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LA MORALE DE NIETZSCHE

tives, une œuvre du discernement, de l’application et du soin, une culture. Il trouve les modernes mal venus à invoquer la nature, eux dont les moindres nuances de sensibilité et d’estimation morale sous-entendent tant d’expérience humaine. Il n’a pas assez de railleries pour ces philosophes qui, parce qu’ils n’ont d’yeux que pour le type moyen de l’homme éduqué, tel qu’il existe sur quelques centaines de pieds carrés autour d’eux, attribuent à la « nature humaine » les caractères de ce personnage spécial — appellent « nature » leur propre médiocrité. Pour Rousseau, la « nature » ce sont les rancunes plébéiennes, les attendrissements morbides de Rousseau solennisés, élevés à une dignité quasi mystique. Bref, Nietzsche est trop épris du net, du clair, du fini — trop droit, ajouterai-je, pour ne pas expulser impitoyablement de toute controverse sur la morale, avec cette notion de Nature — si vague qu’on peut y mettre tout ce qu’on veut, et généralement ce n’est qu’un nom pompeux donné à nos propres instincts — ces autres entités également obscures et dangereuses : Raison pure, Libre arbitre, Autonomie, Conscience… bref, la métaphysique. Il n’est pas le premier, dira-t-on. Il est le premier à l’avoir fait avec cette intransigeance et cette malice, parce qu’il ne le faisait pas au nom d’une théorie, mais par simple finesse psychologique,