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Page:Le Correspondant 114 150 - 1888.pdf/311

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— Mon père, dit le comte qui devenait aimable, vous êtes de ceux auxquels le succès ne fait jamais défaut, vous le savez bien.

— C’est assez vrai… Mon petit Bernard, va t’arranger… et retrousse un peu ta moustache… J’aime ça !



XV


Quand le marquis et Bernard descendirent le perron, Courtois et Rosa s’y trouvaient, causant à voix basse sur une des marches. Les deux domestiques se rangèrent chacun d’un côté, en attachant les yeux l’un sur le grand-père, l’autre sur le petit-fils, et, leurs maîtres passés, se firent un signe. Ils étaient joyeux. Leur instinct leur avait soufflé qu’une bonne nouvelle allait égayer la maison. Le marquis s’aperçut de leur mouvement, quoique cela se passât derrière son dos. Ce diable d’homme voyait tout, et surtout ce qu’on lui cachait. Il se pencha vers Bernard et lui dit à l’oreille :

— Voilà deux vieux amoureux qui ont un air d’accordailles.

— Tant mieux ! s’écria Bernard, qui eût voulu voir tout le monde heureux.

Le marquis se retourna. Courtois s’était rapproché de Rosa et lui parlait d’un air engageant :

— Ils sont superbes ! dit le marquis en riant. Pourvu que cela ne nuise pas à leur service !

L’allée tournait à gauche et les entraînait sous le taillis. Ils s’y engagèrent, tous deux légers, tous deux pressés. Le marquis donnait le bras à Bernard, mais par simple mouvement affectueux et sans nul besoin de s’appuyer. Il était si leste encore ! On se demandait comment ferait la vieillesse pour venir à bout de ce corps si sain et de cet esprit si vif.

En face d’eux, arrivait un gros homme. Celui-là était loin d’être leste, et, quoique l’hiver fût à peine fini, tenait déjà son chapeau à la main pour se rafraîchir,

— Tiens ! voilà Durandal.

La bonne face du notaire était plus épanouie que de coutume et on voyait, au balancement plus accentué d’une jambe sur l’autre, qu’il cherchait à précipiter son pas. Vains efforts d’ailleurs ! la rotation de cette grosse boule était vigoureuse ; mais la vitesse n’y gagnait rien.

— Ah ! M. le marquis ! s’écria-t-il de loin, je suis content !

— Pourquoi donc, mon brave Durandal ?

Ils se rapprochèrent.

— À force de penser à vos affaires…