.-C-, assassiné en 336. C’est à lui que la Macédoine dut sa grandeur, fondée, comme on le sait, sur l’asservissement de la Grèce. Au reste, les circonstances le servirent autant que son génie et ses perfidies. La démocratie antique n’avait pu trouver sa forme et elle allait périr. Comme organisation politique, elle n’avait su que constituer la cité et n’avait pu s’élever à une unité d’ordre supérieur. Athènes, Sparte, Thèbes avaient tour à tour et sans succès tenté de rapprocher par les armes, sous leur domination, les éléments divers de la nationalité hellénique. Tous les Grecs qui avaient subi la forme de la cité ayant échoué dans leurs efforts pour organiser une nouvelle association en rapport avec l’instinct général et le besoin de la civilisation, il y avait place pour une puissance nouvelle qui allait arriver et faire l’unité au profit du despotisme. Longtemps obscure, livrée à d’horribles luttes intérieures, toujours en guerre avec la barbarie thrace et illyrienne, à laquelle elle confinait, étrangère aux progrès qui s’étaient accomplis, la Macédoine apparaissait à la Grèce à peu près comme la Moscovie à l’Europe avant le XVIIIe siècle. On la mettait sur la même ligne que les nations sauvages avec lesquelles elle était en échange régulier d’invasions, de victoires et de défaites. Son histoire, avant Philippe, est pleine d’assassinats, de guerres civiles, d’usurpations, comme l’histoire russe. Philippe, de la race royale de Macédoine, avait été, dans sa jeunesse, amené comme otage à Thèbes, où il s’initia à la civilisation grecque, à la politique et à la guerre, auprès d’Epaminondas. Vers 330, il s’échappa et retourna en Macédoine et, à la mort de son frère Perdiccas, s’empara du pouvoir, comme tuteur de son neveu Amyntas, et bientôt après de la couronne, que lui disputèrent en vain deux compétiteurs. Mettant à profit l’éducation grecque qu’il avait reçue, il réorganisa le gouvernement, l’armée, créa ou perfectionna la célèbre phalange macédonienne, qui valut tant de succès à sa patrie, poursuivit la lutte périodique de la Macédoine contre la barbarie thrace et illyrienne, à laquelle elle confinait, et recula les bornes de ses États jusqu’au Strymon à l’est et jusqu’au lac Lichnitis à l’ouest. Commençant dès lors à développer ses plans d’agrandissement, il s’empara successivement des villes grecques qui l’empêchaient d’arriver jusqu’à la mer, Amphipolis, Pydna, Polidée, colonies athéniennes, enfin Crénides, qu’il nomma Philippes, et dont les mines d’or lui facilitèrent l’accomplissement de l’oracle de Delphes qui lui avait dit : « Sers-toi d’armes d’argent, et rien ne te résistera. » Il s’assura ainsi dans toute la Grèce des créatures dévouées, des orateurs dont l’éloquence vénale lui fit un parti puissant et prépara les voies à son ambition (356). La corruption fut, en effet, pour lui un instrument non moins décisif que la force des armes, et il n’estimait pas de forteresse imprenable quand un mulet chargé d’or pouvait y monter (v. mulet), phrase pittoresque et originale qui revient souvent sous la plume des écrivains, quand ils veulent exprimer avec énergie la puissance irrésistible de l’or. Convoitant l’empire de la Grèce, il s’avançait par toutes les voies possibles, par la ruse, par la force, par la corruption ; profitant habilement des divisions (que lui-même suscitait), des luttes intestines, des rivalités d’États et de cités, il s’avançait vers son but avec une persévérante obstination. Au reste, la Grèce énervée sentait sa dissolution prochaine. Soit lassitude, amour du repos ou lâcheté, les peuples n’opposaient pas de résistance sérieuse à ce conquérant barbare dont la politique profonde savait frapper des coups décisifs. « Hélas ! disait l’Athénien Démade, nous ne gouvernons plus la patrie, mais les naufrages de la patrie ! » Un homme osa lutter cependant ; ce fut le grand Démosthène, l’immortel orateur athénien. Le premier, il pénétra la politique de Philippe, dénonça ses empiétements successifs, essaya de galvaniser ses concitoyens amollis et ne recueillit le plus souvent que l’indifférence. Il n’en continua pas moins ce duel grandiose d’un seul homme contre les événements et la fatalité. Seul avec son génie, son patriotisme et son énergie, il entreprit de sauver la Grèce. Mais des calamités toujours nouvelles étaient les seules réponses que le destin fit à son argumentation et à ses efforts. Cependant Philippe, profitant des troubles de la guerre sacrée, s’empara de Méthone, où il eut l’œil droit crevé par la flèche de l’archer Aster, d’Imbros, de Lemnos, intervint dans les troubles de la Thessalie, tenta de franchir les Thermopyles, mais fut arrêté par les Athéniens. Forcé de reculer, il continua d’agiter la Grèce par ses corruptions et ses intrigues, reprit l’offensive en 352, s’empara d’Apollonie (350), de Stagyre et enfin d’Olynthe, vainement secouru par Athènes (348). Puis il se fit appeler par les Béotiens pour terminer la première guerre sacrée, pendant qu’il trompait les Athéniens par des traités captieux ; maître des Thermopyles, il se fait admettre au conseil amphictyonique (où les Grecs seuls avaient été jusqu’alors admis), se fait donner l’intendance du temple de Delphes, la présidence des Jeux Pythiques et devient en quelque sorte l’arbitre de la Grèce (315). Malgré la paix conclue, il continuait ses intrigues et ses usurpations dans l’Eubée (que le parti aristocratique lui avait livrée), dans le Péloponèse, dans la Chersonèse, etc., pendant que l’infatigable Démosthène armait Athènes et soulevait toutes les villes de la Grèce contre lui. Menacé par cette ligue formidable (338), Philippe fut sauvé par l’orateur athénien Eschine, qui lui était vendu et qui détermina le conseil amphictyonique à le nommer généralissime de la deuxième guerre sacrée contre les Locriens. Philippe vole en Locride, abandonne le prétexte de la guerre sacrée, s’empare d’Elatée et marche sur l’Attique. Les Athéniens, unis aux Thébains, tentèrent en vain de l’arrêter : la décisive victoire de Chéronée le rendit maître de la Grèce. Puis, comme s’il voulait se faire pardonner sa domination et dorer d’un rayon de gloire la servitude des Grecs, il reprit le projet, ébauché par Cimon et Agésilas, d’une grande expédition nationale contre les Perses, convoqua une diète à Corinthe et se fit nommer généralissime de toutes les forces helléniques. Mais, au milieu de ses préparatifs et au moment de réaliser ses vastes desseins, il fut poignardé par un de ses officiers, Pausanias (336), victime d’un outrage impuni, ou peut-être poussé au meurtre par Olympias, épouse répudiée de Philippe. Il laissait à son fils Alexandre un royaume qu’il avait pour ainsi dire créé, une armée formidable, des trésors, enfin tous les éléments de la grandeur, avec l’exécution d’une entreprise populaire et qui seule peut-être pouvait faire accepter aux Grecs à peine soumis cette domination semi-barbare et si nouvelle pour leur orgueil national. « En vingt-trois ans de règne, dit Mérimée, Philippe avait agrandi et plus que doublé son royaume. Chez ses voisins barbares, qui lui avaient d’abord donné tant d’occupation, de même que chez les Grecs, toute idée de résistance avait disparu. Au nord comme au midi, il ne voyait plus que des peuples découragés et presque résignés à leur abaissement. Les Athéniens, qui avaient un moment joint leurs armes à celles des Thébains, les avaient déposées humblement aussitôt après la défaite de Chéronée et s’efforçaient, par la promptitude de leur soumission, de faire oublier leurs velléités belliqueuses. Philippe avait des troupes nombreuses, aguerries et fidèles ; ses finances étaient en bon état ; il était maître, d’ailleurs, de puiser dans le trésor des villes qu’il avait vaincues, et leur marine était à sa disposition... Les prodigieuses conquêtes d’Alexandre et la fortune toujours fidèle à ses armes ont éclipsé la gloire de Philippe, et la postérité éblouie a refusé d’attribuer au père la part considérable qui lui appartient dans les succès du fils. C’est Philippe qui avait organisé l’armée macédonienne, qui l’avait disciplinée, aguerrie. Les revers assez fréquents qu’il éprouva dans ses expéditions prouvent combien sa tâche avait été difficile, et sa promptitude à réparer ses pertes et à trouver des ressources nouvelles dans ses désastres montre l’énergie de son caractère et la puissance de son génie. » Philippe, grand capitaine et profond politique, avait, malgré son éducation hellénique, tous les vices des barbares, une intempérance devenue proverbiale, la ruse, la perfidie et la cruauté. Toutefois, Plutarque, Elien, Sénèque et plusieurs autres auteurs ont recueilli sur ce prince des paroles et des actions qui prouvent qu’il était loin d’être étranger aux sentiments justes et généreux. Un esclave était chargé de lui dire chaque matin, à son réveil : « Philippe, souviens-toi que tu es mortel. » Ses courtisans lui conseillaient de bannir un homme qui disait du mal de lui : « Bon, bon, répondit-il, pour qu’il aille en médire partout. » On l’excitait à chasser de sa cour un philosophe qui avait la hardiesse de lui adresser des reproches : « Prenons garde, répondit-il, si nous ne lui en avons point donné sujet. » Quand il apprenait qu’un de ses ennemis était dans la gêne, il lui faisait porter des secours et disait