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les épis

C’était le fleuve aimé qui, las d’être captif,
S’agitait tout à coup comme un coursier rétif,
Secouait le fardeau de ses glaces massives,
En éclats scintillants les poussait vers ses rives,
Et les broyait ensemble avec autant de bruit
Qu’en fait, à son réveil, un volcan dans la nuit.

Les paysans heureux, pour mieux voir le spectacle
Qu’offrait, ce printemps-là, la tardive débâcle,
Jusques au bord des eaux venaient de toute part ;
Leurs joyeuses clameurs saluaient le départ
De ces bancs de cristal, dont l’attitude altière
Avait voulu braver la saison printanière.

On voyait de partout accourir des enfants
Qui poussaient vers le ciel mille cris triomphants ;
Les cheveux enchaînés par de frêles résilles,
On voyait accourir l’essaim des jeunes filles,
En mantelets d’indienne, en modestes jupons.
Leurs bouches prodiguaient des sourires fripons,
Leurs voix semaient dans l’air des notes argentines.
Elles semblaient ainsi de joyeuses ondines
Que le printemps rendait à leurs limpides eaux,
Et qui cherchaient leur grotte au milieu des roseaux.