Page:Le Bon - Psychologie de l’Éducation.djvu/170

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quelles on pouvait puiser. Mais, aujourd’hui, le monde a entièrement changé, et les livres qui ont instruit tant de générations ne représentent plus guère que des documents historiques bons à occuper les loisirs de quelques érudits.

Du reste le fameux argument du trésor d’idées générales, donné par l’éducation gréco-latine, n’a pas trop été invoqué devant la Commission. On s’est souvenu d’une conférence célèbre de M. Jules Lemaître, qui fut professeur avant d’être académicien. J’en reproduis quelques passages pouvant servir de conclusion à ce qui précède.

Et qu’est-ce donc enfin que ce fameux trésor d’idées générées, d’idées éducatrices, dont les littératures grecque et latine auraient le monopole ?

Ne parlons pas du grec qui, même dans l’enseignement supérieur, n’est très bien su que de quelques spécialistes. Ce trésor, prétendu unique et irremplaçable, ce sont quelques pages de Lucrèce, dont le principal intérêt est d’être vaguement darwiniennes ; ce sont, dans Virgile, quelques morceaux des Géorgiques, qui ne valent pas tels passages de Lamartine ou de Michelet, et les amours de Didon, qui ne valent pas les amours raciniennes d’Hermione ou de Roxane ; ce sont les chapitres de Tacite sur Néron ; c’est, dans les épîtres d’Horace, la sagesse de Béranger et de Sarcey ; c’est le spiritualisme déjà cousinien des compilations philosophiques de Cicéron ; c’est le stoïcisme théâtral des lettres et des traités de Séneque ; et c’est enfin la rhétorique savante, mais presque toujours ennuyeuse, de Tite-Live et du Conciones. Rien de plus, en vérité. Or, cela se trouve tout entier ramassé dans Montaigne, et tout entier répandu dans les écrivains du xviie siècle, où nous n’avons qu’à l’aller prendre.

Non, je le sens bien, ce n’est pas aux Grecs ni aux Romains que je dois la formation de mon cœur et de mon esprit.

Si donc le bénéfice que j’ai pu retirer du latin m’échappe, à moi qui l’ai très bien su il y a vingt-cinq ans, de quel profit peut-il être pour les neuf dixièmes de nos collégiens, qui ont encore l’air de l’apprendre, mais qui ne le savent pas et ne peuvent pas le savoir[1] ?

  1. J. Lemaître.