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NOUVELLE PRÉFACE

ses formes truculentes et de ses bravades, montre qu’il s’agit ici moins de la distinction de deux catégories sociales d’hommes que de deux catégories de tendances qui peuvent se rencontrer chez tous les hommes. Les maîtres, ce sont les natures aristocratiques et fières, dépourvues de grossièreté et surtout de vanité. Quand il leur arrive de commander, ils le font avec une dignité naturelle, avec le respect des personnes auxquelles ils donnent nettement des ordres. Et s’ils savent commander, c’est qu’ils savent obéir. Les esclaves ne savent ni l’un ni l’autre. Toute obéissance, toute subordination les humilie. Ils veulent toujours avoir raison. Ils commandent volontiers, quand ils ont du tempérament et de l’audace. Mais ils ne le savent faire qu’à la matraque et sont incapables de faire accepter leur autorité (c’est pourtant le grand signe de l’autorité) à un homme de caractère. L’erreur et le trait comique de Nietzsche, c’est de se mettre en colère parce qu’il voit que le commandement n’est presque jamais reconnu à ceux qui le mériteraient. Aussi leur compose-t-il en imagination une vengeance effroyable, en faisant d’eux un petit bataillon de chefs impitoyables armés des engins les plus terribles avec lesquels ils font marcher le troupeau humain. Cette invention lui