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tonkourou


— Ah ! que ne suis-je mort en embrassant la croix,
Comme ce fier Chénier, là-bas, au cimetière !
Mais le malheur étreint mon existence entière,
Fit le jeune blessé.
— Toute coupe a du fiel,
Repartit le vieillard ; laissons faire le ciel.
La délivrance vient quand la chaîne se rive,
Et sa force apparaît. Et puis, quoiqu’il arrive,
Il faut être, mon fils, toujours soumis à Dieu.
Quelque mortel chagrin vous suit-il en tout lieu ?
Parlez ; ne craignez pas de vous ouvrir au prêtre :
Il aime son pays et déteste le traître…
Comment vous nommez-vous ? quel est votre parti ?

— Je ne sais ni mon nom, ni d’où je suis sorti.
Quand vers mes premiers ans remonte ma pensée,
J’éprouve une horreur vague et peut-être insensée.
Comme d’autres enfants, hélas ! devant mes yeux
Je ne vois point passer les visages joyeux
D’un père et d’une mère heureux sous l’humble chaume ;
Mais l’haleine de feu d’un terrible fantôme
Me brûle encore.
Un jour — c’est vrai, père, cela —
Tout ravi, j’écoutais des voix d’ange, et voilà
Qu’un monstre me surprend, me lie au tronc d’un arbre
Et me perce les bras de son stylet de marbre.