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NOUVELLE PRÉFACE

voit, non tel qu’il est en lui-même, mais tel qu’il apparaît à travers un verre déformant. (Je parle d’un sentiment dirigé, non contre telle ou telle confession chrétienne, mais contre le fond commun du christianisme.)

Tout d’abord, si, pour le chrétien, le christianisme est la religion vraie, exclusivement vraie, le philosophe, qui ne lui attribue pas ce titre, est au moins obligé d’y reconnaître une forme particulière de ce fait humain universel qui s’appelle la religion. Et, comme nos modernes antichrétiens, qui ne sont ni bouddhistes, ni mahométans, ne s’en prennent pas au christianisme au nom d’une autre religion, c’est, qu’ils y songent ou non, contre la religion en général que se déclare leur inimitié. Voilà ce que je ne trouve pas très philosophique. Qu’un esprit dans son privé et pour la direction personnelle de ses sentiments et de sa vie, n’éprouve le besoin d’aucune religion, c’est une autre affaire, et je ne m’en occupe pas ici. Mais de là à s’irriter contre l’existence de la religion dans l’humanité, il y a un abîme qu’un homme en parfaite possession de son bon sens ne franchit pas. On ne montre pas le poing au Mont-Blanc. J’ai connu dans la personne de mon maître, Victor Brochard, un parfait païen.