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Page:Lavergne, Jean Coste - 1908.djvu/154

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— Bien sûr que c’est vrai ! — repartit un bonhomme aux cheveux presque blancs. — Aujourd’hui qu’ils veulent nous remplacer, ils ont la bouche pleine de grands mots. Autrefois, ils tripotaient à qui mieux mieux. A cause de la presque égalité des voix, et des hésitations d’un certain nombre, qui ne sont ni chair ni poisson, on a eu de la peine à les déloger d’ici… Oui, monsieur le maître, nous les avons pris la main dans le sac, il y a six ans, et c’est grâce à cela que nous sommes ici…

— Et s’ils y reviennent, — appuya M. Rastel, —— ils ne s’en iront pas facilement. Par conséquent, on ne leur rendra que la monnaie de leur pièce. Qu’en dites-vous, voyons ?

— Je dis, je dis, — répondit Coste, hésitant, — que vous avez sûrement raison ; mais la République doit être un gouvernement d’honnêteté, de liberté et de franchise.

— Des phrases ! — répliqua le maire, mécontent de la résistance de l’instituteur et haussant les épaules. — Enfin, n’en parlons plus ; en tout cas, sachez vous taire sur ce qui vient d’être dit… Allez, vous serez toujours de ceux qu’on tond…

— Que voulez-vous ? pourvu que ma conscience…

— Oui, oui, on voit bien que vous êtes tout neuf en ces matières. Vous agissez et parlez comme un enfant. Sûr que si l’on vous pressait le nez, il en sortirait encore du lait. Enfin tant pis pour vous ; en cas d’échec, vous en pâtirez plus que moi…

À cette mercuriale, Coste ne répondit pas, car M. Rastel l’avait faite avec tant de bonhomie qu’on ne pouvait s’en formaliser. Après tout, on n’avait nul besoin de l’instituteur, on parla donc d’autre chose et on se sépara vite, ce soir-là. Dès lors, les réunions se tinrent au domicile du maire et l’instituteur n’y fut plus convoqué que très rarement. Cela ne lui déplut pas ; il ne voulait d’aucune complicité, mais au fond il se rendait si bien compte de la gravité qu’avait pour