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LA MORALE DE NIETZSCHE

vengeance contre les formes ordonnées et les bonnes mœurs. Nietzsche souligne ce trait commun à la plupart d’entre eux : l’affectation de sentiments grandioses, l’impudeur à s’attribuer de sublimes émotions. Signe de natures sans mœurs et que le sentiment d’en manquer fait souffrir, enfièvre.

Dans la morale des maîtres, nous l’avons vu, les vertus exigées de l’homme se rapportent à une fin « désintéressée » éminemment, mais concrète et particulière. C’est, par exemple, à Rome, la grandeur et la pérennité de la cité romaine. Rien n’est plus étranger à cette morale que l’idée d’un Homme absolu, d’une nature humaine absolue.

Or, ceci se laisse exactement appliquer à l’art. Dans un art de civilisation — un art classique — il est aussi des mœurs, à savoir : les règles dans lesquelles l’expérience de plusieurs générations d’artistes a, non pas du tout donné les moyens de bien faire, mais fortement tracé les limites en delà desquelles on ne saurait rien produire d’excellent, de solide. Ce sont les grandes formes épiques, dramatiques ; lyriques, narratives (pour nous en tenir aux arts littéraires) qu’elle a patiemment construites, découvertes au prix de ses errements mêmes, pour l’usage de siècles plus heureux. Quand ces règles et ces formes règnent, le mérite