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PIERRE LASSERRE

d’un artiste est jugé, non selon la fidélité, mais selon l’aisance avec laquelle il les observe et les réduit au service de son génie propre. L’idée d’une « inspiration » personnelle, sortant de la nature toute armée comme une Minerve, c’est-à-dire capable de se créer par une espèce de coup divin tout un organisme de moyens d’expression adaptés et puissants, ou seulement empruntant plus à soi-même qu’à la tradition — cette idée (bien romantique, n’est-il pas vrai ?) eût paru en des temps classiques non seulement un scandale, mais une chimère.

Le fond du classicisme, c’est que, si les règles ne valent rien sans le génie, il y a cependant en elles plus de génie que dans le plus grand génie. Ce trait ne montre-t-il pas bien que l’excellence dans l’art est de même nature que l’excellence dans les mœurs ? Quand celles-ci ne correspondent plus aux âmes, tout ce qui y paraît encore de noblesse et de liberté n’est sans doute que formalisme. Et cependant il y a plus de moralité dans la tradition des mœurs que dans l’instinct individuel de la plus belle âme.

Les vrais créateurs d’art sont ceux chez qui l’esprit des grandes formes esthétiques atteint son plus haut degré de conscience et de puissance. Goethe lui-même, que l’on vit adopter successivement la forme du drame shakespearien et celle