Page:LeMay - Essais poétiques, 1865.djvu/10

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me dicte des paroles que je ne puis saisir qu’à demi, et dont, hélas ! je ne puis rendre qu’imparfaitement la douceur et la mélodie ? Oh ! il m’en coûtera de descendre à la vie réelle ; de travailler depuis le lever du soleil jusqu’à son coucher pour gagner un morceau de pain ; de couper les ailes à mon imagination, cette délicieuse folle du logis ! Et cependant il faudra probablement faire cela ; car la misère est à ma porte, et je ne suis pas seul de ma famille au monde.

Ah ! si je n’avais qu’à pourvoir à mes besoins, non je ne vous abandonnerais pas, charmantes rêveries, contemplations suaves et mystérieuses ! Je passerais encore des heures debout, les bras croisés sur la poitrine, écoutant le bruissement ineffable et magique des feuilles sous les agaceries du vent ; regardant couler sous les aunes verts les vagues limpides des petits ruisseaux ; admirant l’éclat et la richesse des nuages que le soleil, à son coucher, borde d’une frange d’or, ou inonde tout entiers de lueurs inouïes ; cherchant à deviner quelque chose de la mystérieuse puissance, de la bonté incompréhensible de Celui par qui tout vit, tout s’anime, tout tressaille et palpite ; demandant à l’étoile sereine et à tous les mondes étonnants que la main du Créateur a jetés dans l’espace, comme une poussière d’étincelles, leurs mystères et leurs secrets ! Peu m’importerait que mon pain fut blanc ou noir ! mon habit tout neuf ou râpé ! je rêverais toujours ! je chanterais toujours ! Mais je me dois à ma famille : il me faut travailler pour la soutenir.