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PIERRE LASSERRE

par haine de toute équivoque et de tout nébuleux dans les principes de conduite, enfin, selon un mot qu’il aimait, par « propreté » morale.

Toute morale donc, toute règle des mœurs qui a été reconnue pour bonne ici ou là, en même temps qu’elle marque ses directions à l’énergie humaine, est une œuvre de cette énergie. Elle condense le résultat de beaucoup de victoires remportées par l’homme sur lui-même. Elle est le legs de beaucoup de générations d’ancêtres obstinées et patientes à se travailler, et à s’accentuer elles-mêmes en un certain sens. Il en est des données d’une morale comme des préceptes d’un art arrivé à un certain point de perfection : ceux-ci fournissent à présent des facilités au génie, lui épargnent bien des tâtonnements et de stériles efforts, lui procurent, en le contenant fermement, une aisance supérieure. Mais combien chacun d’eux suppose-t-il d’essais maladroits et de tentatives recommencées ! Il en est d’un jugement sain et fin sur les mœurs comme du goût. Le goût ne se manifeste guère dans l’élite d’un peuple comme une intuition rapide et naturelle que quand toutes les façons à peu près d’être diffus, plat, choquant, insignifiant, ennuyeux ont été pratiquées par ses artistes et écrivains antérieurs. Il résume donc dans sa spontanéité acquise de longues habitudes de vigilance sur soi-même. Ainsi de tout tact