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Page:Lavergne, Jean Coste - 1908.djvu/66

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qui tuent leurs vieux parents pour hériter. Instinctivement elle recule sa chaise, les mains en avant, pour repousser et se défendre.

— J’allume une autre chandelle, l’autre venant de s’éteindre, — répond enfin Jean qui, heureusement, tourne le dos à sa mère et ne remarque pas le trouble ni l’épouvantable geste par lequel se trahit l’horrible pensée de l’aveugle.

— Ah ! — soupire Caussette, soulagée. Jean s’est rassis. Méfiante, l’aveugle pose sur lui ses regards blancs et fixés qui semblent voir. La dureté de ses traits, éclairés de nouveau, paraît s’accroître. Une souffrance vive fouille, comme une pointe acérée, le cœur de Coste. Et, dans la déroute de ses espoirs, le cerveau vide, il se prend la tête entre les mains et fond en larmes. Alors, des mots entrecoupés, des paroles de supplication ardente, jaillissent de son être vaincu, comme une prière, comme une plainte éperdue d’enfant :

— Mère, mère… je vous en prie… soyez bonne… secourez moi… tirez-moi de là… si vous saviez tout ce que j’ai souffert… tout ce que je souffre… Mère, vous le pouvez… soyez pitoyable… Et il joint les mains vers elle comme si elle pouvait le voir.

— Mais je n’ai pas d’argent, entends-tu… pas un sou. Que puis-je faire ?… hélas ! rien…

On dirait qu’elle s’attendrit, enfin, que l’appel sincère et désespéré de son fils la touche.

— Mais, — murmure Jean palpitant d’espoir, — si vous vendiez votre terre…

Caussette l’interrompt. Comme une furie, elle se lève ; les mains sur la tête, elle invoque tous les saints et, d’une voix sifflante, comme pour maudire, elle crie :

— Vendre ma terre !… tout ce qui me reste des Causse, des miens !… Ce n’est donc pas assez que les vignes de ton père soient à Pierre et à Paul… tu voudrais que j’en fasse autant