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LA MORALE DE NIETZSCHE

comme un gigantesque Tartufe qui aurait pris l’air de toutes les sectes de religion et de morale, depuis le Bouddha jusqu’à nos jours et qui nous représenterait, fondues ensemble, toutes les nuances d’hypocrisie, d’humilité, de « spiritualité », de « renoncement », d’absorption en Dieu ou en l’idéal, savamment inventées et exhibées au cours des siècles par une sainte rancune, par de sombres desseins de vengeance contre la Terre et la Vie. [1] Comment le désigner ce mal, dont l’action tout intellectuelle — mais par là même cent fois plus redoutable que la torche d’Attila ou la bombe de Ravachol (incendiaires, non empoisonneurs) — détruisit dans le monde antique et achève présentement de dissoudre dans l’Europe moderne les plus précieux éléments et jusqu’à l’idée même de civilisation ? Mille noms lui conviendraient, car il a mille formes. Mais qu’il exerce ses ravages en grand ou en petit, dans l’institution sociale ou dans des consciences isolées, qu’il corrompe les mœurs, l’art ou la philosophie, toujours sa présence se révèle par ce symptôme : une anarchie. On peut

  1. Il faut essentiellement appliquer à ce passage le reproche que notre Nouvelle préface fait à Nietzsche de ne pas distinguer entre un christianisme réglé et serein et un christianisme morbide, entre saint Vincent de Paul et Tolstoï. J’avoue qu’un exposé où cette confusion n’est pas signalée, prête, pour sa part, au même reproche. Mais j’étais alors tout à la réaction contre un certain prêchi-prêcha humanitaire et idéaliste qui sévissait de tous côtés.