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Page:Le Correspondant 114 150 - 1888.pdf/310

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rêves. Plusieurs fois sa pensée avait remonté vers la marquise et couru par une pente facile jusqu’à la charmante Jeanne d’Oyrelles. Pour lui, tout était parfait, puisque la jeunesse, l’amour, la beauté, allaient rentrer au château et éclairer la fin de sa vie des rayons qu’il avait toujours aimés. Déjà le grand’père préparait la place au foyer de famille à celle qui allait y entrer ; déjà son oreille, facile à l’illusion, croyait entendre chanter la douce chanson du bonheur ; déjà le front de Bernard lui paraissait ceint d’une auréole. Aussi, dans son enthousiasme, il était incapable d’attendre.

— Si nous y allions tout de suite ? pensait-il. Pourquoi pas ?

Et s’adressant à son fils :

— Viens-tu, Rodolphe ?

— Où ça ? demanda le comte qui décidément était dépassé.

— Chez Mme d’Oyrelles, parbleu !

— Chez Mme d’Oyrelles !… Pourquoi faire ?

— Demande à Bernard…

— Oh ! non, par exemple, reprit le comte qui devinait la pensée du marquis. Cela ne se fait pas ainsi. Il y faut des formes.

— Eh bien, Rodolphe…, si tu nous laissais y aller !… sans tes formes !

Le comte leva les bras au ciel. Le courant était trop fort. Il ne pouvait pas l’arrêter. Le marquis avait vingt ans, comme Bernard.

— Faites donc comme vous l’entendrez, mon père. J’ai consenti. C’est à vous d’arranger les choses.

M. de Cisay se le tint pour dit. Il passa son bras sous celui de Bernard, et lui dit à l’oreille :

— Partons, mon enfant, je n’aime pas attendre. Je parlerai à la mère. Tu auras sans doute quelque chose à dire à la fille. Nous enlèverons la redoute à la baïonnette. C’est la meilleure manière, et la plus française… La première fois que j’ai vu ta grand’mère…

Il s’interrompit :

— Ce serait trop long… je te conterai cela en route.

— Mon Dieu ! s’écria Bernard qui tremblait malgré lui, si nous étions refusés, grand-père ?

— Refusés ?…

Le marquis jeta un coup d’œil sur la glace ou leur double image se réfléchissait. Sans doute il pensa qu’ils n’étaient point faits pour une pareille mésaventure, car il reprit avec une coquetterie crâne :

— Eh bien ! que veux-tu ? nous le serons tous deux !

Il fit trois pas et se retourna encore :

— Adieu, Rodolphe. Je monte dans ma chambre pour changer de veste et nous partons. Souhaite-nous donc bonne chance !