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APPENDICE

est corrigée par le principe d’une hiérarchie sociale fondée sur l’inégalité des hommes. En même temps qu’harmonieuse et complaisante à l’ordonnance, la conception politique des Grecs était donc positive et conforme à la nature. Ils se représentaient la cité parfaite à l’image d’un corps humain vigoureux et beau. Ces deux sortes d’économies leur paraissaient avantageusement comparables. L’existence du corps de l’État dépendait à leurs yeux de la même condition essentielle que l’existence de l’organisme vivant : savoir, une hiérarchie de fonctions internes, égales en nécessité, mais non pas en dignité. Platon dit que, dans la république, les magistrats et les philosophes sont la tête, les guerriers le cœur, les artisans et les laboureurs le ventre. Or, si l’activité du ventre et des viscères s’emploie toute à la conservation de la vie physique, il n’en est pas de même de l’activité de la tête, organe noble, dont une bonne partie est prélevée par la pensée, l’art, la philosophie, fonctions de luxe et de loisir. Les parties viles de l’organisme travaillent donc à la fois et pour le bien-être du tout — d’où dépend le leur propre — et pour les plaisirs spéciaux des parties supérieures. À ce dévouement nécessaire les premières ne perdent rien, car, incapables de subsister et de se régler par elles seules, elles ont besoin de l’harmonie générale, laquelle serait évidemment compromise si l’organe dirigeant, sentant se tarir la source de sa nourriture, devenait