Page:LeMoine - Chasse et pêche au Canada, 1887.djvu/52

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

dans la coulée, ou le passage d’un lièvre sur les branches mortes, ou le clapotement de l’eau contre les flancs de la nacelle : la tête lui bourdonne de mille bruits insolites… Enfin, un son mesuré, répété sur l’onde, vient chatouiller son oreille : Slosh ! slosh ! slosh ! dans l’eau. Puis, le silence,

Les muscles du chasseur se roidissent, ses cheveux se crispent ; son œil se dilate, son cœur bat à lui rompre la poitrine. Il épaule sa carabine et attend, frémissant d’impatience, le signal que doit lui donner son camarade, dont la main repose sur le disque de la lanterne, prêt à en retirer le couvercle.

La bête, elle, est-elle alarmée ? restera-t-elle dans l’eau ? ou bien, gagnera-t-elle la berge du lac, pour prendre sa course vers la forêt ? car, le chasseur est encore à trop grande distance du gibier pour tirer. Bientôt, le même son monotone dans l’eau se répète.

Enfin le signal est donné, le disque dégagé de son abat-jour, répand au loin une clarté vive, sur le lac silencieux et revoie au chasseur, la silhouette colossale de l’orignal à mi-jambe dans l’onde, et dont les vertes prunelles flamboient comme l’œil d’un démon.

— Feu ! mon ami, visez en pleine épaule !… La fumée se déroule en épaisses spirale, sous la brise du soir.

— Ne bougez pas ! chut ! Refermez le disque de votre lanterne si vous ne voulez pas vous-même courir le risque de devenir un point de mire à la bête blessée et furieuse. Silence ! attention !

— Que signifie ce bruit lointain dans le taillis — ce craquement de branches mortes ? et ce son pénible, saccadé comme d’une respiration haletante ?

Laissez le fier orignal courir. Il n’ira pas bien loin. Demain, au soleil levant, vous le traquerez par son sang dont l’herbe est rougie ; vous le trouverez mort ou mourant, couché au sein d’un hallier, sous le dôme des bois.