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LA MORALE DE NIETZSCHE

tisme est, par définition, complètement désorienté à cet égard. Il en résulte qu’il visera non plus à la qualité, mais à la quantité, au maximum de l’effet. Et, s’il y atteint, ce sera fort bien. Mais il reste à savoir, dit quelque part Nietzsche, sur qui cet effet s’exerce et sur qui un artiste de ce nom doit avoir cure d’en exercer. « Pas sur la foule assurément ! Ni sur les énervés, les dégénérés, les malades ! Surtout pas sur les abrutis ! »

L’art véritable agit fortement, mais sans violence ; il a la décence dans l’enthousiasme ; il a la clairvoyance et l’équilibre dans l’ivresse ; il saisit, il terrifie, mais sans oppresser physiquement ; il a l’élan, mais sans la frénésie ; le charme caressant et voluptueux ne lui est certes pas interdit, mais il l’enveloppe de je ne sais quelle majesté brillante ; il reste clair et serein jusque dans l’orageux et le passionné, suave jusque dans le cruel. Les larmes qu’il fait couler sont des larmes du cœur. Et c’est par là qu’il est l’art. — Dans le romantisme, le délicieux devient l’aphrodisiaque, le cruel devient le hideux ; la terreur coupe la respiration, l’enthousiasme et l’ivresse tournent à l’hystérie ; on appelle noble et majestueux le mastodontal. Ce n’est pas bien admirable, dira-t-on. Il suffit de forcer la dose ! Justement ; mais cela même n’est pas à la portée de tout le monde.