Aller au contenu

Page:LeMay - Essais poétiques, 1865.djvu/11

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

Est-ce donc que je dis adieu à la poésie dès le commencement de ma carrière ? Peut-être : je n’ose me l’avouer, et cependant je crois le pressentir. L’avenir m’effraie : il me paraît bien sombre et gros d’orage. Comme la cigale de la fable j’ai peut-être trop chanté dans la belle saison ; et les fourmis bienveillantes, qui m’ont donné de sages conseils, que je n’ai pas suivis, me fermeront la porte au nez en se moquant de moi.

Que de fois, dans un moment d’angoisse et presque de désespoir, j’ai porté envie aux fils des autres paysans, mes amis et mes camarades d’enfance ! Plus robustes et plus forts que moi, ils n’ont d’autres soucis que de faire une bonne journée de travail, et, le soir, ils reviennent un peu fatigués, peut-être, mais l’esprit en repos, le cœur gai et satisfait. Peu de choses suffisent à leur bonheur : ils ne sont pas le jouet de leur imagination ; ils ne sont pas enchaînés, comme par enchantement, sur le bord d’un ruisseau, devant une fleur, un arbre, un insecte ! Ils ne passent point, une partie de leurs nuits à écouter le bourdonnement du feu dans la porte du poêle, ou du vent dans la cheminée : ils ne voient rien là qui puisse les dédommager de la perte d’une heure de sommeil ; et le sommeil leur est plus profitable.

Que de fois j’ai regretté de ne m’être pas accoutumé aux travaux des champs ! que de fois j’aurais voulu n’avoir jamais fait de vers ! Et pourtant suis-je coupable ? C’est si doux de rêver, de s’élever par la pensée. Et qu’est-ce que l’homme sans la pen-