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PIERRE LASSERRE

française et la pensée européenne de la servitude qu’ils ont réussi à leur imposer depuis un siècle. Il faut les connaître et les critiquer sérieusement, et c’est ce qu’on ne peut faire sans une grande et honnête application de l’intelligence, c’est-à-dire sans des dispositions préalables de sérénité et d’impartialité à leur égard. Il faut être prêt à leur rendre justice, à reconnaître la part de services qu’ils ont pu rendre à l’esprit humain à côté du tort qu’ils lui ont fait. À ce prix, les conclusions où l’on arrivera (j’ai indiqué quelles sont les miennes) pourront n’être pas dépourvues d’autorité.

La question n’est pas simple. Si la pensée allemande (je parle de la pensée spécifiquement allemande, de Kant, de Fichte, de Shelling, de Hegel et de son école) peut être jugée indigne de jouer dans la direction de la pensée humaine, le rôle qui, en d’autres temps, a appartenu à la philosophie d’Aristote, à la philosophie cartésienne, à l’empirisme des Anglais, ce n’en est pas moins un fait, un gros fait, un fait énorme et puissant que les choses se sont passées depuis cent ans comme si elle le méritait. Si elle a séduit chez nous beaucoup de têtes troubles et faibles, elle a exercé sur un Renan, c’est-à-dire sur une des plus vastes