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Page:Le Correspondant 114 150 - 1888.pdf/135

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comme moi, qui n’ai jamais eu de tendance à la perfection. En deux mots, il m’humilie, voilà ce que je lui reproche.

Le comte mesurait fort bien l’effet qu’il produisait en parlant ainsi. Il savait que les femmes ne s’effarouchent pas des extrêmes surtout dans le bien. Il ne s’appliquait qu’à faire ressortir, par un soi-disant écart, un excès de vertu dont il était bien sur que Mme d’Oyrelles ne s’effraierait point.

— Vraiment, dit-elle, vous me faites plaisir. Je connaissais depuis longtemps M. de Frumand, mais je ne lui croyais pas une si haute valeur. Votre jugement me frappe.

— Vous m’avez demandé de vous parler sincèrement. Vous voyez que je l’ai fait. Il est à croire que M. de Frumand exigera beaucoup de sa femme. C’est certainement pour cela qu’il a jeté les yeux sur Mlle Jeanne, qui est aussi parfaite que belle…

Mme d’Oyrelles ne s’arrêta point au compliment. Elle parut à peine l’entendre. Sa pensée, très condensée en ce moment, s’agitait sur un autre point de la question.

— Pourriez-vous me dire quel est son caractère ? C’est pour moi chose capitale, car, avec d’excellents principes, un homme peut avoir le caractère mal fait et rendre sa femme malheureuse.

Le comte de Cisay était enchanté de la tournure que prenait la conversation. Il savait que, lorsqu’on en est arrivé aux questions de caractère, les grosses objections sont déjà résolues et, jugeant du travail qui s’était fait dans l’esprit de Mme d’Oyrelles, il ne doutait point qu’elle ne fût à peu près décidée à donner sa fille à Frumand.

— Mon Dieu, madame…, c’est un original, vous le savez. On dit que ces gens-là sont les plus faciles à vivre et qu’avec eux il suffit, comme aux cerfs-volants, de lâcher la corde quand le vent souffle.

Mme d’Oyrelles ne put s’empêcher de sourire. La comparaison lui parut juste et vint appuyer dans son esprit, par sa justesse même, ce que le comte lui avait déjà dit. Elle aurait voulu l’interroger sur l’amitié de Frumand avec Bernard, mais le seul nom de Bernard était délicat à prononcer entre eux. L’un et l’autre se raidissaient contre ce que leur situation pouvait avoir d’étrange. Ils évitaient d’évoquer l’image du jeune vicomte, et cette image, malgré leurs efforts, ne les quittait ni l’un ni l’autre.

« Eh bien ! pensa Mme d’Oyrelles, je sais ce que je voulais savoir. Il est temps de me retirer. »

Pourtant elle n’en fit rien. Elle venait de s’apercevoir que le comte avait l’oreille tendue vers la porte et s’agitait un peu sur son tabouret. Au lieu de se lever, elle commença une nouvelle phrase. À ce moment, un bruit de voix se fit entendre dans le vestibule.