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PIERRE LASSERRE

d’avoir préparé une espèce d’hommes assez finement maîtres d’eux-mêmes, pour qu’elle n’ait plus de très grands dangers à redouter de leur clairvoyance. Génératrice de l’ordre, elle fournit à présent l’aliment de hauts plaisirs intellectuels. Monté fort haut grâce à elle, l’homme prétend jouir de son ascension, affirmer le rapport où il se sent être avec l’univers. Il a acquis, au prix d’une discipline séculaire, l’aisance et la liberté des mouvements, de nobles loisirs. Sa volonté de maîtrise, sans s’affaiblir, se raffine, se tourne vers de plus vains objets. Sa propre harmonie détermine le désir de toute son intelligence et l’objet de ses activités supérieures. Il s’ingénie à trouver entre les éléments de la nature des harmonies subtiles et profondes, et à les représenter dans cette ordonnance idéale. C’est l’origine et la raison d’être de l’art, glorification de l’homme — de l’homme d’une certaine culture — temple que les maîtres d’une civilisation élèvent à leur vertu. Si indépendant que l’art tende à devenir par la suite, si séduisant qu’il se fasse par la richesse de ses perfectionnements et de son éclat propre, si tenté qu’il puisse être un jour de se diviniser lui-même — il ne doit pas oublier sa signification première, sous peine de perdre son point d’attache et sa solidité. L’homme, une certaine sorte de grandeur et de perfection humaines, voilà donc le