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PIERRE LASSERRE

de témérité, et au fond, pour pouvoir être bien ami) : autant de caractères significatifs de la morale noble, laquelle, on l’a dit, n’est pas la morale des « idées modernes », raison pour laquelle il est difficile de la bien sentir, difficile aussi de la déterrer.

…Il en est tout différemment de l’autre morale, la morale des esclaves. En supposant que les asservis, les opprimés, les souffrants, ceux qui ne sont pas libres, qui sont incertains d’eux-mêmes et fatigués, se mettent à moraliser, que trouveront-ils de commun dans leurs appréciations morales ? Vraisemblablement s’exprimera une défiance pessimiste de la position de l’homme, peut-être une condamnation de l’homme avec toute sa situation. Le regard de l’esclave est défavorable aux vertus des puissants : il est sceptique et méfiant, il a la subtilité de la méfiance contre toutes les « bonnes : choses » que les autres vénèrent — il voudrait bien se persuader que le bonheur même là n’est pas véritable. Par contre il met en avant, en pleine lumière, les qualités qui servent a adoucir l’existence de ceux qui souffrent : ici nous voyons honorer la compassion, la main complaisante et secourable, le cœur chaud, la patience, l’application, l’humilité, l’amabilité, — car ce sont là les qualités les plus utiles, et presque les seuls moyens pour alléger le poids, de l’existence. La morale des esclaves est essentiellement une morale utilitaire. C’est ici le foyer d’origine de la fameuse antithèse « bon » et « mal » : — c’est dans le concept mal que l’on fait entrer la puissance