Page:Le Bon - Psychologie des foules, Alcan, 1895.djvu/199

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À côté de cette première cause d’exagération des dépenses il en est une autre, non moins impérative obligation d’accorder toutes les dépenses d’intérêt purement local. Un député ne saurait s’y opposer, parce qu’elles représentent encore des exigences d’électeurs, et que chaque député ne peut obtenir ce dont il a besoin pour sa circonscription qu’à la condition de céder aux demandes analogues de ses collègues[1].

Le second des dangers mentionnés plus haut, la restriction

  1. Dans son numéro du 6 avril 1895, l’Économiste faisait une revue curieuse de ce que peuvent coûter en une année ces dépenses d’intérêt purement électoral, notamment celles des chemins de fer. Pour relier Langayes (ville de 3.000 habitants), juchée sur une montagne, au Puy, vote d’un chemin de fer qui coûtera 15 millions. Pour relier Beaumont (3.500 habitants) à Castel-Sarrazin, 7 millions. Pour relier le village de Oust (523 habitants) à celui de Seix (1.200 habitants) 7 millions. Pour relier Prades à la bourgade d’Olette (717 habitants), 6 millions, etc. Rien que pour 1895, 90 millions de voies ferrées dépourvues de tout intérêt général ont été votés. D’autres dépenses de nécessités également électorales ne sont pas moins importantes. La loi sur les retraites ouvrières coûtera bientôt un minimum annuel de 165 millions d’après le ministre des finances, et de 800 millions suivant l’académicien Leroy-Beaulieu. Évidemment la progression continue de telles dépenses a forcément cour issue la faillite. Beaucoup de pays en Europe : le Portugal, la Grèce, l’Espagne, la Turquie, y sont arrivés ; d’autres vont y être acculés bientôt ; mais il ne faut pas trop s’en préoccuper, puisque le public a successivement accepté sans grandes protestations des réductions des quatre cinquièmes dans le paiement des coupons par divers pays. Ces ingénieuses faillites permettent alors de remettre instantanément les budgets avariés en équilibre. Les guerres, le socialisme, les luttes économiques nous préparent d’ailleurs de bien autres catastrophes, et à l’époque de désagrégation universelle où nous sommes entrés, il faut se résigner à vivre au jour le jour sans trop se soucier de lendemains qui nous échappent.