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PIERRE LASSERRE

l'instinct, non pas même commandement de la nécessité, mais fait de violence, de domination, de conquête, quelque chose d'imposé et de subi. Toute règle — intellectuelle, esthétique, morale ou politique, — signifie des instincts et impulsions rebelles mis sous le joug. Tout « droit » est un legs de la force. Victorieuse, elle a pu organiser ce qu'elle avait soumis, faire du résultat de la guerre la loi de la paix.

La Volonté de puissance est la conseillère profonde des peuples et des races. C'est elle qui les met sur la voie des vertus par lesquelles ils seront forts, deviendront grands, uniques. C'est elle qui les rend appliqués, persévérants, rusés, intraitables dans la défense et l'entretien de ces vertus. C'est elle qui leur suggère les expédients qui les sauvent de périr aux tournants dangereux de leur destinée : ici la cruauté, les exterminations rapides et complètes de l'ennemi extérieur ou intérieur, ailleurs au contraire la patience, l'endurance, la longanimité. Elle fête ses extrêmes triomphes dans les belles civilisations, les plus doux et les plus achevés dans de gracieuses et nobles mœurs [1].

  1. J’expose Nietzsche. Mais il y a dans mon exposé un certain ton d’adhésion sur lequel je dois encore m’expliquer. Quand on est jeune, on rebondit à l’excès sous la contradiction, on est enclin à répondre aux déclarations de l’hypocrisie par un certain cynisme d’esprit qui se plaît à exagérer ce que l’hypocrisie dissimule. Devant des idéalistes affectés qui opposent d’une manière absolue la justice et la force, on se plaît à outrer la part originaire