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Page:Le Correspondant 114 150 - 1888.pdf/132

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le bien qu’on accomplit porte sa récompense en lui-même, et, ce que je fais là, c’est la consolation de ma vie.

En s’envolant vers Paris, Mme Magnin était sûre du succès.

Lorsque la voiture s’éloigna dans l’allée, Mme d’Oyrelles fut sur le point d’appeler Jeanne pour lui faire part de la demande. Elle avait besoin de la voir, besoin de lui confier le trop-plein de sa tête et de sa tendresse. Pourtant elle résista encore à cet entraînement. Plus elle y pensait, plus elle se sentait poussée à aller parler aux de Cisay. Ils connaissaient à fond M. de Frumand, ils étaient trois, chacun d’eux pouvant lui apporter son contingent de vérité ; une force irrésistible l’entraînait vers eux. Il lui semblait qu’elle ne se déciderait jamais avant de les avoir vus. Elle était restée sur le canapé du salon, perdue dans ses réflexions, et regrettant d’avoir quitté Paris sans faire cette démarche. Jeanne entra. La jeune fille avait son chapeau et un manteau de jardin. Elle venait de se promener. L’air vif du mois de mars avait fouetté son teint, et, en arrivant au salon, la différence de température lui fit monter le sang aux joues.

— Que c’est joli, cette fin de l’hiver ! On devine que tout va naître. Voilà un bourgeon rose que j’ai cueilli pour vous.

Elle le tendit à sa mère, puis, sans transition :

— J’ai vu passer nos voisins de Cisay, en voiture, au bout du parc.

— Ils sont donc à Chanteloup ?

— Ne le saviez-vous pas ? Ils y étaient avant que nous fussions revenues à la Gerbière.

— Déjà ?

— Oui, on m’a dit que c’était pour affaire. Le comte avait des règlements qui l’appelaient ici. Il paraît que le marquis et Bernard ont voulu l’accompagner.

— Qui donc t’a si bien renseignée ?

— Vous ne le devineriez pas : c’est Me Durandal avec qui je viens de faire une causerie sans fin. Je l’ai même essoufflé en marchant trop vite. Je l’aime beaucoup, Me Durandal.

Mais Mme d’Oyrelles ne l’écoutait plus. Elle avait pris un parti et s’apprêtait à l’exécuter :

— Ma chérie, dit-elle en embrassant sa fille, je reviendrai dans une heure.

Jeanne fut fort étonnée, mais elle était trop bien élevée pour interroger sa mère. Elle se tut et la regarda s’éloigner, se contentant de faire beaucoup de réflexions dans sa tête de jeune fille.

Mme d’Oyrelles partit à pied. Elle avait besoin du grand air et de la marche. Jeanne la vit descendre le parc et resta songeuse à