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Page:Le Correspondant 114 150 - 1888.pdf/134

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— Madame… dit-il, en s’inclinant profondément.

Elle lui tendit la main :

— Mon cher voisin, vous êtes un peu surpris de me voir, et vous le serez peut-être encore davantage quand vous saurez ce qui m’amène.

Elle s’assit sur le fauteuil que lui avait avancé le comte qui se mit devant elle, sur un tabouret. Il avait déjà repris possession de lui-même, et souriait de son sourire d’homme du monde.

— Je viens vous demander des appréciations confidentielles sur un jeune homme que vous connaissez beaucoup, je crois, tout au moins par votre fils.

— Oh ! dit M. de Cisay, je vois qu’il s’agit de mariage. C’est grave…

— Très-grave, je vous assure… Trop grave même quand on est seule pour décider une pareille question. Aussi vous serai-je reconnaissante de m’éclairer. Il s’agit de M. Henri de Frumand qui vient de me faire l’honneur de demander la main de ma fille.

— Je vous félicite, madame.

Le comte avait dit cela avec tant d’empressement et une conviction si apparente, que Mme d’Oyrelles ne put manquer d’en être frappée.

— Oui, reprit le comte, M. Henri de Frumand est un parti rare entre tous. C’est un jeune homme d’une intelligence remarquable. Il a des convictions fortes. Je le crois ambitieux, décidé à arriver (ce qui, dans sa bouche, n’était pas un mince éloge). Je sais qu’il a déjà eu des succès de parole… Il ira loin.

Mme d’Oyrelles ne s’attendait pas à des encouragements aussi chauds. De la part du comte, un pareil jugement tenait de l’enthousiasme, et c’était si étrange, qu’elle en fut un peu surprise.

Le comte, ami de la mesure et rarement enclin à la dépasser, sentit, d’ailleurs, qu’il ne fallait pas montrer trop de flamme.

— Ce que je vous dis là, madame, vous l’entendrez répéter partout. Chacun s’accorde à trouver que M. Henri de Frumand est un homme d’avenir, un porte-drapeau, un vaillant. Aussi l’appréciation que je vous donne n’a rien qui me soit personnel, croyez-le bien. Je ne me le permettrais pas.

— Pourquoi donc ?… au contraire… Ce sont vos vues personnelles que je désirerais connaître.

— Puisque vous me faites tant d’honneur, madame, je n’ai rien à vous refuser, dit le comte en inclinant la tête. Je vous avouerai alors, au risque de vous scandaliser, que M. Henri de Frumand a pour moi l’exagération de ses qualités. Je le trouve trop fervent, trop parti, et, que voulez-vous, trop parfait pour un pauvre diable