Page:Le Bon - Lois psychologiques de l’évolution des peuples.djvu/24

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ces et d’intérêts, créée par de lentes accumulations héréditaires, donne à la constitution mentale d’un peuple une grande identité et une grande fixité. Elle assure du même coup à ce peuple une immense puissance. Elle a fait la grandeur de Rome dans l’antiquité, celle des Anglais de nos jours. Dès que disparaît l’âme nationale, les peuples se désagrègent. Le rôle de Rome fut fini quand elle l’eut perdue.

Il a toujours plus ou moins existé chez tous les peuples et à tous les âges, ce réseau de sentiments, d’idées,, de traditions et de croyances héréditaires qui forme l’âme d’une collectivité d’hommes, mais son extension progressive s’est faite d’une façon très lente. Restreinte d’abord à la famille et graduellement propagée au village, à la cité, à la province, l’âme collective ne s’étendit à tous les habitants d’un pays qu’à une époque assez moderne. Alors seulement naquit la notion de patrie telle que nous la comprenons aujourd’hui. Elle ne devient possible que lorsqu’une âme nationale est formée. Les Grecs ne s’élevèrent jamais au delà de la notion de cité, et leurs cités restèrent toujours en guerre parce qu’elles étaient en réalité très étrangères l’une à l’autre. .L’Inde, depuis 2000 ans, n’a connu d’autre unité que le village, et c’est pourquoi depuis 2000 ans, elle a constamment vécu sous des maitres étrangers dont les empires éphémères se sont écroulés avec autant de facilité qu’ils s’étaient formés.

Très faible au point de vue de la puissance militaire, la conception de la cité comme patrie exclusive a toujours, au contraire, été très forte au point de vue du développement de la civilisation. Moins grande que l’âme de la patrie, l’âme de la cité fut parfois plus féconde. Athènes dans l’antiquité, Florence et Venise au moyen âge nous montrent le degré de civilisation auquel de minimes agglomérations d’hommes peuvent atteindre.

Lorsque les petites cités ou les petites provinces ont vécu pendant longtemps d’une vie indépendante, elles finissent par posséder une âme si stable que sa fusion avec celles de cités et de provinces voisines, pour former une âme nationale, devient presque impossible. Une pareille fusion, alors même qu’elle peut se produire, c’est-à-dire lorsque les éléments mis en présence ne sont pas trop dissemblables, ne représente jamais l’oeuvre d’un jour, mais seulement celle