Page:Lasserre - La Morale de Nietzsche.djvu/159

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
147
APPENDICE

un goût de sang, de victimes et la manie de la justification. Pourquoi les grandes âmes, les royales intelligences, les sociétés choisies, où s’entretient la fête des délicates et belles mœurs, ne seraient-elles pas la parure d’une nation qui ne s’est pas sacrifiée, mais a trouvé son profit à les produire ? C’est encore une idée d’Aristote que le plaisir résulte d’une activité conforme à la nature, ou plutôt qu’il s’y ajoute comme à la vigueur de l’adolescence sa fleur. On pourrait dire pareillement que, dans la cité, le beau s’ajoute de lui-même à l’utile. Quand la prospérité et l’ordre publics sont assurés par la collaboration suffisamment bénévole de tous, quand chaque citoyen, ayant, pour ainsi parler, le naturel de sa fonction, ne peut que trouver normal et juste un état de choses qui, en l’y bornant sagement, l’y contient et l’y protège, alors il est permis à quelques esprits de jouir, alors il a y place au sommet de la cité pour l’art et pour la philosophie. Que si, au contraire, par le fait d’une politique ou chimérique ou pas assez observatrice, un désaccord général arrive à régner entre les opinions, c’est-à-dire, au fond, entre les caractères et les conditions, si l’inquiétude publique assure d’avance du crédit aux premiers plans venus de réforme sociale ou morale et rend l’heure propice aux prophètes, aux détenteurs de vérité absolue, dans ce cas l’état de désintéressement nécessaire pour la création de la beauté et pour