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Page:Le Correspondant 114 150 - 1888.pdf/127

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entendait Jeanne allant et venant, achevant de mettre de l’ordre dans ses menues affaires. Jeanne chantait. Parfois c’était un interminable refrain qui avait des airs de berceuse ; parfois ce n’était qu’un bout de chanson, qu’une moitié de phrase qui s’interrompait, sans qu’on sût pourquoi.

Mme d’Oyrelles mit la main à sa poche et en retira un petit portefeuille de cuir. Elle y prit une lettre, puis deux, les lut attentivement, relut même certains passages avec un léger mouvement des lèvres, preuve d’une attention plus grande, et, s’appuyant au dossier de la chaise, retomba dans ses réflexions. Il y avait déjà deux jours que la demande de Frumand lui avait été adressée. C’était même un des motifs qui avaient hâté son retour à la campagne. Elle voulait être chez elle pour méditer et prendre ses renseignements. D’ailleurs, cette demande lui avait produit un singulier effet. Elle en était à la fois satisfaite et déçue. Satisfaite ! parce qu’elle connaissait les grandes qualités du jeune homme, et qu’elle ne pouvait manquer d’avoir confiance en lui pour rendre sa fille heureuse. Déçue ! par un sentiment plus difficile à définir, qui tenait probablement à ce qu’elle espérait d’autres ouvertures, à ce qu’elle avait deviné que Jeanne attendait un autre aveu. Aussi, par une contradiction étrange avec elle-même et avec la ligne d’éducation qu’elle avait toujours suivie, elle n’avait point encore parlé à Jeanne de ce qu’était venue lui dire Mme Magnin. Une hésitation invincible l’avait retenue. Elle s’étonnait d’agir de la sorte, et pourtant, elle ne rompait point son silence. Sa pensée, incessamment attachée au même objet, creusait ce projet de mariage sous toutes ses formes, et elle remettait d’heure en heure le moment de consulter sa fille.

Une voiture roula dans les allées, venant vers le château, et s’arrêta devant la porte. Mme d’Oyrelles l’entendit, alla regarder à la fenêtre et vit descendre une petite femme maigre qu’elle reconnut aisément :

— C’est Mme Magnin, dit-elle avec un soupir.

Elle s’approcha de la glace, passa la main sur ses cheveux sans y penser, soit pour se donner du temps, soit par simple habitude, et, n’attendant pas qu’on vint la prévenir, se rendit au salon.

Mme Magnin avait mené rondement les choses. Dès le lendemain de son entretien avec le comte de Cisay, elle avait entrepris Frumand. Frumand n’avait fait qu’une résistance vague et pour ainsi dire sans motifs :

— Il était loin de songer au mariage, disait-il ; il ne se croyait pas fait pour cela… sa mère n’était pas prévenue.

— Qu’à cela ne tienne ! La jeune fille vous plaît, n’est-ce pas ?

— Oui, madame, avait répondu Frumand, trop franc pour