Page:Laveaux - Dictionnaire du langage vicieux, 1835.djvu/15

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convenez que vous cédez à la honte d’apprendre dans un âge mûr ce que vous eussiez dû savoir à votre entrée dans le monde. De bonne foi, croyez-vous que la grammaire ait desséché l’esprit de La Fontaine, qui se plaisait tant à la discuter, de Boileau, qui l’avait étudiée d’une manière si approfondie; de Voltaire, qui s’en est si souvent occupé dans ses ouvrages; de Dumarsais, qui en avait fait l’objet des investigations habituelles de son esprit, et qui cependant écrivait sur des matières philosophiques avec tant de puissance de raisonnement et de chaleur entraînante; de Malherbes, qui nous a laissé des commentaires estimés sur Desportes; de Marmontel, de Condillac, qui ont fait chacun une grammaire, etc.; et, parmi nos contemporains, MM. Ch. Pougens, Raynouard, Ch. Nodier, etc., n’ont-ils donc pas prouvé que l’imagination la plus riche pouvait parfaitement s’allier à l’érudition grammaticale. La grammaire dessèche l’esprit ! Telle a été jusqu’à présent la sotte excuse mise en avant par les écrivains ignorans à qui la critique reprochait leurs solécismes ou leurs barbarismes. Nous venons de prouver combien cette assertion est fausse, et nous pensons qu’on ne doit réellement voir, dans tout littérateur incorrect, qu’un écolier qu’il faut renvoyer sur les bancs de l’école qu’il a quittés prématurément. Apprenez, lui dirons-nous, la langue universelle que les étrangers étudient avec tant d’ardeur; la langue que les Racine, les Boileau, les Montesquieu, les Buffon, les Voltaire, ont approfondie sans en devenir plus secs; apprenez-la en lisant leurs ouvrages, et si, après avoir achevé cette étude, il se trouve que votre esprit, desséché dans cet intervalle, ne vous permette pas d’aller plus loin dans la carrière littéraire, résignez-vous au silence. Ce sera sans doute un malheur pour vous, comme c’en est un pour le propriétaire du champ qu’une première récolte a épuisé. Mais qu’y faire ? le public ne manquera pas pour cela d’auteurs qui, tout en étudiant leur langue avec tout le soin qu’elle exige, sauront encore après trouver dans leur génie, ou les grandes pensées qui instruisent, ou les récits animés et gracieux qui amusent, et qui, pour être rendus avec correction, n’en seront certainement pas plus dédaignés par personne.

Ces réflexions, nous les avons faites de bonne heure, et c’est, pénétré de leur importance, que nous nous sommes livré aux études grammaticales, par raison d’abord, ensuite par état, et enfin, nous aurons le courage de l’avouer, par pur amusement. Mais que de peines n’avons-nous pas quelquefois éprouvées pour résoudre des questions assez importantes qui se présentaient à notre esprit ! Que de fois, après avoir feuilleté minutieusement un grand nombre d’ouvrages spéciaux, n’avons-nous pas été douloureusement obligé d’ajourner la solution de nos problèmes ! Oh ! que nous eussions alors accepté avec reconnaissance un livre qui, consciencieusement fait, concis et peu coûteux, eût abrégé nos études et ménagé notre bourse ! Mais il n’existait pas; et c’est en mémoire de notre temps perdu dans des recherches longues, pénibles et souvent stériles, et dans le but d’en affranchir ceux qui désirent étudier particulièrement leur langue, que nous nous sommes décidé à publier le travail que nous offrons aujourd’hui au public.

Plusieurs ouvrages, se proposant le même but que le nôtre, ont déjà paru à différentes époques; aucun de ces ouvrages, esprit de rivalité à part, ne nous a semblé tout-à-fait satisfaisant. Voilà pourquoi nous écrivons. Il n’est pas, bien entendu, question ici du Dictionnaire des Difficultés de la langue française; par Laveaux. Peu de livres de grammaire ont mérité et obtenu autant d’estime que celui-là. L’auteur a su, par d’immenses recherches, présenter en un seul faisceau les remarques les plus judicieuses éparses dans une foule de traités, dédale obscur où peut seul pénétrer avec fruit le compilateur patient et instruit. Mais l’érudition n’a pas été le seul mérite du laborieux écrivain que nous venons de citer. Un jugement sain, un esprit délicat, l’ont presque toujours guidé dans le choix de ses matériaux, et au lieu de faire comme la plus grande partie des grammairiens, ou plutôt des grammatistes, selon l’expression de Dumarsais (Encycl. méth., art. Grammaire), qui se sont spécialement occupés de l’orthologie, un recueil d’observations que le goût n’a certainement pas discutées, Laveaux a fait un travail presque complet dans son genre, et surtout un travail consciencieux. Ce n’est donc pas avec la prétention de refaire son ouvrage que nous avons écrit, c’est uniquement pour suppléer à ce qu’il a omis, parce que cela n’entrait pas tout-à-fait dans son plan. Nous voulons en un mot faire le contraire de ce qu’il a fait. Laveaux a dit ce qu’on doit dire; nous dirons, nous, ce qu’on ne doit pas dire. Laveaux s’est adressé aux gens déjà instruits, aux gens que le désir d’apprendre ne détourne pas de la lecture ardue d’un long article de grammaire en petit-texte, et à deux colonnes; nous, au contraire, nous écrivons généralement pour les gens peu instruits (et qu’on ne s’y trompe pas, cette désignation comprend également des gens de toutes les classes de la société), pour ceux qu’une lecture de