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LA MORALE DE NIETZSCHE

Ce sont les peuples artistes, peuples de maîtres essentiellement.

Un peuple est artiste quand son élite au moins n’a plus besoin de théologie, quand il ne lui est plus nécessaire de s’appuyer sur des autorités surnaturelles pour se rester fidèle à lui-même, quand enfin sa morale lui apparaît suffisamment justifiée par l’ordre qu’elle met en l’homme, par la logique et la perfection du type humain qu’elle a formé. Il y a donc, selon Nietzsche, au sommet de toute civilisation artiste, un certain athéisme [1]. L’amour de la perfection et de l’ordonnance pour elles-mêmes est le sentiment civilisé par excellence. Dans l’état barbare, la vertu était tendue ; elle était au prix d’une dure et vigilante contrainte, à laquelle l’imagination donnait quelque chose de sacré, mais de sombre aussi ; maintenant elle est devenue un jeu (ce qui ne signifie pas une facilité), une chose belle. La vigilance sur soi, sans se relâcher, en se faisant même plus minutieuse et plus nuancée, a perdu de sa raideur. Elle a pris des formes agiles et promptes. Elle se manifeste par le tact et le goût. Dans les époques rudes, la morale n’était que joug ; sa force était au prix d’un certain aveuglement. Mais c’est son plus beau triomphe

  1. Il est plus vrai de dire que la notion de Dieu et des choses divines, sur laquelle l’esprit de l’homme peut travailler indéfiniment, s’épure et devient plus lumineuse à mesure que la civilisation progresse.