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prévenant, affable, et toute sa figure annonçait les qualités de son âme. Il ne cessa d’être uni à son frère par la plus étroite amitié, i

BOULOGNE, petite rivière de France, prend sa source au nord de la forêt des Essarts, près du village des Baraques, arrond. de Napoléon-Vendée (Vendée), baigne Boulogne, Grand-Luc, Roche-Servière, entre dans le département de la Loire-Inférieure et tombe dans le lac de Grand-Lieu, près de Saint-Philibert, après un cours de 60 kilom. ; navigable sur 8 kilom.

BOULOGNE, bourg de France (Haute-Garonne), cb, -]. de cant., arrond. et à 25 kilom. N.-O.de Saint-Gaudens ; pop. aggl. 1,268 hab.

— pop. tôt. 2,003 hab. Commerce de grains, châtaignes, fil de lin, clouterie ; belle église du xiv» siècle, restaurée sous François Ier.

BOCLOGNE-SUR-MER, ville maritime de France (Pas-de-Calais), ch.-l. d’arrond. et de cant., sur la Manche, à l’embouchure de la Liane, kilo kilom. N.-O.d’Arras, à210kilom. N.-O. de Paris, et à 272 kilom. par le chemin de fer du Nord ; pop. aggl. 35,349 hab. — pop. tôt. 36,265 hab. L’arrond, de Boulogne comprend 6 cantons, 101 communes, 132,038 hab. Tribunaux de ire instance et de commerce, collège communal, écoles navale et d’hydrographie, musée, jardin botanique très-riche, théâtre, bibliothèque de 32,000 volumes ; bel établissementde bains de mer ; place de guerre de 2c classe ; port de mer d’un accès difficile, formé de deux larges bassins, où l’on arme pour les voyages de long cours, le grand et le petit cabotage, et pour la pêche de la morue. Le mouvement de la navigation de ce port, en 1861, se résume par les chiffres suivants : & l’entrée, 1,696 navires à voiles ou à vapeur ; à la sortie, 11,712 navires ; ensemble, 510,167 tonneaux. En outre, c’est le port du continent le plus fréquemment choisi par les voyageurs qui vont de France en Angleterre, et vice versa ; le nombre des passagers s’élève annuellement à 100,000. Fabriques de grès et de faïence, raffineries de sel et de sucre, verreries, tuileries, scieries, filatures de lin, hauts fourneaux et fonderies de fonte ; fabriques de plumes métalliques, ciment, etc. ; élève de chevaux. Le commerce consiste principalement en genièvre, thé, vins, eaux-devie, dentelles, toiles fines, bois et chanvre du Nord, etc.

Boulogne, construite sur la pente d’un monticule qui domine la rive droite de la Liane, est divisée en deux parties : la basse et la haute ville. Celle-ci, qui domine le monticule, propre, mais mal bâtie, est environnée de remparts flanqués de tours rondes et plantés d’arbres qui forment de charmantes promenades ; un château fort couronne cette

partie de la ville. Au pied de la haute ville, s’étend la ville basse, bien construite, percée de rues régulières et bordées de trottoirs. C’est la partie de Boulogne la plus commerçante et la plus peuplée ; trois ponts y traversent la Liane et réunissent la ville à son faubourg de Capécure, où s’élèvent les vastes constructions du chemin de fer. Parmi les édifices remarquables de Boulogne, nous citerons : l’bôtel de ville, construit en 1734, restaure en 1854, et que domine un beffroi de 47 mètres, monument du xue siècle ; le château fort construit en 1231 ; l’église Saint-Joseph ; l’ancien palais épiscopal, occupé par le maréchal Ney, a l’époque du camp de Boulogne j la nouvelle église Notre-Dame, construction moderne, qui a remplacé l’ancienne église où une image miraculeuse de la Vierge attirait de nombreux pèlerins ; la colonne Napoléon, fondée en 1804, pour consacrer le souvenir de la première distribution des croix de la Légion d’honneur, et terminée sous le règne de Louis-Philippe. Enfin, sur le sommet de la falaise qui domine le port, on voit les ruines de la tour d’Ordre, bâtie.en l’an 40, par l’empereur Caligula. On cite encore le château, sorte de citadelle de forme octogone, entourée de fossés et située à l’est des remparts de la ville. Il fut bâti en 1251 par Simon de Villiers, d’après les ordres de Philippe Hurepel, comte de Boulogne. On admire sa porte d’entrée flanquée de deux tours, et surtout la construction d’un de ses souterrains, que viennent visiter tous les archéologues. Ce souterrain était le dépôt d’armes et de munitions du château ; plus tard, il devint une prison militaire. Ce château a pris surtout une importance historique depuis que le prince Louis-Napoléon, aujourd’hui empereur, y fut enfermé en 1840.

La fondation de Boulogne date du 1e siècle de l’ère chrétienne. Caligula, ayant fait construire un phare dans le fort Bononia, situé sur cette côte, près de l’embouchure de l’Elna (la Liane), attira sur ces points les habitants de Gesoriacum, bourg qui existait non loin de là, et fonda ainsi au pied du fort Bononia la ville actuelle. Cette cité, qui devint plus tard la capitale du Boulonais, soutint plusieurs sièges, et plusieurs fois fut prise et saccagée. Constance Chlore s’en empara en 292 sur Carausius, qui s’en était rendu maître ; en 888, les Normands, l’ayant emportée d’assaut, passèrent tous les habitants au fil de l’épée, et démolirent les édifices et les remparts ; mais en 912 elle fut rebâtie, et résista, en 1347, à tous les efforts d’Édouard 111, roi d’Angleterre. Sous Henri VIII, malgré l’héroïque résistance de son maire Eurvin, elle tomba au pouvoir des Anglais en 1544 ; elle fut rachetée peu après par Henri II, fils de Fran BOUL

çois 1er, et prise encore en 1553 par Chartes-Quint. Cette ville présente plusieurs autres souvenirs historiques. C’est près de Boulogne que César prépara son embarquement pour la Grande-Bretagne, et que Napoléon Ier avait projeté le sien. Enfin, c’est à Boulogne qu’en 1840, le prince Louis-Napoléon tenta le coup de main qui le conduisit prisonnier au fort de Haro. Patrie deDaunou et de M. Sainte-Beuve. La ville de Boulogne, avec le territoire qui en dépendait, avait autrefois le titre de comté. Ce comté, au ixe siècle, appartenait aux comtes de Flandre, et donna son nom à une branche de cette famille, dont est sorti, entre autres, Godefroy de Bouillon, roi de Jérusalem. La ligne mâle de cette branche s’éteignit vers le milieu du xne siècle, en la personne d’Eustache III, frère de Godefroy de Bouillon, lequel ne laissa qu’une fille, Mathilde, mariée à Étienne de Blois, plus tard roi d’Angleterre. Les deux fils d’Étienne étant morts sans postérité, le comté de Boulogne passa à leur sœur Marie, qui avait épousé Mathieu de Flandre, dont elle eut, entre autres, une fille, Ide, mariée en troisièmes noces à Renaud de Dammartin. De ce troisième mariage vint une fille, Mahaud, comtesse de Boulogne, mariée en 1216 à Philippe, fils de Philippe-Auguste et d’Agnès de Méranie, dont il ne vint qu’une fille, Jeanne de Boulogne, mariée à Gaucher de Chàtillon, morte sans postérité en 1251. Le comté de Boulogne revint alors à la postérité de Mahaud, seconde fille de Mathieu de Flandre et de Marie de Boulogne, c’est-à-dire à la maison de Brabant, dont un des représentants le céda, en 1267, à son cousin Robert VI, comte d’Auvergne, moyennant 40,000 livres. De la maison d’Auvergne, il passa dans la maison de Bourgogne, par le mariage de Jeanne comtesse d’Auvergne et de Boulogne, avec Philippe, duc de Bourgogne, au milieu du xive siècle. Jeanne, petite-tille des deux précédents, légua les deux comtés d’Auvergne et de Boulogne à Marie de Montgascon ; mais à sa mort, en 1422, le duc de Bourgogne, Philippe le Bon, s’empara du comté de Boulogne, et fit sanctionner cette usurpation par le traité d’Arras en 1435. D’abord restitué à la maison de La Tour-d’Auvergne par Louis XI, après la mort de Charles le Téméraire, il, fut définitivement réuni à la couronne en 1478, après dédommagement au comte d’Auvergne.

Boulogne (camp de). Les esprits légers ou prévenus, qui n’ont vu qu’une extravagance dans le hardi projet du pTemier consul d’opérer une descente en Angleterre, ne se sont pas rendu compte des incalculables ressources que ce prodigieux génie puisait en lui-même. Sans doute, ïentreprise était périlleuse ; mais lorsqu’on analyse froidement l’immensité des moyens mis en œuvre pour la

faire réussir, la profondeur et la variété des prévisions calculées par le vainqueur de Marengo, l’esprit demeure confondu d’étonnement et ne voit plus que la possibilité, la certitude du succès. Au reste, ce qui le prouve mieux que tous les raisonnements, c’est l’épouvante portée à Londres par la nouvelle de la formation du camp de Boulogne ; ce sont les énormes sacrifices que s’imposa alors l’Angleterre pour conjurer l’orage qui s’amoncelait en face de ses côtes, et pour le rejeter sur le continent.

Devant la mauvaise foi et les exigences arrogantes de l’Angleterre, Bonaparte, désespérant d’amener cette nation à une paix honorable pour les deux pays, résolut de 1 y contraindre par la force des armes, non plus en frappant ses alliés, mais directement, en portant la guerre sur son propre sol. Il savait que, du moment où il aurait mis le pied sur la terre ferme, l’Angleterre était à lui ; mais il fallait y transporter plus de 120,000 soldats, et nous n’avions que quelques vaisseaux en mauvais état, des équipages inexpérimentés et des officiers découragés d’avance, à la seule pensée d’avoir à se mesurer contre le redoutable Nelson. En ennemie prévoyante, l’Angleterre avait ar’dernent saisi l’occasion de l’affaire de Quiberon, pour y envoyer à une mort certaine l’élite de nos officiers maritimes du régna de Louis XVI. On n’improvise pas 50 vaisseaux de ligne en quelques mois ; il fallut donc revenir à un autre mode de transport. À la voix puissante de Bonaparte, près de 2,000 chaloupes canonnières sortirent des chantiers et de toutes les rivières affluentes sur les côtes septentrionales de France, de Belgique et de Hollande. De plus, une flottille hollandaise, commandée par le brave amiral Verhuell, se préparait à sortir de l’Escaut pour se joindre a la flottille française. La rade de Boulogne fut assignée comme lieu de réunion ; sur les côtes voisines se pressèrent les intrépides bataillons qui avaient vaincu l’Allemagne et l’Italie. Chaque jour les soldats étaient exercés à manœuvrer les chaloupes canonnières ; chaque jour ils s’habituaient à y combattre, à s’y embarquer avec célérité, a en sortir avec vitesse. L’Angleterre s’alarma bientôt de l’immense armement qui menaçait ses côtes, et elle trahit toute l’étendue de sa frayeur en confiant à Nelson lui-même le soin de détruire la flottille française, en même temps qu’elle hérissait ses côtes de redoutes, de retranchements et d’innombrables batteries.

Le 9 septembre 1801, Nelson se présenta devant Boulogne avec 30 bâtiments de guerre de toutes grandeurs. Une division de la flottille était mouillée à 1,000 mètres de l’entrée du port ; Nelson la fit aussitôt couvrir de

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bombes et de boulets ; mais cette avant-garde résista vaillamment, et, après un feu terrible, mais qui ne nous causa aucun dommage, l’amiral anglais s’éloigna avec l’humiliation de n’avoir même pu forcer cette division à rentrer dans le port ; mais il jura, furieux, de revenir bientôt et de détruire de fond en comble l’armement français. Il reparut en effet quelques jours après (14 septembre), avec des renforts et de nouvelles munitions, accompagné d’un grand nombre de frégates, de péniches, de bricks et de- chaloupes canonnières. Le brave amiral Latouche-Tréville, qui commandait la flottille, se prépara à recevoir résolument l’attaque terrible, imminente, dont il était menacé. Au milieu de la nuit, un feu effroyable commença sur les vaisseaux anglais ; leurs bâtiments légers s’approchèrent et leurs plus intrépides marins s’élancèrent à l’abordage ; niais ils furent tous tués, blessés ou faits prisonniers. La résistance fut héroïque. Nelson, ayant voulu exécuter sa manœuvre favorite, donna à l’une de ses divisions l’ordre de tourner le front de notre ligne, en passant entre celle-ci et la côte ; mais la division anglaise se trouva foudroyée par les batteries de terre et le feu des chaloupes. L’intrépide capitaine l’évrieux, qui commandait la canonnière l’Etna, fut assailli à. la fois par six péniches anglaises et les mit en fuite, après avoir tué de sa main plusieurs matelots. Reconnaissant l’impossibilité de forcer la ligne française, Nelson donna une seconde fois l’ordre dé battre en retraite, l’âme profondément blessée du double échec qu’il venait d’essuyer, tandis que nos marins et nos soldats se sentaient tout joyeux et tout tiers d’avoir tenu tête au plus grand homme de mer de l’Angleterre.

Après la rupture de la paix d’Amiens, les événements intérieurs absorbèrent toute l’attention du premier consul. La conspiration de Georges Cadoudal, le procès qui s’ensuivit et d’autres incidents politiques remplirent tout l’hiver de 1803 à 1804, et suspendirent la grande entreprise commencée contre l’Angleterre ; mais Bonaparte n’en perdit pas un instant la pensée. Les expériences continuelles que l’on faisait à Boulogne, les améliorations successives qu’on apportait à chaque partie du matériel, 1 attestaient suffisamment. L’exécution était arrêtée pour le milieu de l’été 1804. Tout ce qui concernait les bateaux plats était achevé ; mais la flottille batave se faisait encore attendre, et les escadres de Brest et de Toulon, dont le concours à l’entreprise était jugé indispensable, n’avaient pas complété leur armement. Quelquefois Bonaparte, quittant inopinément la capitale, accourait à Boulogne, et imprimait par sa présence un nouvel élan aux travaux. Un jour, il se rit conduire sur une péniche dans la rade ; une frégate anglaise avait ouvert un feu très-vif sur les chaloupes et sur la côte. Il remarque que les bombes d’une batterie voisine sont loin d’atteindre l’ennemi. Aussitôt il met pied à terre, et, se rappelant son « métier d’artilleur, » il s’approche de cette batterie, calcule la distance et ordonne une augmentation de charge. Le bombardier hésite, craignant que le mortier ne yole en éclats ; Bonaparte voit son inquiétude ; il pointe alors lui-même la pièce, saisit la mèche enflammée et l’approche de la lumière. Le coup part, et la bombe va s’abattre sur le grand mât de la frégate anglaise, qu’elle fait voler en éclats.

L’amiral Verhuell, stimulant le zèle do ses équipages et changeant en confiance l’incrédulité qu’avait d’abord éveillée dans l’esprit de ses marins un si gigantesque projet, achevait enfin, au printemps de 1804, de concentrer ses bâtiments à Ostende, Dunkerque et Calais, après avoir livré aux Anglais de brillants combats entre Ostende et l’Escaut. L’expédition était merveilleusement préparéo ; les marins, les soldats étaient remplis d’enthousiasme. Cependant le chef qui allait exercer le commandement suprême sur la flottille n’était pas encore nommé, et c’était la plus grande préoccupation de l’empereur (le premier consul venait de prendre la couronne). Il avait alors à Brest une flotte de 18 vaisseaux, qui allait bientôt s’élever à 21, une autre de 5 a Rochefort, une de 5 au Ferrol, 1 vaisseau en relâche à Cadix, enfin 8 vaisseaux à Toulon, qui allaient être portés a 10. Au moyen de ces forces diverses, il fallait contenir l’amiral anglais Cornwallis, qui bloquait Brest avec 15 ou 18 vaisseaux, et Rochefort avec 4 ou 5 ; une division anglaise qui bloquait le Ferrol ; enfin Nelson, avec son escadre, qui croisait aux Iles d’Hyères pour observer Toulon. La pensée de Napoléon était de dérober une de ses flottes, et de la porter par une marche imprévue dans la Manche, afin d’y être, pendant quelques jours, supérieur aux Anglais. En conséquence, il imagina de confier la flotte de Toulon au plus hardi de ses amiraux, à Latouche-Tréville, qui, avec 10 vaisseaux et

quelques frégates, devait agir de manière à inspirer à Nelson la crainte d’une nouvelle expédition d’Égypte, l’attirer à sa suite vers la Sicile, se diriger vers le détroit de Gibraltar, puis s’enfoncer dans le golfe de Gascogne, afin d’y rallier la division française de Rochefort, et enfin profiter du premier souffle de vent favorable pour se porter dans la Manche, en passant entre la croisière anglaise qui

fardait les avenues de l’Irlande, et la flotte e l’amiral Cornwallis qui bloquait Brest. Tout fut calculé pour que cette opération pût être exécutée en juillet, ou au plus tard au mois

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d’août. L’amiral Ganteaume, dont l’empereur connaissait le dévouement, fut nommé au commandement de l’escadre de Brest, destinée a jeter des troupes en Irlande. Villeneuve commandait à Rochefort, et Gourdon au Ferrol. Ces divers amiraux, excités, électrisès pur la volonté puissante de l’empereur, pressaient les travaux et les armements avec une infatigable activité, afin d’être prêts à concourir, dans la mesure de leur commandement, -au vaste projet qui allait enfin recevoir son exécution. Toutes ces dispositions avaient été admirablement concertées, et Napoléon en avait conçu le plus légitime espoir. Il écrivait à Latouche-Tréville, en lui envoyant la croix de grand officier de la Légion d’honneur : « Soyons maîtres du détroit six heures seulement, et nous sommes maîtres du monde. »

Il partit alors pour Boulogne, afin d’y inspecter la flottille, les forts, les ouvrages qu’il avait ordonnés, les campements, et d’assister aux expériences de tir. Les deux armées de terre et de mer l’accueillirent avec enthousiasme, et saluèrent sa présence par des acclamations unanimes. «Neuf cents coups de canon tirés par les forts et la ligne d’embossage, lit retentissant de Calais jusqu’à. Douvres, apprirent nux Anglais la présence de l’homme qui, depuis dix-huit mois, troublait si profondément la sécurité accoutumée de leur île. » Il alla voir manœuvrer, à portée de canon de l’escadre anglaise, plusieurs divisions de la flottille, dont l’amiral Bruix, qui venait d’en être nommé commandant en chef, vantait sans cesse les progrès. En se retrouvant avec ces grenadiers, dont il avait tant de fois éprouvé le courage, il sentit redoubler sa confiance, et ne douta plus d’aller bientôt conquérir à Londres le sceptre de la terre et des mers.

Cependant, on était arrivé aux premiers jouis du mois d’août, et Napoléon reconnut qu’il ne pouvait être entièrement prêt qu’au mois de septembre. En attendant, il voulut donner à l’armée une grande fête, propre à électriser davantage encore les troupes, en distribuant lui-même les premières décorations do la Légion d’honneur, qui venait d’être instituée. Cette cérémonie, célébrée le jour anniversaire de sa naissance, au bord do l’Océan et en présence des escadres anglaises, offrit un spectacle magnifique, dont les contemporains ont gardé un long souvenir. Au

centre d’un immense amphithéâtre, calculé do manière à pouvoir y placer toute 1 armée, fut élevé un trône pour 1 empereur ; à droite et à gauche, des gradins avaient été disposés pour recevoir les grands dignitaires, les ministres", les maréchaux. En face, s’étendaient 100,000 hommes, presque tous vétérans de la République, qui, les yeux fixés sur Napoléon, attendaient le prix de leurs exploits. Les croix, par une noble et héroïque allusion, étaient déposées dans les casques et les boucliers de Duguesclin et de Bayard, et les officiers ainsi que les soldats appelés à les recevoir, sortis des rangs, s’étaient avancés jusqu’au pied du trône impérial. Napoléon, debout, leur lut la formule si belle du serment de la Légion d’honneur, puis tous ensemble, au bruit des fanfares et des détonations do l’artillerie, levèrent la main en disant : Nous LU jurons !...

Ces scènes grandioses, dont Napoléon possédait à un si haut degré le magique instinct, ne s’effacent jamais de l’esprit de ceux qui en ont été les témoins. La presse britannique, injurieuse et arrogante, se raillait de Napoléon, de ses préparatifs et de tout cet appareil militaire ; mais, sous ses plaisanteries forcées, 011 entendait les éclats de rire convulsifs du railleur tremblant de ce dont il paraît rire. L’agitation était extrême en Angleterre, l’inquiétude profonde et universelle. Toutes les iorces anglaises de l’intérieur se bornaient a. 170,000 soldats et à 150,000 volontaires, dispersés en Angleterre et en Irlande, sur tous les points du rivage où le danger pouvait se faire craindre. Qu eussent-ils fait, même deux fois plus nombreux, contre les 150,000 Français, soldats accomplis, que Napoléon pouvait jeter de l’autre côté du détroit et concentrer en une seule masse 1 Aussi restait - il assez indifférent devant ces préparatifs militaires, qui le faisaient sourire beaucoup plus sincèrement que les chaloupes ne faisaient rire les journalistes anglais. La seule force réelle de l’Angleterre consistait dans sa formidable marine ; mais celle-ci était dispersée sur toutes les mers, et, dans l’incertitude où était l’Amirauté des véritables projets de Napoléon, elle ne pouvait nulle part se concentrer assez rapidement pour les faire avorter.

C’est sur ces entrefaites que le brave et infortuné Latouche-Tréville, dévoré par une sourde maladie, succomba le 20 août dans le port de Toulon, à la veille de mettre à la voile. Cette triste circonstance ajournait forcément l’expédition. Napoléon s’adressa aussitôt au ministre de la marine, Decrès, pour qu’il eût à lui proposer un amiral capable de succéder au commandement de Tréville. Entraîné par un sentiment d’ancienne amitié, le ministre mit en avant Villeneuve, dont le nom est resté attaché à une si malheureuse célébrité. Cet amiral avait de l’esprit, de la bravoure, la connaissance pratique de son état ; mais il était dépourvu de toute fermeté de caractère. Marin intrépide, prêt a affronter tous les périls, il laissait paralyser toutes les ressources de son esprit par une double faiblesse : l’appréhension qu’excitait en lui la responsabilité du commaudementet cette idée fatale d’infériorité