Page:LeMay - Tonkourou (nouvelle édition de Les Vengeances), 1888.djvu/14

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
14
tonkourou

Et se tient là, debout, sous l’orme au tronc rugueux.
Tout à coup l’indien, comme un taureau fougueux,
Bondit auprès de lui, le saisit et l’enlève ;
Puis, d’une course ardente il retourne à la grève,
Et, fier du mal qu’il fait, rame bien loin des bords.

Aux cris désespérés qui venaient du dehors
Accourut aussitôt la mère infortunée.
Elle vit s’envoler une forme damnée,
Un démon qui tenait un ange dans ses bras.
Elle le vit s’enfuir mais ne le connut pas.
Le vent emporta loin sa plainte sur son aile.
Bientôt tout disparut. Une voix solennelle
Des vagues en courroux montait de temps en temps.
L’oiseau chantait toujours sous les rameaux flottants
Mais ses notes vibraient comme un cri d’ironie,
Et nul n’écoutait plus l’enivrante harmonie.

Et lorsque Jean Lozet, fatigué mais heureux,
Eut fini sa journée et dételé ses bœufs,
Il passa près de l’orme et trouva son épouse
Gisant évanouie au bord de la pelouse.
Et nul enfant joyeux, à cette heure de deuil,
N’accourut l’embrasser quand il passa le seuil.