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LA MORALE DE NIETZSCHE

déposer dans la source où elle s’alimente, dans la conscience et l’énergie des maîtres, un poison mortel qui les paralysera : le souci de l’invisible, la terreur d’être mauvais et stérile peut-être, là où on se sentait fécond, heureux et juste ! S’élever contre un ordre de grandeur et de justice terrestre qu’on ne peut souffrir (parce qu’il est une insulte sereine à l’indiscipline et à l’anarchie), non pas d’une façon sincère, pitoyable et basse, au nom de la vanité blessée—mais d’une façon doucereuse et sévère, les yeux levés au ciel, au nom d’un ordre de justice et de vérité supra-terrestres ! Et pour cela construire tout un mécanisme d’idées et de démonstrations abstraites d’où découlera la réalité d’un tel ordre et sa supériorité ! Voilà qui n’est pas petit ! Voilà bien le « génie de la destruction » et le grandiose du travestissement ! La vraie révolution des esclaves n’est pas l’œuvre de la violence, mais celle de l’esprit. À ce titre, elle ne peut se produire que dans un état de culture très avancé. Elle suppose derrière soi tout un passé de réflexion et de spéculation.