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tonkourou

Et m’en vins à L’Islet mon village natal.
J’empirais. On craignit un dénoûment fatal.
Ma femme qu’on trompait dut alors tout apprendre.
Elle se mit en route ; elle ne put se rendre :
La fatigue, la peur, le désespoir, l’ennui,
Je vous l’ai dit, je crois, l’ont tuée une nuit.
Quand j’ai su mon malheur la terre était fleurie,
L’espérance chantait dans mon âme attendrie.
J’aurais voulu mourir alors. Ô Dieu, quel coup !
Depuis cette heure amère, oui, j’ai pleuré beaucoup.

Je dus partir encor pour des rives lointaines.
Depuis plus de vingt ans des courses incertaines,
Des accidents divers, des plans audacieux
M’ont un peu malgré moi tenu loin de nos cieux…
Si ma fille a vécu, maintenant elle est grande.
Il faut que je la trouve ; il faut qu’on me la rende…
Et cependant j’ai peur quand je pars à songer
Que je ne suis pour elle, hélas ! qu’un étranger !

Jean se trouble ; l’effroi se peint sur sa figure ;
On croirait qu’il entend un implacable augure.
Essuyant sa paupière avec son tablier,
Sa femme auprès de lui paraît tout oublier ;
Louise en son émoi, pleure, et rien ne l’apaise.
Ruzard voudrait douter. Ce long discours lui pèse.