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V
PRÉFACE

théorique ils ont une valeur pratique, et que, au point de vue de l’évolution des civilisations, cette dernière est la seule possédant quelque importance. Une telle constatation doit le rendre fort circonspect dans les conclusions que la logique semble d’abord lui imposer.

D’autres motifs encore contribuent à lui dicter cette réserve. La complexité des faits sociaux est telle qu’il est impossible de les embrasser dans leur ensemble, et de prévoir les effets de leur influence réciproque. Il semble aussi que derrière les faits visibles se cachent parfois des milliers de causes invisibles. Les phénomènes sociaux visibles paraissent être la résultante d’un immense travail inconscient, inaccessible le plus souvent à notre analyse. On peut comparer les phénomènes perceptibles aux vagues qui viennent traduire à la surface de l’océan les bouleversements souterrains dont il est le siège, et que nous ne connaissons pas. Observées dans la plupart de leurs actes, les foules font preuve le plus souvent d’une mentalité singulièrement inférieure ; mais il est d’autres actes aussi où elles paraissent guidées par ces forces mystérieuses que les anciens appelaient destin, nature, providence, que nous appelons voix des morts, et dont nous ne saurions méconnaître la puissance, bien que nous ignorions leur