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qui ne sert qu’à engendrer la démoralisation, Le coup d’œil pénétrant de Napoléon l’avait bien jugé ; mais les protestations rassurantes du ministre firent un instant évanouir ses inquiétudes. Cependant ses préventions devaient bientôt se justifier. L empereur avait modifié son plan, en ce sens que les amiraux Missiessy et Villeneuve devaient sortir de Rochefort et de Toulon, afin d’entraîner les Anglais à leur poursuite dans les mers d’Amérique, pour permettre à Ganteaume d’aller jeter 15,000 hommes sur les côtes d’Irlande, puis de revenir dans la Manche protéger le départ delà flottille. Missiessy accomplit sa mission ; mais Villeneuve, après quelques avaries, rentra dans le port de Toulon, profondément découragé par cet essai infructueux. Bientôt une perte nouvelle, celle de l’amiral Bruix, si remarquable par son caractère, son expérience et la portée de son esprit, vint porter un dernier coup au succès futur de l’expédition ; il ne restait plus que des hommes dévoués, mais incapables d’élever l’énergie de leur volonté à la hauteur des projets de Napoléon. L’empereur songea un moment à diriger l’expédition sur l’Inde, pensant qu’enlever ce vaste empire aux Anglais serait un résultat magnifique, qui pourrait le consoler de l’ajournement de ses desseins directs sur l’Angleterre. Néanmoins, l’entreprise de Boulogne l’emporta ; le plan fut arrêté dès les premiers jours de mars (1805), et les ordres expédiés en conséquence. Ils consistaient encore à attirer les Anglais dans les Indes et les Antilles, où l’escadre de l’amiral Missiessy éveillait déjà leurs inquiétudes, puis à revenir brusquement dans les mers d’Europe, avec une réunion de forces supérieure à toute flotte anglaise. L’amiral Villeneuve devait partir au premier vent favorable, passer le détroit, toucher à Cadix, y rallier l’amiral espagnol Gravina avec son escadre, puis voguer vers la Martinique, se joindre à Missiessy et attendre Ganteaume, qui avait ordre de profiter du premier coup de vent d’équinoxe qui écarterait les Anglais, pour sortir de Brest avec 21 vaisseaux. Cette réunion générale présenterait une force énorme de 50 à 60 vaisseaux, dont la concentration no s’était jamais vue dans aucun-temps et sur aucune mer. Cette combinaison gigantesque s’appuyait néanmoins sur des prévisions si profondément calculées, que le ministre Decrès lui - même convenait qu’elle offrait les plus grandes chances de succès. Les flottes, devant partir sur la (in de mars, employer le mois d’avril à se rendre à la Martinique, le mois de mai à se réunir, le mois de juin à revenir, se trouveraient dans la Manche vers les premiers jours de juillet. Pendant ce temps, Napoléon se rendait en Italie pour y passer des revues, donner des fêtes, cacher ses projets sous les apparences d’une vie somptueuse ; puis, au moment fixé, il partirait secrètement en poste, se rendrait en cinq jours de Milan à Boulogne, et, tandis qu’on le croirait encore4iu delà des Alpes, il frapperait sur l’Angleterre le coup dont il la menaçait depuis si longtemps.

Ce projéi grandiose échoua par la fatalité des circonstances. L’amiral Villeneuve, après avoir réussi à sortir de Toulon, avait rallié à Cadix la division espagnole de Gravina et s’était dirigé vers la Martinique ; mais, par un hasard presque inouï dans la saison, Ganteaume, qui devait le rejoindre, n’avait pu trouver un seul jour pour sortir de Brest. Il ne s’était jamais vu, de mémoire d’homme, que l’équinoxe ne se fût point manifesté par quelque coup de vent. Il fallut donc que Napoléon modifiât encore une fois son plan. Villeneuve reçut l’ordre de revenir eu Europe avec Gravina, de débloquer le Ferrol où il devait trouver 12 vaisseaux, de rallier à Kochefort Missiessy, probablement revenu des Antilles, de se présenter devant Brest pour ouvrir la mer à Ganteaume, ce qui porterait à 56 vaisseaux la somme totale de ses forces, et enfin d’entrer dans la Manche avec cette escadre, la plus formidable qui eût jamais paru sur l’Océan. Cette fois encore, la fortune se refusa impitoyablement à la réalisation de ce dessein ; mais ce ne fut plus la faute des circonstances : c’est Villeneuve seul qui, par ses irrésolutions, disons le mot, par sa pusillanimité, fit avorter la grande expédition. En remontant vers le Ferrol, le 22 juillet 1805, il rencontra l’amiral anglais Calder, qui s’avançait à la tête de 15 vaisseaux pour lui barrer le chemin. Villeneuve, qui avait 20 vaisseaux, lui livra bataille et le força à la retraite. Ce succès aurait dû ranimer son courage ; mais comme, en se retirant, les Anglais avaient emmené 2 vaisseaux, il se crut déshonoré et tomba dans un état d’abattement voisin du désespoir, tandis que tous ses équipages étaient remplis d’ardeur. À la Corogne, où il se rendit ensuite, il trouva les ordres pressants de Napoléon et des paroles encourageantes, au lieu du blâme sévère qu’il redoutait ; mais rien ne put relever son énergie. Sans cesse poursuivi par le fantôme menaçant de Nelson, il ne songea qu’à l’éviter. Il n’avait cependant rien à craindre pour sa réputation et sa responsabilité en accomplissant sa mission, car Napoléon ne cessait de lui écrire : ■ Faites-vous battre, même détruire, pourvu que, par vos efforts, la porte de Brest s’ouvre a la flotte de Ganteaume. » C’est du 15 au 20 août que l’empereur fut en proie à la plus vive attente. Des signaux préparés sur les points les plus élevés de la côte devaient lui apprendre si la flotta française apparaissait à l’horizon. Toutes les

troupes étaient embarquées, avec les chevaux, l’artillerie et tout le matériel. On n’attendait plus que Villeneuve pour lever l’ancre. Que faisait alors ce malheureux amiral ? Tandis que Napoléon était dévoré d’impatience sur la plage de Boulogne, il avait fait voile vers Cadix, tournant ainsi le dos au but de sa mission, qui était de débloquer Brest.

11 est impossible de se figurer à quelles explosions de colère se livra Napoléon, lorsquil lui fallut renoncer à l’espoir de voir arriver sa flotte dans le détroit. Il n’avait plus que quelques jours devant lui pour opérer sa descente en Angleterre, soit à cause de la saison, qui allait devenir moins favorable, soit parce qu’une troisième coalition, nouée par l’Angleterre, allait l’appeler sur le continent, où il entendait déjà gronder sourdement l’orage. « Il se livra, dit M. Thiers, à une longue diatribe sur la faiblesse, sur l’incapacité de tout ce qui l’entourait, se dit trahi par la lâcheté des hommes, déplora la ruine du plan le plus beau, le plus sur qu’il eût conçu de sa vie, et montra dans toute son amertume la douleur du génie abandonné par la fortune. Tout à coup, révenu de cet emportement, il se calma d’une manière soudaine, et, reportant son esprit avec une surprenante facilité de ces routes fermées de l’Océan vers les routes ouvertes du continent, il dicta pendant plusieurs heures de suite, avec une présence d’esprit, une précision de détail extraordinaires, le plan de l’immortelle campagne de 1805. Il n’y avait plus trace d’irritation ni dans sa voix ni sur son visage. Chez lui, les grandes conceptions de l’esprit avaient dissipé les douleurs de l’âme. Au lieu d’attaquer l’Angleterre par la voie directe, il allait la combattre par la longue et sinueuse route du continent, et il allait trouver sur cette route une incomparable grandeur, avant d’y trouver sa ruine. »

Boulogne (afkaire de), nom sous lequel on désigne ordinairement la seconde tentative armée du prince Louis Bonaparte pour renverser le gouvernement de Louis-Philippe. L’échec de Strasbourg ne l’avait point découragé ; soit iliie, suivant le précepte de son auteur favori, Machiavel, il fut décidé atout entreprendre plutôt que de se laisser oublier, soit que ceux qui l’entouraient cherchassent à entretenir ses espérances, soit enfin que l’indulgence avec laquelle l’avait traité le gouvernement qu’il avait attaqué l’eût rendu plus téméraire, il résolut de recommencer au nord l’entreprise hardie qui avait avorté k l’est. Réfugié en Angleterre, il suivait d’un regard anxieux la marche des événements qui se déroulaient en Europe ; il voyait la France, que l’on représentait comme avilie, parce qu’elle refusait de se jeter dans les aventures, s’agiter toute frémissante en face des hautains mépris de l’Angleterre. Par une imprudence sans exemple, les ministres de Louis-Philippe venaient de réveiller les traditions impériales en décidant la translation des cendres de Napoléon aux Invalides et l’envoi du duc de Joinville à Sainte-Hélène. Toutefois, le prince s’exagérait singulièrement ses chances de succès ; il était loin d’avoir pour lui !a bourgeoisie, qui règle ses opinions sur les fluctuations de son comptoir, et qui, par conséquent, est toujours hostile aux changements politiques ; il comptait sur l’armée, qui ne le connaissait point et que la discipline enchaînait au drapeau ; et il négligeait la seule classe ou vivaient encore dans toute leur puissance les souvenirs de l’empire, c’est-à-dire le peuple : il l’a bien reconnu depuis. Il était entré en communication avec les chefs du parti républicain ; mais ceux-ci avnient bien vite reconnu que, si l’auteur des Idées napoléoniennes les acceptait comme auxiliaires, il n’entendait nullement identifier sa cause et ses principes avec les leurs. M. Degeorge, rédacteur du Progrès du Pasde-Calais, eut à Londres, avec !e prince, une entrevue où les deux programmes furent nettement expliqués. Le journaliste démocrate, voyant que la cause qu’il défendait n’avait rien à gagner à une substitution de gouvernement, termina la conversation par ces paroles : « Puisqu’il en est ainsi, nous vous recevrons à coups de fusil. » Le prince sourit, lui serra affectueusement la main et lui exprima le regret de n’avoir pu s’entendre avec la démocratie.

Il faut croire, cependant, qu’il avait un plus grand nombre d’afridés, et que la conspiration avait de plus fortes racines que le procès ne l’a révélé. Il est certain que le général Duchant, Commandant de Vincennes, avait promis de livrer le fort confié à sa garde ; le général Magnan, commandant de la division du Nord, figurait de son côté sur la liste des fidèles impérialistes, et l’on est en droit de supposer que les régiments formant sa division avaient été travaillés ; car, aussitôt après l’événement, ils furent disséminés dans les garnisons du Midi. Enfin, le colonel Hu.tson, qui commandait le 42e régiment de ligne, en garnison à Calais, avait promis de se réunir avec ses soldats aux conjurés, dès que ceux-ci auraient opéré leur débarquement. De Boulogne, on se porterait rapidement sur Calais, puis sur Lille ; on marcherait sur la capitale avec toute la division du Nord, tandis que les adhérents de Paris s’empareraient à l’improviste des Tuileries.

Il y avait dans ces calculs une apparence de justesse bien capable d’enflammer d’impatientes ardeurs, sans parler d’autres motifs qui devaient encourager le prince et lui faire précipiter sa tentative. Ainsi, après s’être vu, pour ainsi dire, dédaigné des hnmnvs officiels, il en avait été subitement recherché, presque courtisé. Après avoir follement défié la France, les hommes d’État anglais n’étaient pas fâchés de créer dei embarras à son gouvernement. Ainsi lord Melbourne avait reçu le prince en audience ; lord Palmerston lui avait fait une secrète visite, dans laquelle il lui laissa peut-être entrevoir des espérances que sa haine pour Louis-Philippe le poussait à faire miroiter aux yeux d’un prétendant, mais qu’il ne songeait guère à réaliser. Des promesses, soit ; mais des effets, c’est autre chose. Il y a loin de la coupe aux lèvres ; on croirait que ce proverbe a été fait à l’usage de* hommes d’État en général, et des hommes d’État anglais en particulier. Enfin, le bruit courait dans le monde diplomatique que M. de Brunow, l’ambassadeur de Russie, avait fait aussi sa visite d’encouragement. Certes, ni le ministère anglais ni l’ambassadeur de Nicolas ne désiraient une restauration napoléonienne ; muis on trouvait ce moyen excellent pour distraire les esprits de la question d’Orient, détourner les colères de Louis-Philippe et affaiblir son gouvernement en y jetant do nouvelles inquiétudes. Toutefois, eu n’est point de ce côté que l’affaire se révèle sous son aspect le plus original, à en croire, du moins, certains historiens. Ceux-ci affirment que le gouvernement fiançais lui-même aurait, par 1 intermédiaire d’agents secrets, agi sur le prince pour le pousser à l’entreprise, afin de pouvoir mettre la main sur un compétiteur dangereux. M. Thiers lui-même aurait prêté la main à cette intrigue ; mais ceci est loin d’être prouvé. Il paraît cependant que l’ambassadeur français à Londres était instruit de tout ; qu’il recevait les déclarations les plus exactes et les plus détaillées, sans même avoir à les payer. « Je n’ai pas besoin d’argent, écrivait-il ; les révélations viennent me trouver. » Mais si le gouvernement français eut vent de l’entreprise, il était bien mal renseigné sur l’époque et le lieu du débarquement ; car il ne prit aucune précaution pour y parer, et les résistances que rencontra le prince Louis furent instantanées, individuelles ; rien n’était prévu, aucun ordre n’avait été donné. Si donc on peut croire que le prince fut, sans le savoir, l’instrument de la diplomatie étrangère, rien ne montre que les ministres de Louis-Philippe l’aient fait tomber dans un piège, comme on les en a accusés.

Le premier noyau des conjurés se composa naturellement du personnel qui avait déjà figuré k Strasbourg. Parmi les nouveaux, un des plus actifs fut M. Forestier, commis négociant, qui, en 1839, était entré en relation avec M. Fialin de Persigny. Plein de zèle et d’enthousiasme pour la cause napoléonienne, il distribuait à Paris des brochures bonapartistes dans les casernes, les cabarets ; échauffait les anciens souvenirs chez les vieux mi-Jitaires, surveillait tous les détails, ne négligeait aucun préparatif. Ce fut lui qui acheta les uniformes que les conjurés endossèrent au moment du débarquement. Un autre affilié, M. Aladenize, lieutenant au 42e régiment de ligne, détaché en garnison àSaint-Omer, faisait de la propagande impérialiste avec autant d’activité et de dévouement. À Lille, l’homme le plus important du complot était M. Le Duff de Mésonan, ancien chef d’escadron d’étatmajor mis à la retraite en 1838, et qui nourrissait d’aigres ressentiments contre le gouvernement de Louis Philippe. Ce fut dans

cette ville qu’il se rencontra plusieurs fois avec la général Magnan, qu’il gagna à la cause du prince Louis Bonaparte. Les conjurés crurent alors que l’heure d’agir avait sonné. Il y avait néanmoins des dissentiments parmi eux : les rédacteurs du Capitale, journal impérialiste, et tous ceux qui suivaient en France le cours des événements voulaient qu’on ajournât l’exécution du complot à la mort de Louis-Philippe, ou tout au moins à une brouille complète de M. Thiers avec la dynastie ; m-iis à Londres on était impatient, et l’on résolut de courir les risques d’une solution immédiate. Ce fut la côte de Boulogne que l’on choisit comme lieu de débarquement, tant à cause de la proximité que parce qu’on s’y reliait directement avec la division du Nord au moyen de la garnison, formée du 42<-’ de ligne, régiment auquel, comme nous l’avons dit, appartenait le lieutenant Aladenize. Arrivés à Boulogne, les conjurés devaient enlever le détachement du 42e, se porter sur la ville haute, s’emparer du château, contenant cinq mille fusils ; appeler le peuple aux armes, puis se porter rapidement sur les grandes places du Nord, ou l’on comptait sur de puissantes intelligences.

Dans le courant de juillet (1840), le prince

lit affréter un bâti ment à vapeur, YEdinburghCastle, appartenant à la compagnie des paquebots à vapeur de Londres, affrètement qui eut lieu par l’intermédiaire de M. Nupello, négociant de la Cité, totalement étranger à la conspiration. Le 4 août, les armes, les munitions, les bagages furent transportés à

bord, et, le 5 au matin, le prince s’embarqua avec ses compagnons. Quand on se fut éloigné des côtes, le prince donna ses instructions, distribua des armes et annonça que le moment de l’exécution était arrivé. On revêtit les uniformes, on chargea les armes, et chacun se tint prêt pour le débarquement, qui

eut lieu vers quatre heures du matin sur la côte de "Wimereux, à une lieue environ do Boulogne. Le prince avait aussi apporté un aigle vivant, dressé à tourner en cercle autour de lui ; on a dit qu’il obtenait ce résultat en plaçant tout bonnement un morceau de lard sous son chapeau. Les bonapartistes comptaient beaucoup sur cet aigle apprivoisé pour émerveiller les masses : c’était se fier un peu trop à la bêtise humaine. Quatre hommes seulement, parmi lesquels se trouvait lé lieutenant Aladenize, les attendaient sur la plage. À peine débarqués, les conjurés virent accourir une brigade de douaniers qui, ne pouvant se rendre compte de ce rassemblement, ne savaient s’ils avaient devant eux des contrebandiers ou des naufragés. Environnés de toutes parts, ils durent se joindre au cortège, malgré la résistance de leur chef, . qui alléguait la fatigue. « 11 n’y a pas de fatigue qui tienne, s’écria M. de Mésonan, il fuit marcher. » Et on les entraîna jusqu’à la ville. Les conjurés s’avançaient autour d’un drapeau tricolore, surmonté d’une aigle, et sur lequel étaient inscrites les grandes victoires de l’empire. Lorsqu’ils furent arrivés au poste de la Grande-Rue, composé de quelques soldats du 42* commandés par le sergent Morange, M. de Mésonan et le lieutenant Aladenize s’avancèrent vers les soldats, qui avaient pris les armes à la vue de cette étrange troupe, et essayèrent inutilement de les faire entrer dans le mouvement. Ce triste début ne les découragea point, et ils se portèrent vers la caserne du 42e. Il était cinq heures du matin, et les officiers n’étaient pas encore arrivés. Aladenize pénètre dans la caserne, fait lever les soldats, les range en bataille, leur annonce que Louis-Philippe a cessé de régner et les exhorte à reconnaître le neveu de l’empereur. En ce moment, le prince pénètre dans les cours avec son cortège ; Aladenize le présente aux soldats, qui commencent à se laisser ébranler, et des cris de Vice l’empereur ! se font entendre. Mais la scène change brusquement de face. Le capitaine Col-Puygellier et les sous-lieutenants de Moussion et Ragon, qui ont été prévenus, accourent pour maintenir les soldats dans le devoir. Alors eut lieu une scène tumultueuse. Le capitaine Col-Puygellier avait mis l’épée k la main ; les conjurés s’emparent aussitôt de son bras. Cependant il oppose une résistance opiniâtre et éclate en reproches contre ceux qui le retiennent. Sa voix est couverte par les cris de Vioe te prince Louis/ « Où est-il donc ? s’écrie-t-il alors. — Me voilà, capitaine, répond la prince en s’avançant ; soyez des nôtres, et vous aurez tout ce que vous voudrez. — Prince Louis ou non, reprend l’intrépide capitaine, je ne vous connais pas ; je ne vois en vous qu’un conspirateur... Qu’on évacue la caserne I » En s’exprimant ainsi, il continuait ses efforts pour se dégager, tout en criant avec force : « Assassinez-moi, mais je ferai mon devoir. » Enfin, le» éclats de cette lutte bruyante ont éveillé l’attention de deux compagnies du 420 ; tes sous-officiers accourent et arrachent Col - Puygellier aux conjurés, qui font un mouvement en arrière. Bientôt ils" reviennent en rangs serrés, lu prince Louis en tête ; c’est une tentative suprême et désespérée. Le capitaine Col-Puygellier s’avance au-devaut de lui, le somme de se retirer et le menace, en cas de refus, de faire usage de la force. C’est alors que le prince Louis, levant sur l’héroïque capitaine un pistolet armé, l’ajusta précipitamment ; Col-Puygellier se détourna, et la balle atteignit un grenadier on pleine figure.

Les conjurés n’avaient pas prévu une résistance aussi opiniâtre et surtout un échec au premier poste qu’ils essayeraient d’enlever ; ce coup de pistolet devint le signnl de leur retraite. Les principaux compagnons du prince, jugeant l’entreprise avortée, le supplièrent de gagner le bateau à vapeur qui. l’attendait en rade. Il le pouvait presque sans obstacle ; mais il avait encore quelque esp’oir et il insista pour marcher sur la ville haute. Le sous-préfet, averti à son tour, accourait seul au-devant des conjurés ; il lus somma de se séparer et, pour toute réponse, reçut dans la poitrine un coup de l’aigle qui surmontait le drapeau. Il s’éloigne précipitamment et fait battre le rappel dans les rues, tandis que le maire ordonne au capitaine du port de s’emparer du paquebot. Les conjurés arrivent cependant aux portes de la ville haute ; mais ils les trouvent fermées et s’efforcent en vain de les briser à coups de hache. Ils se dirigent alors vers la culonne élevée à la mémoire de la grande armée. Lombard, qui portait le drapeau, veut aller le planter sur le sommet ; mais bientôt la force armée arrive de toutes parts, grenadiers du 42e, gardes nationaux et citoyens. Toute résistance devient inutile ; le prince est obligé de mettre bas les armes et de se rendre avec ceux qui l’entouraient ; le reste se disperse et fuit dans toutes les directions, à l’exception de Lombard, qui fut pris dans l’intérieur même de la colonne.

Les fugitifs, arrivés à la côte, ne trouvèrent ni leur bâtiment ni aucune embarcation ; ils se jetèrent alors sur un bateau de sauvetage, après s’être débarrassés de leurs armes, et s’efforcèrent de le pousser au large. Des coups de fusil partirent en ce moment des rangs de la garde nationale : le colonel Voisin fut blessé, le sous-intendântFaure fut tué, et le poids de son corps, dans sa chute, fit chavirer le frêle esquif, qui jeta dans la mer.