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il est permis de supposer le contraire, d’après l’antipathie qui s’attacha dans la suite au nom et à la doctrine de Paul.

C’est après le conflit d’Antioche que les judéo-chrétiens organisèrent contre le paulinisme une véritable contre-mission ; de tous les côtés on essaya de paralyser ses efforts et de ramener à l’Evangile des judaïsants ceux que les prédications de l’Apôtre des gentils avaient gagnés. Partout on lança sur ses pas des hommes qui le décriaient dans les Eglises qu’il avait fondées, et, s’appuyant sur des lettres de recommandation émanées probablement des apôtres de Jérusalem, imposaient aux fidèles, comme condition de salut, la circoncision, et, en général, l’observation des prescriptions de la loi mosaïque. La lutte, commencée en Achaïe, se poursuivit à Corinthe, et, malgré toute l’activité et tout le zèle de Paul, il semble que le parti de Pierre l’emporta au moins dans cette dernière ville. Quand Paul revint à Jérusalem, il fut reçu par les judéo-chrétiens comme un apostat et l’exaltation fut si vive qu’on dut l’arrêter pour le soustraire à la populace. A sa mort, le judéo-christianisme demeura victorieux. Cependant, une tendance conciliatrice entre les deux partis se fit jour peu à peu : le livre des Actes en est une preuve ; mais Paul fut longtemps l’objet d’une sorte de défaveur. Quand le christianisme s’étendit et que le nombre de ses sectateurs se fut accru, les judéo-chrétiens, à leur tour, furent d’abord tolérés, puis condamnés comme hérétiques sous le nom d’ébionites et de nazaréens. Ils s’éteignirent dans les sectes obscures des cœlicoles et des hypsistariens.

JUDEX (Matthieu), théologien protestant, né à Dippolswald (Misnie) en 1528 suivant Bayle, en 1518 suivant la Biographie universelle, mort à Rostock en 1564. Il fit ses études à Dresde, à. Wittemberg et à Magdebourg, où il arriva « couvert de gale et sans argent. » Il dut chanter de porte en porte afin d’obtenir quelques secours ; mais il ne tarda pas à être placé comme précepteur chez un avocat, qui l’envoya avec son fils à Wittemberg, en 1546. Il prit son grade de maître ès arts dans cette université et retourna à Magdebourg, où il fut nommé professeur et prédicateur de l’église de Saint-Ulrich. En 1560, il fut appelé comme professeur de théologie à l’université d’Iéna. Ses opinions théologiques lui firent des ennemis qui le dépouillèrent de sa place ; il se retira d’abord à Magdebourg, puis à Wismar ; élu, deux ans après, pasteur à Rostock, il tomba malade et mourut en arrivant à son nouveau poste. « Ce fut, dit Bayle, un homme de bonnes mœurs, laborieux, zélé, docte et qui composa beaucoup de livres. » On a de lui : De typographiæ inventione et de prætorum légitima inspectione libellus brevis et utilis (Copenhague, 1566, in-8º), ouvrage très-rare, recueilli par Wolff dans les Monumenta typographiæ (t. Ier, p. 72-170). Judex prit une large part à la composition des deux premières centuries de Magdebourg. Il était musicien, s’entendait fort bien en mathématiques, connaissait passablement l’astrologie et composait des vers en latin et en grec.

JUDICA s. m. (ju-di-ka). Liturg. Nom donné au dimanche de la Passion, à cause du premier mot de l’introït qu’on chante à la messe du jour : Judica me, Domine, etc.

JUDICAËL Ier, roi de Bretagne, mort en 658. Dépouillé de l’héritage de son père, Joël III, par son frère Salomon ou Gazlun II, il se retira dans le monastère de Gael. A la mort de Solomon, vers 632, les populations de l’Armorique appelèrent à leur tête Judicaël, qui quitta le cloître et prit le titre de roi. D’après dom Bouquet, il eut, en 636, une entrevue avec saint Eloi, que lui avait envoyé Dagobert pour demander réparation des ravages causés par les Bretons sur les terres de France. Deux ans plus tard, ce roi abdiqua en faveur de son fais Alaüs II et alla terminer sa vie dans un couvent.

JUDICAËL II, comte de Rennes, mort en 907. Il succéda à son père Guiraud en 877, entra a maintes reprises en hostilité avec Alaüs III, comte de Vannes, et finit par s’allier avec lui pour combattre les Normands qui ravageaient la Bretagne. Les Normands furent vaincus, mais Judicaël perdit la vie en les poursuivant.

JUDICANDE s. m. (ju-di-kan-de — du lat. judicandus, devant être jugé). Gramm. Sujet de la proposition, selon Domergue.

JUDICAT s. m. (ju-di-ka — du lat. judicatus, jugé). Gramm. Attribut de la proposition, selon Domergue.

JUDICATEUR s. m. (ju-di-ka-teur — du lat. judicare, juger). Gramm. Selon Domergue, Verbe substantif être, mot qui exprime le jugement.

JUDICATIF, IVE adj. (ju-di-ka-tiff, i-ve — du lat. judicatus, jugé). Gramm. S’est dit quelquefois pour indicatif : Mode judicatif. L’inflexion judicative indigue que l’union ou la non-union des deux idées que nous présentons est l’objet d’un jugement, cest-à-dire d’une décision ou d’une opinion. (Michel.)

JUDICATION s. f. (ju-di-ka-si-on — lat. judicatio ; de judicare, juger). Philos. Action de former un jugement. || Peu usité.

JUDICATOIRE s. m. (ju-di-ka-toi-re — du lat. judicare, juger). Pratiq. anc. Jugement. || Objet décidé par jugement. || Ce qui met à même de prononcer un jugement.

JUDICATUM SOLVI loc. adj. Cu-di-katomm-sol-vi — du lat. judicatum, chose jugée ; solvi, être payé). Jurispr. Usité seulement dans l’expression Caution judicaium solvi, Caution exigée d’un étranger qui plaide en France contre un Français, pour assurer le payement des frais, dans le cas où l’étranger serait condamné à les payer.

JUDICATURE s. f. (ju-di-ka-tu-re — du lat. judicaturus, devant juger). Condition et profession des personnes chargées de rendre la justice : Exercer la judicature. La judicature est une espèce de sacerdoce où il n’est pas permis de s’engager sans l’ordre du ciel. (Fléch.) La judicature était anciennement l’aristocratie du peuple. (De Rémusat.) || Juridiction, tribunal.: En Angleterre, la cour des lords est la suprême judicature du pays. (Ledru-Rollin.)

— Hist. Dignité de juge chez les Hébreux. || Pouvoir souverain des juges : La judicature finit après Samuel.

JUDICIAIRE adj. (ju-di-si-è-re — du lat. judicium, jugement). Qui a rapport à l’administration de la justice : Autorité judiciaire. Pouvoir judiciaire. Formes judiciaires. Toutes les pages de notre histoire sont ensanglantées, ou par des massacres religieux, ou par des assassinats judiciaires. (Mme  de Staël.) Il n’y a de nations politiquement libres que celles qui participent sans relâche et au pouvoir législatif et au pouvoir judiciaire. (Royer-Collard.) Les statistiques judiciaires constatent que ce sont surtout les illettrés qui alimentent nos échafauds. (L. Jourdan). || Fait par autorité de justice : Enquête judiciaire. Vente judiciaire. Poursuites judiciaires. Condamnation judiciaire.

Acte judiciaire, Acte fait en présence du juge et sous sa surveillance.

— Coût. anc. Bail judiciaire, Bail fait à la poursuite du commissaire aux saisies réelles, lorsqu’un héritage était saisi réellement. || Fermier judiciaire, Celui qui prenait à ferme un pareil héritage.

— Hist. Combat judiciaire, Combat entre les parties d’un procès criminel, pour faire décider par la victoire d’un des deux champions de la justice de sa cause : L’usage des combats judiciaires devint plus fréquent sous la troisième race. (Montesq.)

— Philos. Qui a rapport au jugement, à la faculté de juger : Pour avoir commencé tard à mettre en exercice ma faculté judiciaire, je n’ai pas trouvé qu’elle eût perdu sa vigueur. (J.-J. Rouss.)

— Rhétor. Se dit d’un genre d’éloquence, de littérature, qui a pour but l’attaque et la défense : Les mémoires de Beaumarchais resteront comme le chef-d’œuvre de la littérature judiciaire. (Lerminier.)

— Astrol. Astrologie judiciaire, Partie de l’astrologie qui avait pour but de connaître l’avenir par l’étude des positions relatives des astres : L’astrologie judiciaire est un charlatanisme très-ridicule. (Volt.) Les chinois ont toujours joint les erreurs de l’astrologie judiciaire aux vraies connaissances célestes. (Volt.)

— s. f. Jugement, faculté intellectuelle de juger : L’habitude de plaider alternativement le pour et le contre, le faux et le vrai, fausse leur judiciaire. (Cormen.)

Encycl. Rhét. Eloquence judiciaire ou Eloquence du barreau. Au mot barreau, nous n’avons fait que toucher en passant à la question dont nous allons présenter ici les développements, et que nous n’avions envisagée que sous le côté historique et pour ainsi dire personnel. Notre objectif était l’avocat même ; nous allons maintenant étudier le genre d’éloquence auquel l’institution du barreau a donné naissance.

Sous le nom d’éloquence judiciaire ou du barreau on comprend, non-seulement les plaidoyers défensifs, mais aussi les plaidoyers oifensifs et les actes d’accusation, les mémoires, les consultations, les mercuriales, les harangues d’ouverture ou d’installation, en un mot tous les discours prononcés par les magistrats et par les avocats.

L’usage d’emprunter la voix d’un homme plus instruit que soi-même pour la défense de ses intérêts remonte à la plus haute antiquité, et à dû s’établir dès que la raison et la justice ont pu se faire entendre. Mais cette institution, si respectable qu’elle soit, est entachée d’un vice originel qui a engendré tous les défauts que l’on reproche à l’éloquence judiciaire. Si le plaideur était son propre interprète, son avocat, il exposerait les faits avec une simplicité et un accent de conviction qui produiraient beaucoup plus d’effet que les phrases aussi creuses que sonores que débite souvent un avocat, obligé de s’émouvoir par procuration. Aussi ce dernier a-t-il besoin, pour remplir son office avec bienséance, avec force et dignité, d’un tact exquis et d’un rare talent, et quand ces qualités lui font défaut, il ne sait plus mettre à la place de la véritable éloquence qu’une déclamation factice, ridicule par l’abus de l’esprit et la pompe exagérée du style, quand elle ne devient point coupable par ses artifices ou ses excès.

Aussi, pourrait-on douter qu’il y ait une véritable éloquence judiciaire, car la première condition de l’orateur est cette intime conviction de la vérité et du droit que ne comporte pas toujours la défense des intérêts privés. Il est malheureusement trop certain qu’on n’entend souvent au barreau qu’un langage de convention, qu’on n’y constate qu’une ardeur et un entraînement artificiels, une inspiration qui n’a point sa source dans une conviction profonde, mais dans un sentiment passager d’amour-propre dont la satisfaction se propose le gain d’une cause. Cicéron ne craint pas de dire, en parlant de ses plaidoyers : Errat vehementer, si quis in orationibus nostris, quas in judiciis habuimus, auctoritates nostras consignatas se habere arbitratur. Omnes enim illæ orationes causarum et temporum sunt, non hominum ipsorum ac patronorum. Et c’est encore Cicéron qui nous apprend « qu’Antoine n’écrivait pas ses discours, afin que, si on venait lui opposer ses propres paroles, il pût à son tour les nier. » Certes, lorsqu’un homme ne croit lui-même ni à l’autorité de ses paroles ni à la vérité de ses pensées, il nous semble bien difficile que l’éloquence jaillisse de ses lèvres, si l’éloquence vient avant tout du cœur, comme l’a dit Quintilien : Pectus est quod disertos facit ; et cela justifierait jusqu’à un certain point les préventions qu’a rencontrées de tout temps l’éloquence judiciaire. Heureusement elle ne se meut pas toujours dans ce cercle étroit ; parfois, souvent même son horizon s’agrandit, ses inspirations s’éveillent d’elles-mêmes, son génie s’élève et s’enflamme : c’est lorsque les droits de la justice et de la morale, ouvertement menacés, permettent à l’avocat de s’identifier avec sa cause elle-même, qui devient alors celle de l’humanité ; c’est lorsque le faible est près de succomber sous l’oppression du fort ; c’est lorsqu’il s’agit d’arracher un innocent, que les apparences accusent, à l’ignominie d’une condamnation injuste ; c’est encore lorsque l’avocat dévoue son talent à la démonstration d’une grande et fatale erreur, comme lorsque Loyseau de Mauléon plaide pour la réhabilitation de la mémoire de Calas, et le comte de Lally-Tollendal pour celle de son malheureux père. Dans ces circonstances, et bien d’autres encore, la conviction qui remplit l’âme de l’avocat éclate à chacune de ses paroles et passe irrésistiblement dans l’esprit dss juges. Cette conviction, l’avocat lui-même la reçoit de son client. Un jour, Dêmosthène fut visité par un Athénien qui lui demanda le secours de sa voix puissante pour obtenir justice du peuple. L’illustre orateur refusa d’abord de croire à la vérité de sa plainte, à cause du ton incertain, presque indifférent de cet homme. Celui-ci aussitôt de s’écrier, et alors, son émotion imprimant à son discours un air de sincérité, de candeur qui n’appartient qu’à la vérité, Démosthène se chargea de sa cause et la gagna. C’est qu’en effet le sentiment du droit prête au langage une puissance merveilleuse, et c’est pourquoi l’avocat qui est connu pour ne dévouer son talent qu’à la défense des causes justes et des intérêts légitimes exerce dans le monde une espèce de sacerdoce ; sa voix retentit comme celle d’un oracle dans le sanctuaire de la justice.

La première qualité de l’éloquence judiciaire est de se présenter sous une forme claire et précise, de se distinguer par la propriété des expressions, qualités qui s’allient merveilleusement à une argumentation serrée et vigoureuse. Dans un sujet aride, l’imagination peut se permettre quelques mouvements, quelques appels même à la passion, mais cette liberté exige la plus grande réserve.

En Grèce, pays de libre parole, l’éloquence judiciaire remonte aux siècles les plus reculés, et l’on en trouve l’indication évidente chez Homère. Mais il faut venir jusqu’au siècle de Périclès, et dans la ville d’Athènes, pour en étudier le développement. Périclès lui-même défendit plusieurs personnages, entre autres Aspasie. De son temps, ou du moins peu après lui, Critias, Cléon, Aristophron et d’autres encore se présentèrent devant les tribunaux, soit pour défendre, soit pour accuser. Antiphon fut le premier qui se rit payer par ses clients et qui vendit des discours. Isocrate, qui vint après lui, était d’une timidité telle qu’il ne put parler ni sur l’agora ni devant les juges ; il écrivait ses plaidoyers et les faisait prononcer par d’autres citoyens. On sait que les leçons de cet orateur, non moins que ses écrits, exercèrent une grande influence sur les progrès du style et de la composition oratoire. Isée, le maître de Démosthène, se distingua par la vigueur de son argumentation et la gravité de son langage ; Lysias, par la grâce des détails, par la délicatesse et l’harmonie du langage ; Lycurgue, par la simplicité et la véhémence. Hypéride écrivit des discours pour ceux qui ne savaient pas les composer eux-mêmes. Cependant, il porta plusieurs fois la parole devant les tribunaux, et la manière dont il défendit Phryné est restée justement célèbre.

Au nombre des plus illustres orateurs grecs dans le genre judiciaire se place Eschine, si connu par sa lutte contre Démosthène ; mais celui-ci, qui fut le plus grand orateur politique de la Grèce, surpassa aussi tous ses rivaux dans l’éloquence judiciaire. C’est même dans ce genre qu’il débuta, en plaidant contre ses tuteurs. Son fameux Discours sur la couronne, que les juges les plus lubiles s’accordent à regarder comme le chef-d’œuvre de l’art oratoire, est tout aussi bien un plaidoyer pour sa propre défense qu’une harangue politique.

Après Démosthène et l’envahissement de la Grèce par les souverains de la Macédoine, l’éloquence judiciaire, comme l’éloquence politique, fut loin d’atteindre la même hauteur que dans les siècles de liberté, et, à partir de Démétrius de Phalère, les œuvres qu’elle a pu produire, et qui ne nous sont point parvenues, n’ont guère éveillé l’enthousiasme de l’antiquité.

Chez les Romains, les lois, connues d’abord seulement des patriciens, et écrites en formules secrètes, ne permirent pas, dans les premiers siècles, le développement de l’éloquence judiciaire. Cependant le greffier Flavius ayant révélé les formules et les divers sens qu’y attachaient les jurisconsultes, on vit un plébéien devenu grand pontife, Tiberius Coruncanius, inaugurer l’usage des consultations publiques.

Les orateurs ne tardèrent pas à se multiplier au barreau. Les patrons se faisaient un point d’honneur de défendre leurs clients. L’art oratoire compta des hommes remarquables, parmi lesquels nous devons citer Cornélius Scipion, Cornélius Cethegus, et surtout Cafon. Alors les Grecs Carniade, Aristolaüs et Diogène vinrent faire admirer à Rome la facilité et l’éclat de leur parole. L’imitation de l’éloquence grecque s’allia ensuite au génie romain et souvent le domina. De cette alliance naquirent un grand nombre d’orateurs, dont les plus illustres furent Crassus, Cotta, Hortensius, et enfin le plus grand de tous, Cicéron, qui laissa si loin derrière lui ses prédécesseurs, et dont les plaidoyers, au point de vue judiciaire, redoutent à peine la comparaison avec ceux de Démosthène. Les orateurs qui vinrent après Cicéron restèrent bien loin de son talent. Nous citerons néanmoins Messala, Pollion, Domitius Afer, Maternus, Tacite et Pline le Jeune.

Si de Rome nous passons en Gaule, nous y trouvons de célèbres écoles d’éloquence à Lyon, à Marseille, à Arles, à Autun, à Bordeaux ; mais ces écoles, ainsi que les orateurs qui en sortaient, disparurent sous l’invasion des barbares.

Il faut arriver jusqu’à Philippe le Bel pour voir renaître le barreau ; malheureusement les traditions de l’art oratoire ne se retrouvèrent pas chez les avocats. Les érudits peuvent s’en convaincre en parcourant les œuvres plus ou moins informes de Jean Charlier de Gerson, de l’abbé de Saint-Fiacre, de Juvénal des Ursins, de Pierre Lizet, du sire de Vieilleville, de Pierre Pithou, d’Etienne Pasquier, d’Anne Robert, de Louis Servin, de Claude Tapilly, de Gaultier, de Sébastien Rouillard, etc. Les hommes de goût ne trouveront à cette époque rien qui soit digne de fixer leurs regards en fait d’éloquence judiciaire. Diffus et interminables dans leurs discours, même au temps de la Renaissance, les avocats se faisaient gloire de surcharger leurs plaidoyers d’une érudition déplacée et de citations souvent ridicules, empruntées aux auteurs anciens. Cette manie grotesque de mettre en scène Hector, Annibal, Scipion, Léonidas, Fabricius, Achille, e tutti quanti, à propos d’une borne, d’une haie, d’un mur mitoyen, se maintint contre toutes les attaques du bon sens et de l’esprit jusqu’au milieu du xviie siècle. Au reste, les orateurs romains de la décadence en avaient déjà donné l’exemple, et le poëte Lucilius leur avait reproché ces excursions sur le domaine historique dans une piquante épigramme : « On ma volé un cochon, une génisse, une chèvre, et, à ce sujet, je t’ai donné une petite somme, Ménéclès. Aucun démêlé ne s’est élevé entre Othryade et moi, et je n’accuse pas du larcin les héros des Thermopyles. C’est contre Eutychide que je plaide, en sorte que je ne sais ce que font ici Xerxès et les Spartiates. Mais, au nom de la loi, ne perds pas de vue mon affaire, ou je crierai bien haut : Ménéclès parle d’une façon et mon cochon d’une autre. »

C’est cette épigramme que Martial paraît avoir reproduite dans la suivante, traduite ainsi par Laharpe :

On m’a volé ; j’en demande raison
A mon voisin, et je l’ai mis en cause
Pour trois chevreaux, et non pour autre chose.
Il ne s’agit de fer ni de poison.
Et toi, tu viens d’une voix emphatique
Parler ici de la guerre punique,
Et d’Annibal et de nos vieux héros,
Des triumvirs, de leurs combats funestes.
Eh ! laisse là ces grands mots, ces grands gestes ;
Ami, de grâce, un mot de mes chevreaux.

On n’a peut-être jamais mieux raillé ce travers ridicule que ne le fit un jour un avocat en pleine audience. Comme le défenseur de la partie adverse s’escrimait en érudition, citait Hector, Priain, Hécube, Andromaque, et le Simoïs et le Scamandre, il arrêta le savant orateur sur ce dernier mot, et, avec le plus beau sang-froid : « Je ferai observer à la cour, dit-il, que ma partie ne s’appelle pas Scamandre, mais bien Michaux. »

En dépit de toutes les épigrammes, l’érudition pédantesque se maintint au barreau, comme nous venons de le dire, jusqu’au milieu du xviie siècle, et même encore au delà, jusqu’à ce que Racine lui eût porté le dernier