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Page:Lavergne, Jean Coste - 1908.djvu/103

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— Voyons, mon ami, — dit-il avec bienveillance, — vous manquez d’assurance et vous oubliez que nous ne sommes pas ici des juges, mais des collaborateurs réunis pour mettre en commun nos observations, notre expérience et les résultats de nos travaux. Possédez-vous davantage et continuez sans crainte.

Ces bonnes paroles pourraient faire du bien à tout autre. Mais Coste n’entend rien et continue, par saccades, à réciter des mots et des mots qu’il ne comprend plus lui-même ; c’est que, seule, l’obsède la pensée de son pantalon déchiré, qu’un geste trop vif, écartant les pans de sa redingote, peut découvrir aux yeux de tous ; c’est que les pieds toujours joints, il s’applique à cacher l’état lamentable de sa chaussure. Soudain, au milieu de cette angoisse, une faiblesse le prend. Il a envie de se jeter à genoux et de crier, donnant libre cours aux sanglots contenus qui l’oppressent :

— J’ai quatre petits enfants, une mère aveugle, ma femme malade… Je travaille comme un nègre après ma classe, sans une heure de loisir et de calme étude… Je meurs de honte ! Que voulez-vous donc que je fasse !…

Il poursuit cependant, car le mieux est de dévorer sa souffrance. L’âme veule, il cherche à citer des exemples de justice et de charité, mêle tout, confond tout, s’embarrasse de plus en plus. En un mot, une leçon bien piteuse, bien peu intéressante, sans valeur aucune ; pourtant personne ne souriait ; la majeure partie des instituteurs, les institutrices surtout, souffraient de la confusion de leur collègue. Certes, ils en avaient vu d’autres échouer en pareil cas et, domptés par l’émotion, rester incapables de prononcer un mot ; mais ils pressentaient, cette fois-ci, plus qu’un embarras, plus qu’une timidité ordinaire et, sans savoir pourquoi, presque tous en avaient le cœur serré.

Chacun respira librement, comme soulagé, quand le pauvre hère, ayant achevé sa leçon vaille que vaille en un